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— Qu’est-ce qui se passe ? demanda finalement la mère, d’un ton où pointait enfin un très léger soupçon d’inquiétude. Il lui est arrivé quelque chose ?

Il serait temps que tu t’inquiètes, pensa Servaz. Sauf si, bien sûr, tu sais ce qui est arrivé à ton fils.

— C’est ce qu’on essaie de savoir, madame, répondit-il en la fixant. Il vous a réclamé de l’argent cette fois ?

Elle lui renvoya un regard chargé de défiance, recracha la fumée de sa cigarette dans sa direction.

— Probable…

— Je vais vous demander de noter vos numéros de téléphone là-dessus, leur dit-il en tendant un calepin et un stylo. On vous préviendra si on a du nouveau.

Ils s’exécutèrent sans moufter.

Pas loquaces pour deux sous, les Debrandt. Malgré leur fils dans la nature, ils ne versaient pas dans le sentimentalisme à outrance. Et l’instinct maternel semblait ici réduit à sa plus simple expression.

— Doux Jésus, les parents ne se préoccupent même pas de savoir où dort leur fils, commenta Raphaël quand ils retournèrent à la voiture.

C’étaient les premiers mots qu’il prononçait depuis l’épisode du squat.

SERVAZ CONSULTA sa montre. Bientôt midi. Ils prirent le chemin du retour, regagnèrent le village. Le traversèrent. Des façades de brique typiques du Sud-Ouest, une place avec des platanes poussiéreux devant une église, une rue principale opportunément nommée « rue Principale », quelques commerces, une banque…

— Stop, dit-il soudain à Samira, gare-toi là.

— Quoi ? Qu’est-ce que t’as vu ?

— Une banque…

— T’as besoin de tirer de l’argent ?

— Il y a une caméra de surveillance qui filme l’entrée.

— Tu crois vraiment que… ?

— Ça vaut le coup d’essayer, non ?

Il était déjà en train d’inscrire date, cadre de l’enquête et numéro de procédure dans un formulaire de réquisition judiciaire prérempli et prétamponné qu’il avait puisé dans la boîte à gants.

Le directeur de l’agence bancaire ne sembla pas mécontent de cette visite impromptue. Une enquête policière, c’était autre chose que sa morne routine quotidienne. Il ne se passait pas grand-chose, la plupart du temps, dans cette succursale villageoise. Son agence, loin des centres névralgiques de la région, c’était un peu le fort du Désert des Tartares.

— Venez, dit-il en poussant la porte d’une petite pièce sans fenêtre.

L’endroit était peuplé d’étagères métalliques encombrées de dossiers et de cartons, mais il y avait aussi, dans un angle, une table avec deux écrans et une tour d’ordinateur. Des images de l’intérieur et de l’extérieur de la banque défilaient sur les écrans. Le directeur se pencha dessus.

— C’est la caméra qui filme l’entrée qui nous intéresse, dit Servaz.

Il se prit à espérer qu’elle ne filmait pas que le trottoir, malgré les restrictions imposées aux dispositifs de surveillance dans l’espace public. Le directeur bascula l’image en plein écran. Bingo. Les deux voies de l’étroite rue Principale apparaissaient aussi.

— Quelle date ? demanda le directeur, exhalant un parfum de pastilles mentholées à travers son masque.

— 17 octobre, répondit Raphaël Katz.

Le directeur effectua une petite manipulation. Servaz vit la date et l’heure dans le coin en haut à droite de l’écran. Des piétons, des voitures et des deux-roues se mirent à défiler. Cerise sur le gâteau, l’image était en couleurs. Il n’y avait pas foule cependant, la rue principale du village n’étant visiblement pas une artère des plus fréquentées – et il s’écoulait parfois deux ou trois minutes sans que personne ne circule.

— Vous pouvez passer en avance rapide ? s’impatienta Samira.

Le banquier la regarda avec un air vaguement inquiet. Elle portait ce jour-là des leggings transparents ornés de motifs dans de très hautes bottes lacées, des mitaines noires, un blouson de cuir, et elle avait abusé comme à l’accoutumée du crayon noir et du fard à paupières.

— Bien sûr, dit-il.

L’image fut subitement prise de frénésie. Servaz essayait de se concentrer sur les deux-roues mais ils n’étaient pas légion.

— Là ! dit soudain Katz.

— Stop, fit Servaz. Rembobinez… Arrêtez… Repassez en vitesse normale…

Le directeur s’exécuta avec l’application d’un adjoint à la sécurité en CDD. Une voiture passa, puis une autre, un vide de quelques secondes et, soudain, un scooter bleu à l’écran.

— Stop.

Arrêt sur image. Ils se penchèrent. Même avec un casque vissé sur la tête, il n’y avait pas le moindre doute : le jeune homme qui pilotait le deux-roues était Kevin Debrandt.

17

— ON RECOMMENCE, dit Servaz.

— Depuis le début ? s’inquiéta le directeur d’agence qui commençait à se rendre compte que le travail d’investigation n’avait pas grand-chose à voir avec les séries télé.

— Depuis le moment où on l’a vu apparaître, confirma Servaz.

Ils avaient déjà visionné, en vitesse accélérée, les heures ayant suivi l’apparition de Kevin jusqu’à la tombée de la nuit. Rien. Pas de trace du scooter. Soit ils l’avaient loupé, soit il n’était jamais repassé par là.

Or cette rue était un cul-de-sac. Elle ne desservait qu’une poignée de résidences récentes, toutes identiques, ainsi que le terrain vague où se dressait la maison des Debrandt.

Trente minutes plus tard, ils stoppèrent leur lecture accélérée : Kevin Debrandt n’était jamais repassé par le village.

— Tu penses la même chose que moi ? demanda Samira à Martin.

Il hocha la tête.

— Soit les parents ont quelque chose à voir avec sa disparition, soit on l’aura enlevé entre sa maison et le village… Il faut retourner là-bas, examiner les deux kilomètres de route… Mettez ces enregistrements de côté, dit-il au directeur.

Car si Kevin Debrandt avait été kidnappé en sortant de chez ses parents, il y avait fort à parier que le véhicule de son ravisseur figurait sur la vidéo.

— ARRÊTEZ-VOUS ! s’exclama Katz à l’arrière.

Ils venaient tout juste de passer sous un court tunnel, là où la route croisait la voie ferrée Auch-Toulouse. À un kilomètre de la sortie nord du village. Samira freina. Se rangea sur l’accotement après le pont. Ils descendirent. Suivirent le jeune enquêteur qui s’avançait déjà sous la petite arche sombre.

— Là, dit-il en se retournant vers eux.

Il montrait la glissière de sécurité dans l’ombre du tunnel. Servaz sortit sa torche et l’éclaira. Raphaël Katz avait une bonne vue : il y avait une grande tache de peinture bleue sur le métal de la glissière, a priori de la même nuance que celle du scooter, et des bris d’optique au sol.

Servaz fit un pas de plus.

Une voiture les frôla en klaxonnant.

Il dirigea le faisceau de la lampe en dessous – vers le gravier sur le bord de la route et l’herbe au-delà, où brillaient les débris d’optique. Retenant son souffle, il regarda Samira, puis de nouveau le gravier et l’herbe sous le pont.

Du sang…

Il y avait une tache de sang séché d’environ dix centimètres de diamètre à cheval sur le gravier et l’herbe, protégée de la pluie par le tablier du pont.

LE TECHNICIEN ACCROUPI devant la glissière de sécurité était en train d’effectuer un prélèvement du sang séché à l’aide d’un écouvillon humidifié d’une goutte de sérum physiologique.