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— Qu’est-ce que vous faites ? dit-il, sans opposer de résistance : ce sont ses frères d’armes et son officier supérieur, après tout.

Il commence toutefois à paniquer quand on défait son ceinturon, qu’on baisse son pantalon et son slip sur ses genoux et qu’on déboutonne et ouvre sa chemise. Dans l’échancrure, le tatouage en forme de serpent apparaît, tout comme la cicatrice sur sa hanche.

— Hé ! Qu’est-ce que vous foutez ?

Il a crié d’une voix un peu trop aiguë, qui trahit sa peur maintenant.

— Tu te souviens de ce gamin que t’as violé ? demande le colonel aux yeux bleus.

Il a du mal à soutenir le regard incandescent.

— Je l’ai pas violé… il avait faim… je lui ai donné à manger…

Il tremble à présent. La pluie battante trempe ses cuisses et ruisselle au bout de son pénis.

— Il y a des milliers de viols et de meurtres qui sont perpétrés chaque mois dans cette région, dit l’homme aux yeux bleus, flegmatique. Mais tu sais de quoi ils se souviendront dans dix ans, dans vingt ans ? Ils auront oublié toutes les saloperies commises par les leurs. C’est de toi et de tes potes qu’ils se souviendront…

Le colonel crache avec dégoût sur le sol boueux.

— En commettant cet acte, tu as bousillé tout le boulot fait par mes gars qui risquent leur peau, sale petit merdeux. Sans parler de ce pauvre gosse et de sa mère… Tu savais qu’un de ses frères était mort du palu et que l’autre l’a chopé ?

— Je suis désolé… je suis désolé…

Le soldat tatoué sanglote à présent.

— Ta gueule, dit l’homme aux yeux bleus. Montre que tu es un homme, bordel. Arrête de chialer comme un enfant. Boris…, ajoute-t-il.

À côté de lui, ledit Boris plonge la main dans un sac en toile de jute qui gigote depuis un moment. La terreur agrandit les pupilles du soldat attaché quand il découvre le serpent.

— Putain, non ! Pas ça !

Le serpent ne mesure pas plus de quarante centimètres de long. Son corps cylindrique est couleur vert feuille, avec de petites écailles et un ventre plus pâle, tirant sur le jaune, des taches noires sur les côtés qui forment deux bandes transversales.

Il s’agite dans le poing serré de Boris.

Son œil est petit et vif, fendu par une pupille noire et verticale, sur une tête triangulaire. Boris serre la gorge du reptile et le maxillaire s’ouvre grand, révélant un seul crochet.

— Il est encore jeune, dit l’officier, mais sa morsure est déjà potentiellement mortelle. Les effets les plus spectaculaires concernent la coagulation sanguine, l’envenimation entraîne des nécroses et des gangrènes qui peuvent être dévastatrices. À vrai dire, j’ignore les effets d’une telle morsure au niveau du pénis, mais on va pas tarder à le savoir, pas vrai ?

— Non ! Je vous en supplie, non ! hurle le soldat. Ne faites pas ça ! Je jure que ça n’arrivera plus ! Putain, vous pouvez pas me faire ça, mon colonel !

Le soldat fixe le serpent, le regard exorbité.

— Ne t’inquiète pas : on t’emmènera en urgence à l’hosto. Il te faudra sans doute jusqu’à 100 ml d’immunoglobines et des doses massives d’analgésiques car, au cours des premières quarante-huit heures, tu vas sacrément déguster, crois-moi. Il faudra aussi opérer et cureter la plaie sur ton pénis, dans un deuxième temps…

— Tu vas avoir un putain d’œdème sur la bite, tu l’auras jamais eue aussi grosse ! rigole le dénommé Boris.

La gueule grande ouverte sur son unique crochet, le serpent semble impatient de mordre. Le soldat tatoué pleure, supplie.

— Si tu t’avises un jour de rapporter ce qui s’est passé ici à qui que ce soit, ou de vouloir nous faire un procès, mes gars et moi nous témoignerons contre toi dans cette histoire de viol, et on fera en sorte que tes parents, ta sœur, tes amis, toute ta famille soient au courant de ce que tu as fait à ce gosse… Vas-y, Boris.

D’un seul pas, Boris a franchi le petit ruisseau. Il approche lentement la tête du serpent de sa cible. Le hurlement inhumain fait s’envoler tous les oiseaux de la forêt.

SAMEDI

39

LE JOUR ALLAIT se lever. Son approche ne se pressentait cependant qu’à une vague cendre grise à l’est et les éclairages publics n’étaient pas encore éteints. Les rues étaient désertes. Le confinement les avait vidées même si, à cette heure, il était rare qu’il y eût foule du côté de la place Esquirol.

Sur le Pont-Neuf, deux voies sur trois étaient fermées à la circulation à cause de travaux, mais la benne à ordures venue de la rue de Metz ralentit à peine en parvenant à hauteur des barrières orange. La lueur de son gyrophare se refléta dans les eaux sombres de la Garonne tandis qu’elle traversait le pont à vive allure. À l’arrière, les deux éboueurs se cramponnèrent, habitués aux prouesses du chauffeur.

Soudain, alors qu’ils filaient le long de l’unique voie disponible, ce dernier écrasa la pédale de frein et les deux hommes faillirent s’aplatir le nez contre le camion.

— Putain ! glapit João en sautant sur le trottoir, et en remontant vers la cabine à grands pas. Qu’est-ce qui te prend ? T’es malade ?

Quand il leva le regard vers son collègue là-haut, il ne reconnut pas l’expression sur son visage : il ne l’avait encore jamais vue. Le chauffeur fixait quelque chose à travers le pare-brise, les yeux écarquillés.

— Hé ! T’es sourd ou quoi ?

Son collègue tourna vers lui un visage cireux. Il montrait du doigt l’avant de son camion, sans articuler le moindre mot. João ne voyait pas ce que le chauffeur lui désignait, mais celui-ci paraissait drôlement secoué.

João fit donc quelques pas de plus, considéra la chaussée devant le véhicule. Il tressaillit, entendit ses poumons se vider et le son de sa propre voix :

— Sainte Mère de Dieu…

40

LA FARANDOLE tournoyante des gyrophares et la clarté crue des puissants projecteurs qu’on allumait sur le pont firent pâlir ce qui restait de nuit.

Des rubalises furent tendues à la hâte à hauteur des quais de Tounis et de la Daurade sur la rive est, de la place Laganne sur l’autre rive, interdisant l’accès aux piétons ainsi qu’aux véhicules et surtout instaurant une distance suffisante pour que journalistes et simples curieux armés de téléphones ne puissent photographier ni filmer ce qui se trouvait au milieu du pont.

Des policiers usés par des mois de manifs, de crise sanitaire et de plan Vigipirate se déployèrent, dressant tentes et bâches pour dissimuler aux regards la scène de crime, déroulant des dizaines de mètres de câblage électrique, contrôlant les accès.

Guillaume Drecourt, le nouveau procureur, devait se dire que, pour sa première année à Toulouse, il était particulièrement gâté. Peut-être regrettait-il déjà Besançon. Chabrillac s’entretenait avec lui quand Servaz et son groupe débarquèrent rue de Metz et firent le reste du chemin à pied, se faufilant parmi la foule qui grossissait de minute en minute.