Выбрать главу

— J’ai entendu parler de ça… Je ne sais pas… Ce que je sais, c’est qu’il était mêlé aux trafics et aussi que, depuis peu, il était en contact avec les salafistes par l’intermédiaire de son frère.

— Chérif est salafiste ?

Elle hocha la tête.

— Oui. Je fais partie d’une association, dit-elle. « Un jeune, un avenir ». On essaie de tirer ces jeunes des griffes des trafiquants et des intégristes par la musique, les arts, le partage. On leur apprend à décrypter l’actualité autrement qu’à travers les grilles de lecture religieuse, racialiste ou communautaire. On leur dit pourquoi les vidéos qui circulent sur Internet ne montrent pas forcément la réalité. J’avais convaincu Moussa de venir nous voir. Mais, ces derniers temps, il ne venait plus, il tenait un discours de plus en plus misogyne et identitaire… Si nous ne sommes pas capables d’offrir à cette jeunesse autre chose que des existences au rebut, sans véritable avenir, elle continuera de basculer du côté des extrémistes…

Elle eut l’air très abattu tout à coup.

— Bon nombre de mes élèves se vantent de ne pas être français. Une fois, j’ai eu le malheur d’en parler en conseil de classe, et de dire que, pour ma part, j’étais fière d’être française. Certains profs me sont tombés dessus comme si j’avais dit des horreurs. Comme si j’étais une néocolonialiste. Du côté des dominants. Un type qui enseigne la philo à Toulouse-II a déclaré devant un parterre d’étudiants que – je cite – « l’important, c’est d’avoir des manières hostiles d’exister et de vivre par rapport aux héritages de ce qui a détruit nos ancêtres », et il a ajouté : « La kalachnikov plutôt que l’arc. » Ce type est chargé de cours à la fac !

— Moussa a été vu à plusieurs reprises en compagnie d’un homme adulte qui n’était pas du quartier, vous avez une idée de qui ça peut être ?

— Non. Pas la moindre.

— Et vous ne croyez pas à cette histoire de viol, n’est-ce pas ? insista Samira.

Mona Diallo la dévisagea, secoua la tête :

— Moussa n’était pas un saint. Il a trempé dans pas mal de combines. Mais ce viol… non, ça ne lui ressemble pas. Ou alors, il a été poussé par d’autres.

Elle les regarda par-dessus ses lunettes :

— Il y a quand même une chose dont je suis sûre : ces derniers temps, Moussa avait peur.

11

IL ÉTAIT 5 HEURES de l’après-midi quand il entra dans la salle de réunion après avoir passé sa figure sous l’eau froide. Combien d’heures qu’il n’avait pas dormi ? Ils étaient tous harassés, mais on ne lisait pas le moindre signe de lassitude sur leurs visages : il régnait dans la salle une atmosphère électrique. Travailler sur une telle affaire, c’était comme disputer la Coupe du monde de football pour une équipe nationale. Personne ne voulait être sur le banc.

— Vous avez tous beaucoup de travail, déclara Servaz d’emblée, alors on va essayer d’aller vite.

Le groupe s’était encore étoffé. Des flics des Stups, de la financière, du commissariat du Mirail. Il annonça que le procureur de la République avait ouvert une information judiciaire. L’instruction avait échu au juge Nogaret, de permanence ce jour-là. Servaz avait fait la grimace en l’apprenant. Nogaret était un carriériste notoire, encarté dans un syndicat de magistrats très politisé, et il abhorrait les flics.

— En premier lieu, une chose : dès demain cette histoire va faire la une des journaux régionaux, voire nationaux. On a tous les ingrédients dont la presse et les chaînes d’info sont friandes. Tout à l’heure, une conférence de presse sera donnée au palais de justice par le proc. Il faut à tout prix qu’on contrôle l’information. Ça veut dire que chacun de vous autour de cette table doit faire attention à ce qu’il dit et à qui il le dit.

Il parcourut du regard les visages tournés vers lui. Combien de réunions comme celle-ci avait-il présidées ? Combien d’enquêtes, de mystères résolus ?

Il avait traqué l’un des tueurs en série les plus redoutables qu’ait connus ce pays, des étudiants et des enfants assassins, un couple monstrueux, un amateur de serpents, une tueuse spationaute… Parfois, il avait envie de laisser tomber, que quelqu’un prenne la relève. Mais que savait-il faire d’autre ?

— Je ne vous apprends rien : à ce stade, nous allons devoir explorer de nombreuses pistes. Pour l’instant, aucune n’est privilégiée. On ne sait même pas où, quand, ni comment Moussa a été enlevé. Tout ce qu’on sait, c’est qu’il a été vu par sa famille jeudi pour la dernière fois. Et que personne parmi ceux qu’on a interrogés ne l’a vu depuis. Il faut reconstituer son emploi du temps entre jeudi soir et la nuit de dimanche à lundi où il a été percuté par cette voiture…

Un des OPJ présents pianota sur le clavier d’un ordinateur portable. Une carte des départements de la Haute-Garonne et de l’Ariège apparut sur le mur derrière lui, une carte où on avait mis en évidence le quartier du Mirail, à l’ouest de Toulouse, et la petite départementale ariégeoise où on avait retrouvé Moussa Sarr.

— Et il y a bien sûr la question du mobile, poursuivit Servaz. À ce sujet, le mot sur sa poitrine semble nous proposer une piste… Moussa Sarr, comme vous le savez, avait une quarantaine de cambriolages à son actif, il était accusé de viol, il était aussi impliqué dans le trafic de stupéfiants. Je vais donc laisser la parole aux Stups, dans un premier temps.

Le type des Stups se leva. Petit, baraqué, blouson de cuir, crâne rasé et yeux clairs. Il ressemblait au flic de la série The Shield.

— La réalité, commença-t-il, c’est que le cas de Moussa est loin d’être une exception. Des garçons de son âge dans la nature avec des dizaines de délits à leur actif, des gamins de dix-sept ou dix-huit ans qui conduisent sans permis alors qu’ils ont déjà été condamnés pour refus d’obtempérer ou même pour port d’armes, il y en a plein les rues…

L’OPJ pianota une nouvelle fois sur le clavier et un plan lumineux de Toulouse s’afficha sur le mur. Deux quartiers étaient mis en évidence : les Izards et encore une fois le Grand Mirail.

— La drogue fait tourner les cités. Les gosses commencent à douze ans à faire le chouf pour cent cinquante euros la journée. De l’argent facile. À dix-huit ans, ils conduisent des caisses de location et ont des armes sur eux. À vingt, ils gagnent vingt mille euros par mois. Ils n’ont pas peur du ballon : ils risquent tous les jours leur peau dans des guerres pour le contrôle des territoires.

Le flic des Stups avait une nuque de taureau et ses trapèzes soulevaient le col de son blouson de cuir. Il devait passer des heures à la salle de gym. Il se disait qu’il avait chopé un jour, en allant pisser dans les toilettes d’une discothèque, un jeune trader en train de se faire une ligne au vu et au su de tous, et qu’il lui avait éclaté la figure contre le lavabo jusqu’à ce que ce dernier soit devenu entièrement rouge.

— La drogue, c’est la « mère de toutes les batailles », mais on l’a déjà perdue : la plupart des violences urbaines sont liées au trafic, le blanchiment d’argent infecte l’économie réelle et bien des élus locaux rechignent à perturber cette économie souterraine parce que ce qu’ils veulent avant tout, c’est le calme dans leur ville, ne pas attirer l’attention des médias.

Il haussa les épaules.

— Les enlèvements sont monnaie courante dans les cités, les petits caïds n’hésitent pas à kidnapper leurs ennemis. Cependant, concernant Moussa, je ne crois pas à un règlement de comptes. Cette… chasse dans les bois, c’est nouveau, c’est spécial. Je n’ai jamais rien vu de pareil, ajouta-t-il, et son front se plissa. Les caïds ne s’emmerdent pas avec de telles mises en scène : une rafale de kalach sur un parking et adios. De temps en temps, ils torturent un type, mais je ne les vois pas monter un coup de ce genre. En plus, Moussa avait décroché. Ou alors, il passait sous les radars.