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— Je vais aussi prélever les graviers et les brins d’herbe, expliqua-t-il.

Servaz savait que, dans les affaires de délinquance de masse – menus larcins, vols à la roulotte, cambriolages –, même lorsque le support de l’ADN était transportable, le laboratoire préférait le simple écouvillonnage pour éviter de surcharger les services avec des scellés supplémentaires. Mais cette affaire-ci n’était pas une enquête banale. Raison pour laquelle on avait mis les moyens : la circulation avait été arrêtée et plusieurs techniciens s’activaient à la recherche de traces, tandis que la pluie formait des rideaux sales et translucides aux extrémités du petit tunnel.

Servaz observa le manège des techniciens un moment, puis il se tourna vers Samira et Katz :

— Le véhicule de ses kidnappeurs a dû lui couper la route sous le pont, dit-il. Et Debrandt s’est mangé la glissière avec son engin. Ils auront attendu qu’il n’y ait personne pour passer à l’attaque. Ensuite, soit Kevin s’est cogné et a saigné en tombant, soit ils l’ont frappé avant de l’embarquer.

— Ou bien les deux, dit Samira.

— Dans ce cas, il y aurait plusieurs traces de sang, objecta Katz.

— En tout cas, ça innocente les parents, dit Samira.

Servaz balaya cette discussion d’un geste.

— Ceux qui l’ont enlevé sont méthodiques, organisés, mais, jusqu’à présent, ils ne se souciaient pas de laisser des indices derrière eux, car ils étaient sûrs que personne ne ferait le lien avec Moussa. Et, sans ce double coup du sort – l’accident plus le cheveu coincé dans la crémaillère –, c’est ce qui se serait passé…

Il marqua une pause.

— L’important, c’est que le scooter n’est plus là. Ça veut dire qu’ils l’ont sûrement embarqué en même temps que Kevin et bazardé ailleurs pour ne pas attirer l’attention… Ça veut dire aussi qu’ils avaient un véhicule suffisamment gros pour le faire : il faut retourner à la banque et revisionner les enregistrements vidéo. Cette route étant sans issue, ils sont forcément repassés par le village.

CETTE FOIS, le directeur se montra un peu moins coopératif. Cependant, le fait qu’ils fussent revenus éveillait sa curiosité : avaient-ils trouvé quelque chose ? Le directeur était un homme notoirement curieux et grand amateur de potins ; il les raccompagna dans la petite pièce sans fenêtre.

— Vous avez besoin de moi ? demanda-t-il quand il eut rallumé l’appareil.

— Non, c’est bon, merci, on va s’en sortir tout seuls, répondit Samira.

Sur l’écran, le défilé des véhicules et des piétons reprit. Samira et Servaz arrêtaient l’image et notaient l’immat les rares fois où un fourgon ou un camion passait devant la banque en direction du pont après qu’ils eurent vu passer Kevin, mais seuls deux sur quatre en revinrent et réapparurent : un Transit blanc sale qui portait le nom d’une entreprise de plomberie et un van VW noir aux fenêtres teintées.

— Vérifie le van en priorité, dit Servaz à Samira qui, déjà, sortait son téléphone.

Il la vit se lever.

— On a quatre immats à vérifier, était en train de dire Katz quelques secondes plus tard. Ça ne devrait pas prendre trop de…

D’un geste, Servaz l’arrêta.

Il venait d’apercevoir le visage de Samira par-dessus l’épaule du lieutenant. Elle avait changé d’expression. Elle fixait Servaz. Il sentit le sang circuler plus vite dans ses veines.

— Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-il.

— C’est la merde. Le propriétaire du van : c’est un flic…

18

— IL S’APPELLE Serge Lemarchand, dit Samira.

Il hocha la tête.

— Brigadier-chef et OPJ au groupe d’appui judiciaire du commissariat du secteur Nord, poursuivit-elle.

— Oui, dit-il. Je sais qui c’est…

Il se souvenait de lui. Un type dans la quarantaine. En surcharge pondérale. Avec une tignasse de cheveux châtains bouclés et des valises sous des yeux pâles et aqueux pleins de défiance. Il était présent lors d’une opération de la Sûreté départementale, en juin 2018, quand elle avait démantelé un réseau bulgare de traite des êtres humains qui sévissait depuis un camp de Roms situé chemin de Gabardie, au nord de Toulouse. Ces Bulgares étaient nettement moins sensibles et romantiques que Radomil : ils faisaient venir des ressortissants de leur pays, qu’ils repéraient au préalable sur place parmi les populations les plus vulnérables, en leur faisant miroiter la Terre promise. À leur arrivée en France, ils confisquaient leurs passeports, les brutalisaient et les forçaient à mendier sur les ronds-points des Minimes et des Ponts-Jumeaux. Plusieurs individus qui s’étaient montrés récalcitrants avaient reçu des coups de couteau, été battus comme plâtre avec des câbles électriques, attachés à un arbre toute la nuit ou encore s’étaient fait rouler dessus par une voiture. Les cent soixante agents, dont cent dix enquêteurs, qui avaient participé à l’opération avaient découvert des êtres diminués, aux membres fracturés, couverts de plaies qui témoignaient de leur calvaire au quotidien, pendant que leurs tortionnaires se pavanaient dans des voitures de luxe et faisaient de fréquents allers-retours entre la France et la Bulgarie.

Servaz avait été invité par la Sûreté à assister aux opérations de démantèlement, car plusieurs des tortionnaires étaient soupçonnés du meurtre d’un des leurs, et cette enquête-là était du ressort de la PJ. En suivant les interpellations, il avait très vite compris que, bien que Lemarchand ne fût que brigadier-chef, c’était lui qui, par son expérience et l’ardeur qu’il déployait, avait l’ascendant sur le reste du groupe. Le type ne lui avait pas fait bonne impression ; c’était un flic à l’ancienne dans le mauvais sens du terme : trempant dans toutes les combines, ayant sans doute franchi la ligne blanche plus souvent qu’à son tour et peut-être oublié en chemin toute distinction entre le bien et le mal.

— À l’heure qu’il est, Lemarchand doit être au commissariat ou sur le terrain avec ses collègues, dit-il. On va d’abord s’assurer qu’il n’a pas déclaré le vol de son véhicule. Ensuite, on va attendre qu’il ait fini sa journée et qu’il soit rentré chez lui pour lui poser quelques questions. Un flic est toujours plus vulnérable à domicile. Et je ne veux pas que ses collègues nous voient lui parler. Je connais ce genre d’individus. C’est un vieux de la vieille. Il sera difficile à manœuvrer…

Il sortit son téléphone et appela le juge Nogaret.

— Alors, commandant, ironisa le magistrat au bout du fil, quels formidables résultats la police va m’apporter cette fois ? J’ai hâte de le savoir.

Le sarcasme n’échappa pas à Servaz. Nogaret ne perdait jamais une occasion d’humilier les flics. C’était plus fort que lui. Servaz eut envie de le remettre à sa place, mais il savait que la suite de l’enquête dépendrait en grande partie de la bonne volonté du magistrat instructeur.

— Nous en avons peut-être une autre, dit-il sans réfléchir.

— Une autre quoi ?… Je n’aime pas beaucoup les devinettes, commandant.

Servaz jura intérieurement.

— Une autre victime… Il se peut que le jeune Moussa Sarr n’ait pas été la seule proie de ces… chasseurs.

Un silence à l’autre bout.

— Expliquez-moi ça.

Servaz lui parla du cheveu coincé dans la crémaillère de la tête de cerf. Puis de la disparition de Kevin Debrandt que personne n’avait plus vu depuis près de deux semaines. Du probable enlèvement de celui-ci sous le pont. En revanche, il s’abstint d’évoquer à ce stade les soupçons qui pesaient sur un policier. Même si Nogaret se serait probablement jeté sur cet os comme un mort de faim.