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— Mais je me souviens qu’elle se termine par XS…, ajouta l’homme.

— Vous en êtes sûr ?

— Oui.

— Vous avez des caméras de surveillance quelque part ?

— Non, pas besoin : avec ma femme on vit au-dessus. Mais j’ai fait installer une alarme.

— Ce client, vous l’avez déjà vu téléphoner ?

— Pas que je me souvienne.

Servaz émit un soupir.

— Et lui, vous savez qui c’est ? demanda à son tour Samira en dégainant la photo de Lemarchand.

Le patron acquiesça. Il la dévisageait intensément.

— Il était là l’autre soir, en même temps que vous.

Comme elle attendait la suite, il continua :

— Il est venu une demi-douzaine de fois. D’ailleurs, maintenant que vous en parlez, il s’est passé un truc bizarre ce soir-là…

Tous les regards se braquèrent sur lui.

— Quel truc bizarre ? dit Samira.

— Eh ben, d’habitude, quand ce type vient dîner, il partage la table du colonel justement. C’est la première fois que je les voyais dîner séparément.

Servaz le fixa.

— Vous êtes sûr que vous ne confondez pas avec quelqu’un d’autre ?

L’homme lui lança un coup d’œil agacé.

— Évidemment que j’en suis sûr. Vous me croyez gâteux ? J’ai voulu conduire celui-là (il désignait la photo de Lemarchand) à la table du colonel, mais il m’a arrêté en me disant : « Je vais m’asseoir là. » Ils ne se sont même pas salués. J’ai cru qu’ils étaient fâchés…

Martin et Samira échangèrent un regard.

Il sut qu’elle pensait la même chose que lui : ils l’avaient piégée. Le mystérieux colonel, « l’homme aux yeux bleus », voulait voir à quoi elle ressemblait. Il voulait voir « l’ennemi » par lui-même. C’était lui le chef. Un vrai meneur d’hommes, un individu qui ne déléguait rien, qui ne faisait confiance qu’à son instinct. Et ce fantôme qui, jusqu’à présent, se tenait dans l’ombre d’où il tirait les ficelles venait de tourner vers eux son attention. Le vrai combat allait commencer.

De chasseurs ils étaient devenus chassés…

46

ILS ÉTAIENT ASSIS dans la voiture, sur le parking du restaurant. Dehors, la lumière déclinait, les collines se voilaient d’ombre. L’atmosphère était lugubre, pourtant certains devaient trouver que ce calme et cette nature ressemblaient au paradis.

— Ton type, il avait quel âge d’après toi ? demanda Servaz.

— Plus de soixante, estima Samira.

— Tu en es sûre ?

— Certaine.

— D’accord. Attrape ton téléphone et connecte-toi au SIV.

Le système d’immatriculation des véhicules… Elle s’exécuta, via la connexion sécurisée de son téléphone NEO, qui permettait aux officiers de police judiciaire comme aux chefs de groupe d’accéder à une dizaine d’applications métiers.

— Tu nous sors tous les Range Rover immatriculés dans le département de l’Ariège dont l’immat se termine par XS, dit-il.

— OK.

Quelques minutes passèrent.

— Alors ?

— C’est fait.

— Combien ?

— Neuf…

Il se pencha.

— Regarde les dates de naissance des propriétaires. Ceux qui sont nés avant 1965.

Un silence.

— Il n’y en a que deux, répondit-elle.

Il sortit son carnet pour noter.

— Donne-moi les noms et les adresses.

— Le premier s’appelle Bastien Dewolf. Habite avenue Rhin-et-Danube à Saint-Girons.

Il fit courir son stylo sur le papier.

— OK. Suivant.

— Thibault Donnadieu de Ribes. Il habite…

— Une minute…, dit Vincent derrière eux, penché sur son téléphone.

Ils s’interrompirent, se retournèrent.

— Qu’est-ce que tu fous ? demanda Samira.

— Google, c’est pas fait pour les chiens, répondit Espérandieu.

Ils attendirent une poignée de secondes.

— Bingo, dit-il en lisant ce qui s’affichait.

Il tourna l’écran vers eux.

— Général à la retraite Thibault Donnadieu de Ribes. Il a même sa fiche sur Wikipédia. Sacrés états de service. Ce type a plus de médailles qu’un ancien membre du Politburo. Et il a fait un paquet de guerres.

Bon sang, songea Servaz. Cette fois, ils tenaient leur homme.

L’homme aux yeux bleus…

Thibault Donnadieu de Ribes… Il essaya de se rappeler où il avait entendu ce nom. Car il était sûr de l’avoir déjà entendu. Soudain, ça lui revint : une histoire de militaires français en Afrique accusés de torture par d’autres militaires européens. Ils partageaient le même camp et les autres soldats avaient fait remonter les exactions dont ils accusaient les Français jusqu’à leur hiérarchie.

— C’est lui, dit-il.

Le silence qui suivit avait la densité de l’osmium et il leur sembla chargé d’une menace invisible mais palpable.

— Tu as l’adresse ? demanda-t-il.

Samira la lui donna.

LA FAÇADE CLAIRE se détachait sur le crépuscule, lequel passait de l’orange au violet. Samira effectua une marche arrière sur le chemin creux qui s’enfonçait parmi les arbres et les fourrés, de l’autre côté de la route. Elle éteignit les feux, coupa le contact. Ils contemplèrent le château à travers la herse du portail.

— Sacrée bicoque, fit Vincent à l’arrière.

— On va entrer ? demanda Katz à côté de lui.

— Pas sans commission rogatoire.

Servaz ouvrit la portière.

— Restez ici…

Il descendit. La nuit allait être glaciale ; la température avait chuté, mais il gardait encore un peu sur lui de la chaleur de l’habitacle, et il eut juste la sensation d’une pellicule froide et humide sur son visage quand il remonta le sentier dans la pénombre. Il souleva le col de sa veste, émergea au bord de la route et se mit en devoir de longer l’accotement herbeux parallèlement au mur d’enceinte qui s’étirait de l’autre côté de la chaussée. Par endroits, le mur était effondré. Servaz se dit que ça devait coûter bonbon d’entretenir pareil domaine. Il marcha vers l’ouest un moment, avant que la route n’amorce un virage sans cesser d’épouser le tracé du mur d’enceinte.

Il continua sur une trentaine de mètres après le tournant. Jusqu’à l’endroit où le mur s’interrompait, remplacé par un grillage. Servaz stoppa. Il venait d’apercevoir, au travers du grillage et entre les troncs des chênes, ce qui ressemblait fort à des écuries. Plusieurs bâtiments dont les masses rougeoyaient dans le soir, avec autour d’eux des prés bordés de barrières blanches. Le crépuscule allongeait de grandes ombres mélancoliques. Son pouls se fit plus rapide. Il repensa à ce que Fatiha Djellali avait dit au sujet de la paille retrouvée sous les pieds de Kevin Debrandt…

Revenant sur ses pas, il reprit place sur le siège passager.

— T’as trouvé quelque chose ? demanda Samira qui s’impatientait.

— Des écuries…

Ils firent silence, méditant sa réponse.

— Ne tirons pas de conclusions hâtives, tempéra-t-il en devinant leurs pensées. Il y a beaucoup de centres équestres dans le secteur.

Mais, tout au fond de lui, il le savait : c’était ici. Il n’avait plus le moindre doute. Restait à convaincre le juge.

À TRAVERS SES JUMELLES de vision nocturne, Kievert les observait. Il compta quatre personnes dans la voiture. L’aide de camp du général enregistra mentalement le numéro de la plaque d’immatriculation. Mais il savait déjà qui ils étaient.