Il vit Katz pâlir.
— Ah, une dernière chose : laisse Mme Sarr prendre tout ce qu’elle veut dans la chambre de son fils. Même déplacer des meubles si ça lui chante.
— Hein ?
IL Y AVAIT UN VAN dans la clairière, cette nuit-là, songea-t-il. Était-ce celui de Lemarchand ?
Il nota d’envoyer quelqu’un repérer d’éventuelles caméras de surveillance sur le trajet. Il suffirait de trouver l’image d’un van noir de même marque passant quelques heures auparavant, y compris à des kilomètres de là, pour confirmer cette hypothèse. Si un tel élément n’aurait pas force probante devant un tribunal, eux n’en sauraient pas moins que Lemarchand avait été présent au cours de la dernière nuit de Moussa Sarr.
Il y avait une autre solution : se procurer le numéro du flic et demander l’historique de bornage de son portable. Une manœuvre risquée. Non seulement parce que même un juge comme Nogaret qui n’aimait pas les flics allait refuser avec le peu d’éléments dont ils disposaient, mais parce que les possibilités de fuite étaient énormes et qu’à partir de là l’enquête risquait de leur échapper pour être confiée à l’IGPN, la police des polices.
Son téléphone sonna. Il décrocha.
C’était Catherine Larchet, la chef du labo de police scientifique :
— L’échantillon de sang que vous avez trouvé sous le pont, dit-elle. Quelqu’un l’a volé…
25
IL RESTA muet un moment.
— Quoi ?
— Quelqu’un est entré dans le laboratoire ce matin et en est reparti avec le scellé.
Il mit une seconde à digérer l’information. Son silence n’échappa pas à Catherine Larchet.
— Je ne sais pas quoi te dire, Martin. Sinon que c’est un vol, ça ne fait pas l’ombre d’un doute.
— Comment peut-on voler un échantillon destiné à une analyse ADN dans un laboratoire de la police ? s’étonna-t-il.
Il n’ignorait pas, bien entendu, que la fauche existait à l’hôtel de police comme ailleurs. Il se souvint que Vincent s’était fait piquer son eau de toilette, cadeau de Charlène, dans les vestiaires pendant qu’il prenait sa douche, Samira son Tupperware dans le frigo du local cuisine. Il y avait même le cas d’un collègue gardien de la paix qui, ayant eu la mauvaise idée d’écrire un rapport après le vol de son gilet pare-balles dans les locaux de la police, avait reçu un blâme en retour et s’était vu privé d’avancement pendant deux ans.
— Combien de personnes ont accès au laboratoire ? voulut-il savoir.
— Beaucoup. Des policiers, des techniciens. On sait comment il s’y est pris, ajouta-t-elle à voix basse, consternée. Le matin, la sortie de secours reste ouverte pour permettre aux sols de sécher après le passage des agents d’entretien.
— Hein ? s’exclama Martin.
— Je sais, je sais… Ne dis rien, j’ai déjà gueulé auprès de la hiérarchie à ce sujet… Bref, quelqu’un est entré par là, vêtu d’une blouse blanche et portant des lunettes de vue, d’après la caméra de surveillance. Mais il y a fort à parier que les lunettes étaient bidon. Avec un masque sur le bas du visage, évidemment, ça rend toute identification difficile. Merci, les gestes barrières… Et il a incliné la tête au moment de passer devant la caméra. Comme d’habitude, il n’y avait personne à cette heure dans les labos qui sont le long du couloir. Et soit le type était déjà venu, soit il a été briefé sur la disposition des lieux, car il ne s’est pas trompé : il est allé droit à la salle des scellés, qui, comme souvent, était bondée malgré l’heure matinale. Il devait connaître le numéro d’enregistrement du scellé, ou alors il avait le numéro de PV du service enquêteur, car il ne s’est pas trompé non plus de scellé à voler.
Des complices, songea Servaz. Lemarchand et ses acolytes avaient des complices dans la maison.
— Tu as examiné les images de la caméra de surveillance pour voir si ça pouvait être une personne que tu connais ?
— Oui, répondit Catherine Larchet. Malgré le masque et les lunettes, je suis quasiment sûre que ce n’est pas le cas. C’est peut-être quelqu’un venu de l’extérieur…
Ça pouvait être n’importe qui avec une carte de police. Il y avait dans le bâtiment des dizaines de flics, de techniciens que Catherine Larchet n’avait jamais vus. Plus tous ceux des autres commissariats toulousains qui venaient chaque jour à l’hôtel de police pour un motif quelconque. Visionner les images des caméras à l’entrée du commissariat central ne leur donnerait qu’une liste de plusieurs dizaines de postulants.
Qui pouvait avoir couru un tel risque ? se demanda-t-il. Probablement un policier lui-même mouillé jusqu’au cou. En tout cas, cela signifiait que Lemarchand était une pièce maîtresse du dispositif, pas un sous-fifre. Et Servaz aurait parié que le sang dérobé était bien celui de Kevin Debrandt. Ceux qui l’avaient volé savaient que la disparition du scellé confirmait cette hypothèse. Ils pensaient déjà au coup d’après : si un jour cette affaire finissait devant un tribunal, il faudrait à Servaz et à son groupe des preuves tangibles pour étayer leurs accusations, pas seulement des hypothèses.
Il décida d’envoyer une équipe à Grignac, sous le pont, par acquit de conscience, mais il savait déjà qu’ils ne trouveraient rien sinon une flaque d’essence ou d’acide là où avait été la tache de sang. Peut-être que les caméras de la banque leur fourniraient de nouvelles images, mais il en doutait : ils auraient retenu la leçon, cette fois.
Il y voyait cependant un signal positif, que ceux du camp d’en face envoyaient malgré eux : ils effaçaient leurs traces. Cela voulait dire aussi qu’ils se savaient chassés à leur tour. Leur nervosité était en train de croître. Et la nervosité amène à commettre des erreurs.
26
IL S’ASSIT, but une gorgée de café, regarda les autres :
— D’accord. On a quoi ?
Étaient présents Vincent, Samira, Katz et une autre équipe, Roussier et Gadebois, qui ressemblaient à Don Quichotte et Sancho Panza – l’un grand et maigre, l’autre petit et ventripotent –, deux flics à l’ancienne, pas franchement des bourreaux de travail, qui aimaient les blagues lourdingues, passaient beaucoup de temps à déjeuner et fort peu sur le terrain. Ils attendaient assez paisiblement la retraite.
— On a trouvé quelque chose, dit d’emblée Vincent, et tout le monde comprit à cette entrée en matière que c’était important.
— Vas-y.
— Trois cas de disparition au cours des dernières années qui ont le même profil que Sarr et Debrandt. Des délinquants multirécidivistes remis en liberté qui se sont évaporés quelques semaines après leur libération.
L’évocation de ces coïncidences provoqua un silence dans la salle et Servaz se raidit : il avait vu juste, il y en avait d’autres…
— Romain Heyman, Lahcene Kheniche et Nelson da Rocha, continua Espérandieu en consultant ses notes. Kheniche, vingt-six ans, était considéré comme l’un des plus gros trafiquants de cannabis de la région. Il était soupçonné d’être le patron du point de deal d’Edgar-Varèse, à la Reynerie : plus de sept cents clients par jour. Sauf qu’il n’avait pas de casier judiciaire. Il était toujours passé entre les mailles du filet. Son avocat a réussi à démonter le dossier, à démontrer le manque de preuves et à le faire libérer. Trois semaines plus tard, Kheniche a disparu de la circulation.
Autour de la table, l’attention s’accrut : tout le monde, même Don Quichotte et Sancho Panza, était conscient qu’on tenait quelque chose.