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— C’est lui qui est derrière tout ça, commenta-t-il, le visage incendié par le coucher du soleil. C’est lui qu’on cherche.

34

SAMIRA ET MARTIN montaient la garde dans une voiture, Katz et Espérandieu dans une deuxième. À moins de dix mètres du portail de Lemarchand. Lequel était rentré du commissariat du secteur Nord trente minutes plus tôt. À deux reprises déjà, les rideaux de la cuisine avaient bougé. Il les avait repérés.

Il n’y avait plus qu’à attendre. Ce n’était qu’une question de patience. Qui craquerait le premier ? À quatre contre un, Servaz en avait une petite idée. Le comportement hystérique du flic sur la route lui donnait bon espoir. Ce type était un sanguin, un colérique, un éruptif – tôt ou tard les gens comme lui commettaient des erreurs.

LEMARCHAND JURA. Consulta sa montre. 10 heures du soir. Il jeta un nouveau coup d’œil. Cela faisait maintenant cinq heures qu’ils étaient garés devant chez lui. Si ça les amusait de passer la nuit dans l’inconfort de leurs voitures de service, grand bien leur fasse. Lui allait dormir au fond de son lit, alors que ces connards se préparaient de belles courbatures pour le lendemain. Il n’y avait pas à dire : mieux valait être à sa place qu’à la leur, non ?

Alors pourquoi ne décolérait-il pas ? Pourquoi une braise de rage se rallumait-elle au creux de son ventre chaque fois qu’il regardait par la fenêtre ? Parce que c’était humiliant. Parce que tous ses voisins pouvaient les voir. Parce qu’ils l’insultaient en venant effectuer leur surveillance jusque sous ses fenêtres, comme s’il était une merde de trafiquant. D’accord, il était peut-être sorti des clous de temps en temps, mais le rabaisser au même niveau que ces vermines…

Salopard de Servaz.

Avec sa morale et ses principes à la con, son individualisme, son manque d’esprit de corps. Servaz était un électron libre, un élément incontrôlable, un fanatique de la pureté, tout le monde le savait. À plusieurs reprises, il avait failli se faire virer de la police mais, chaque fois, quelqu’un lui avait sauvé les miches. Il fallait que les vrais flics apprennent à ce connard qu’il n’avait pas tous les droits, il fallait que quelqu’un lui donne enfin une bonne leçon.

Lemarchand sortit du tiroir un téléphone fantôme. Il fit le numéro.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda la voix au bout du fil, d’un ton qui indiquait clairement que l’appel tombait mal.

— Ils sont garés sous mes fenêtres. Ils ne me lâchent pas ! C’est insupportable… Il faut faire quelque chose. Je ne veux pas que mes voisins voient ces voitures devant chez moi toute la nuit.

Un silence.

— Pour commencer, calme-toi, dit la voix. Ne fais rien qui pourrait leur laisser penser que leur stratégie est payante. Ils finiront par se fatiguer. Et tu emmerdes les voisins. Il faut apprendre à contrôler tes émotions, Serge.

La voix était calme mais autoritaire. Et l’homme qui parlait avait beau être l’un des rares qui inspiraient à Lemarchand un respect absolu, inconditionnel, ce dernier eut quand même envie de lui dire d’aller se faire foutre.

— Nous allons passer à l’action cette nuit, poursuivit la voix. Ce qui est arrivé à cette policière ne doit pas rester impuni. Le temps des agneaux est révolu. Celui de la guerre est venu. Les politiques ont abdiqué, c’est à nous de répondre maintenant, à nous de prendre les choses en main.

Lemarchand se demanda ce qu’il entendait par « nous allons passer à l’action cette nuit ».

— Toi, pendant ce temps, tu fais le mort. Tu vas au boulot comme si de rien n’était. On ne doit plus avoir de contacts jusqu’à nouvel ordre. Il ne faut pas qu’ils puissent remonter jusqu’à nous, tu m’entends ? De notre côté, on va s’occuper de cette fille et de ce Servaz.

— Et vous comptez faire quoi ?

— On y réfléchit. En attendant, tu devrais sortir de chez toi, respirer. Amuse-toi un peu avec eux. Ils cherchent à te déstabiliser. Montre-leur qu’ils perdent leur temps. Rends-leur la monnaie de leur pièce. Il y a un point faible dans le groupe, c’est là-dessus qu’il faut jouer.

Oui, pensa-t-il. Il avait besoin de prendre l’air. Amusons-nous un peu…

— Voilà ce que tu vas faire…, dit l’homme à l’autre bout.

— IL SORT, fit Samira.

Servaz ouvrit les yeux, s’ébroua. Lemarchand descendait les marches. Il franchit le portail et monta dans son van sans un regard pour eux, comme s’il ne les avait pas vus.

— Martin à tous. Lemarchand lève le camp. On le suit.

— Bien reçu, dit Vincent dans l’autre voiture.

Ils partirent à la queue leu leu, leur intention n’étant pas de passer inaperçus mais de faire en sorte au contraire que Lemarchand ne les oublie pas une seconde. Ils le suivirent tandis qu’il descendait jusqu’au périph. Qu’il emprunta à la hauteur de Balma, et Samira crut un instant qu’il allait de nouveau se diriger vers l’Ariège, mais quand on eut dépassé la sortie de l’A61, puis celle de l’A64, et que, du périphérique est, on fut passé au sud puis à l’ouest, ils commencèrent à soupçonner ce qui se tramait.

— Il nous balade, dit Samira.

— Mmm.

Moins d’une heure plus tard, ils avaient fait le tour complet de l’agglomération et en amorçaient un deuxième quand Vincent appela de la seconde voiture.

— Il se fout de notre gueule, dit-il. Qu’est-ce qu’on fait ?

— On suit. Il se fatiguera avant nous…

La nuit s’était encore obscurcie.

À cette heure et à cause du confinement, il n’y avait presque plus de circulation sur le périphérique, qui évoquait à présent ce que les villes ont de plus inhumain, de plus antinaturel : béton, bitume, solitude, lueurs, errance…

Soudain, Lemarchand accéléra.

Pleins gaz. Ils accélérèrent aussi. Ils virent le compteur s’affoler. Cent vingt… cent cinquante… cent soixante-dix…

— Putain, qu’est-ce qu’il fout ? s’exclama Samira.

Cent quatre-vingts…

— Il est dingue, ajouta-t-elle.

Le van glissait d’une voie sur l’autre à toute vitesse, gauche, milieu, droite, gauche de nouveau… glissait comme un palet sur la glace, doublant les rares véhicules d’un côté comme de l’autre, lancé tel un bolide dans la nuit.

— À quoi il joue, bordel ?

Tout à coup, Lemarchand ralentit. Il quitta le périph à la hauteur des Ponts-Jumeaux, longea le port de l’Embouchure, puis le canal du Midi par le boulevard de la Marquette, conduisant toujours bien au-dessus de la vitesse autorisée. Devant eux, ils le virent à travers la lunette arrière mettre en route le gyrophare sur le tableau de bord, et soudain la nuit se peupla d’éclairs bleus qui fouettèrent les platanes le long du canal.

— Il joue avec nos nerfs, commenta Servaz.

— Et ça marche ? demanda Samira.

— Moi ça va… Et toi ?

— Je lui coincerais volontiers les couilles dans sa portière mais, à part ça, ça va.

— Bien, dit Martin calmement. N’entrons pas dans son jeu.

Il tourna à gauche beaucoup trop vite au carrefour suivant, traversa le canal sur le pont à hauteur de la rue du Béarnais, puis vira à droite sur l’autre rive dans le boulevard de l’Embouchure, longeant de nouveau le canal vers le centre. Est-ce qu’il allait à l’hôtel de police ? Le commissariat central se dressait quelques centaines de mètres plus loin. Servaz aperçut les silhouettes des prostituées qui traînaient dans les contre-allées, en minijupe malgré le froid.