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Lantenais fixa le flic, le visage dépourvu d’expression.

— Si vous avez lu mon témoignage, pourquoi me faire répéter ?

— Cette agression, vous pouvez quand même nous en parler ?

Le banquier soupira, prit tout son temps pour répondre :

— J’imagine que vous avez déjà lu tout ça dans le dossier, dit-il, mais bon… Si vous le jugez utile… J’étais au lit quand j’ai été réveillé par le bourdonnement du portail qu’on ouvrait en bas dans la cour avec le digicode. J’ai le sommeil léger. Apolline était sortie cette nuit-là, alors j’ai cru que c’était elle qui rentrait. J’ai attendu en haut des marches, comme je viens de le faire avec vous, quand deux individus cagoulés ont surgi, grimpant l’escalier en courant. Avant que j’aie pu réagir, ils m’avaient aspergé de gaz lacrymogène et ils m’ont frappé puis entraîné ici dans le salon, où ils m’ont ligoté avec des liens en plastique, bâillonné et laissé sur le tapis. Puis ils sont allés chercher ma femme dans la chambre à coucher, à l’autre bout de la maison, et ils l’ont ramenée.

Lantenais prit une profonde inspiration avant de continuer :

— Quand ils sont revenus tous les trois dans la pièce, elle était quasi nue. Il ne lui restait que sa culotte. Elle était terrorisée. Moi aussi. Elle pleurait, elle les suppliait. Ils l’ont abandonnée sur le canapé où vous êtes assis. Et ils ont recommencé à me frapper. Une pluie de coups… Ils semblaient enragés…

Servaz vit la peur ressurgir dans son regard gris par-dessus le masque. La voix du banquier trembla un peu quand il poursuivit :

— J’ai cru qu’ils allaient nous tuer. Ensuite, ils m’ont demandé où était le coffre. Et comme je mettais du temps à répondre, ils se sont approchés de Françoise et ils ont commencé à la… toucher et à faire des allusions sexuelles… C’était répugnant…

Il secoua la tête.

— Bien entendu, je leur ai indiqué l’emplacement du coffre et je leur ai donné la combinaison. Ils ont emporté les bijoux, ils ont aussi pris nos montres, nos téléphones, un ordinateur portable, et puis ils sont repartis comme ils étaient venus… Il était pas loin de 3 heures du matin. J’ai fait un malaise aussitôt après. J’ai perdu connaissance. Heureusement, ma femme a appelé les secours.

Servaz acquiesça. Françoise Lantenais avait fait l’objet d’un suivi psychologique, son mari avait refusé d’en bénéficier. Il laissa passer un silence.

— Il y a quelques zones d’ombre dans le dossier, dit-il.

Lantenais prit un air sévère :

— Comment ça ?

— Vous fermez la porte en bas de l’escalier la nuit, en plus du portail ?

— On est à Toulouse, répondit le banquier. À votre avis ?

— La serrure n’a pourtant pas été crochetée. Il semble donc qu’ils avaient un passe ou un double des clés, mais Kevin Debrandt n’a pas répondu à cette question. Pensez-vous que votre fille ait pu être leur complice ?

Bernard Lantenais se redressa, les fusilla du regard.

— C’est grotesque ! Absurde…

— Est-ce que votre fille est ici, monsieur Lantenais ?

— Oui, mais…

— On pourrait lui poser quelques questions ?

— Vous avez le droit de faire ça ? demanda Lantenais, désarçonné.

— Si vous voulez, on peut appeler le juge. Il la convoquera dans son bureau pour l’entendre…

Une véritable fureur brillait à présent dans les prunelles du banquier.

— Vous, les flics, au lieu de vous occuper de tous les voyous et de tous les criminels en liberté dans nos rues, vous préférez vous en prendre aux honnêtes gens : il est vrai que c’est moins risqué, cracha-t-il.

Et voilà, c’est reparti, songea Servaz.

Il avait longtemps cru que ce genre de comportement ne l’atteignait pas. Mais il devait bien reconnaître qu’à la longue, comme la marée mine jour après jour les fondations de la falaise, cela finissait par l’entamer. C’était un poison qui agissait lentement, pernicieusement. Qui usait les âmes les mieux trempées. Plus personne ne voulait être flic désormais. Ce métier était devenu le bouc émissaire de toutes les frustrations et de toutes les rancœurs.

APOLLINE LANTENAIS leur fit incontestablement penser à Ariane Hambrelot. Même blondeur, même pâleur. On aurait dit deux sœurs. Mais là où la jeune Hambrelot était un petit animal craintif et tremblant, Apolline Lantenais transpirait la révolte.

Elle les fixait durement, avec un mépris souverain, un mépris de classe.

— Kevin, tu sais où il est ? demanda-t-il.

— Non.

Ils avaient demandé à l’entendre hors de la présence de son père. Apolline Lantenais avait surgi des profondeurs de la maison, aussi silencieuse qu’un fantôme, avec ce même air hostile, distant, dont elle ne s’était pas départie depuis.

— C’est toujours ton petit ami ?

— Non.

— Tu es sûre ?

Elle laissa échapper un soupir.

— Putain, non. Pas après ce qu’il a fait à ma mère !

— Il a aussi frappé ton père, avec son complice, fit remarquer Servaz.

— Bah, oui, et alors ? Il est pas mort, non ?

Ils furent fouettés par la froideur de sa réponse.

— Tu te souviens de la dernière fois où tu as parlé à Kevin ?

— Ouais. C’était au tribunal…

— Vous vous êtes dit quoi ?

— Je lui ai dit que c’était une sous-merde et un connard…

— Tu as eu de ses nouvelles depuis ?

— Pourquoi j’en aurais eu ? rétorqua-t-elle, exaspérée.

— Réponds, s’il te plaît.

— Non.

Servaz eut un mouvement de déglutition involontaire. Cette jeune femme le rendait nerveux, avec son hostilité et sa rage.

— Ils avaient le code de l’entrée, tu le savais ?

— Ouais, les autres keufs me l’ont dit.

Elle avait mis dans le mot keuf toute l’insolence dont elle était capable.

— C’est toi qui avais donné le code à Kevin ?

— J’ai déjà répondu à cette question, putain. Vous communiquez jamais entre vous ou quoi ? répondit-elle d’une voix où perçait une colère froide.

Servaz ne releva pas.

— Tu as dit qu’il te rendait visite de temps en temps quand tes parents n’étaient pas là et que c’est à cette occasion que tu le lui avais donné.

— Voilà.

Toujours la même morgue.

— Il en pensait quoi de ta relation avec Kevin, ton père ? demanda Samira qui n’avait pas prononcé un mot jusque-là.

La jeune femme dévisagea la Franco-Sino-Marocaine en s’attardant sur sa tenue et ses piercings.

— T’es flic, toi, sans déconner ? ricana-t-elle.

— Tu me parles encore une fois comme ça et je t’en colle une dans la tronche, dit Samira.

Apolline Lantenais ouvrit de grands yeux.

— Je vais me plaindre à…

— Ta gueule.

La voix de Samira avait claqué comme un fouet. Elle plongea son regard charbonneux et sévère dans celui d’Apolline Lantenais, qui battit en retraite en haussant les épaules, déstabilisée par la réaction de la fliquette autant que par son apparence.

— Alors, il en pensait quoi ? répéta cette dernière.

— À ton avis ? Il détestait Kevin. Il voulait que je mette fin à notre relation.

— Tu l’as rencontré comment, Kevin ?

— À la fac, dans une soirée étudiante où il avait réussi à se faufiler. J’ai tout de suite vu qu’il était pas comme les autres, et qu’il n’était pas étudiant. Ça me changeait un peu de tous ces cons qui passent leur temps à refaire le monde et à l’analyser avec leur esprit critique comme s’ils avaient la moindre idée de ce qu’est le monde réel.