Sans s’attarder sur sa fiche Wikipédia, elle passa en revue les résultats suivants, parcourut les trois interviews qu’il avait données au cours des dix dernières années jusqu’à sa mise à la retraite. Dans chacune, le mot « justice » revenait.
Elle était de plus en plus perplexe. Que devait-elle faire de ça ? Il ne s’agissait pas seulement d’écrire un bon article – ça allait bien au-delà…
À cet instant, elle prit une décision : elle allait transmettre l’information à la police. Elle l’échangerait contre un bon scoop, mais quoi qu’il en soit ils devaient se pencher là-dessus. Avant qu’il n’y eût d’autres morts. Attrapant son téléphone, elle hésita. Si Raphaël refilait sa découverte à Servaz, il se démasquerait en tant que source et ce serait la fin de sa carrière.
Sauf s’il feignait d’avoir déniché lui-même l’information…
Elle lui envoya un message, lui demandant de la rappeler en urgence. Il mit cinq bonnes minutes à le faire.
— Qu’est-ce qu’il y a ? dit-il. J’ai rien de nouveau.
— Moi si.
— Intéressant ?
— Pas par téléphone…
Il soupira :
— Je suis occupé là, Kopelman. Tu peux pas m’en dire plus ?
— Je crois savoir qui est derrière tout ça…
Un long silence au bout du fil.
— Sérieux ?… Et tu veux pas me le dire au téléphone, c’est ça ?
— C’est ça.
— C’est un flic… ?
— Pas celui qui dirige… Plutôt un militaire, ajouta-t-elle.
Nouveau silence.
— Un gradé ?
— Arrête de poser des questions. Je t’en dirai plus ce soir. Faut que je fasse encore quelques recherches. Ça serait bien que tu trouves le moyen d’orienter l’enquête de ton groupe sur cette personne, d’une manière ou d’une autre. Je veux vous aider : ce qui se passe est beaucoup trop grave. Sinon, je peux toujours en parler directement à Servaz…
— Non, non, c’est bon, je m’en occupe. Où et quand ?
— Devant Sami Kebab, ce soir à 20 heures.
— J’aime pas les kebabs, c’est trop gras, dit-il. Mais j’y serai.
51
10 H 45 DU MATIN. Quinze degrés dans la voiture et dix de moins à l’extérieur. Pas de buée sur le pare-brise. Garé dans l’étroit chemin de l’autre côté de la route, entre les feuillages, il distinguait parfaitement la façade du château, au-delà de la herse rouillée.
Il perçut le stress qui montait. Tant mieux. Un niveau de stress approprié a un effet stimulant, augmente votre capacité de concentration, alors qu’un stress insuffisant provoque inertie et apathie et un stress trop important épuisement et désorganisation.
La vitre entrouverte, il allumait sa troisième cigarette quand il entendit un bruit de moteur sur la route.
Servaz vit les grilles s’ouvrir et une BMW gris métallisé ralentir avant de pénétrer lentement dans le parc du château. Téléphone levé, il zooma sur l’immat, prit une photo, sortit son téléphone NEO et se connecta au système d’immatriculation des véhicules. Puis il appela Vincent, qui, à l’heure qu’il était, devait assister à l’autopsie de Kevin Debrandt.
— Du nouveau ? demanda-t-il.
— On commence tout juste. Pour le moment rien.
— Très bien. Quand tu auras fini, je veux que tu entres un nom dans la bécane. Lionel Meslif. Vérifie si c’est quelqu’un de chez nous… Tu veux que j’appelle Samira ?
— Non, c’est bon. Laisse-la souffler. Tu es où ?
— Devant le château…
Un silence.
— Bon Dieu, Martin, qu’est-ce que tu fous là-bas tout seul ?
— T’inquiète. Je suis juste en observation.
— Ouais… Bon dimanche à propos.
LA DEUXIÈME VOITURE – une Toyota Prius bleue – apparut cinq minutes après la BMW. Il renouvela l’opération. Même chose avec un SUV, puis deux tout-terrain un peu plus tard. Réunion au sommet, se dit-il. Ils devaient commencer à être à cran, s’il en croyait leurs réactions de la veille : Samira l’avait appelé. Elle lui avait parlé des hommes en planque toute la nuit en bas de son immeuble.
Ils étaient aux abois…
— LIONEL MESLIF est bien de la maison, dit Espérandieu au téléphone. Capitaine à la brigade anticriminalité de Toulouse. Idem pour Fabien Stohr, qui est major à la CSI-31. Pascal Champetier, lui, est substitut du procureur au parquet de Toulouse. Les deux autres sont des militaires : un officier du 8e RPIMA de Castres et un sous-officier de la 13e brigade de la Légion étrangère à La Cavalerie.
Cette fois, il avait au moins une partie du groupe. Et ses pires craintes se confirmaient. Des flics, des magistrats, des militaires. Ils auraient intérêt à présenter du solide quand ils les déféreraient, ça allait créer des remous jusqu’en haut lieu.
Il savait pertinemment que, pour l’instant, ce n’était pas le cas, qu’ils n’avaient rien de concret, que des éléments indirects : les coups de fil, le restau, le van de Lemarchand sur les vidéos de surveillance de la banque, la paille sous les pieds de Kevin Debrandt et « l’homme aux yeux bleus », selon le témoignage d’une gamine traumatisée qui ne l’avait pas vu elle-même mais qui avait entendu l’une des victimes en parler…
Trop léger. Insuffisant.
Deux autres véhicules firent leur apparition. Il les prit en photo. Le gars du département véhicules avait dit qu’il y avait deux berlines et un van dans la clairière la nuit où Moussa était mort, mais il avait été incapable d’en déterminer les marques. Là encore, ils manquaient de preuves directes…
Ils étaient tout près pourtant…
Pas assez cependant. Les types en face le savaient. C’est pourquoi ils avaient eu l’audace de chercher à les intimider. Il scruta les environs. Il était facilement repérable sur ce chemin, bien qu’il eût reculé dans l’ombre des feuillages qui griffaient les portières et les vitres. Il suffirait d’un reflet sur le pare-brise ou la carrosserie. Le soleil brillait trop fort. Il aurait préféré qu’il pleuve.
Soudain, son téléphone NEO retentit. C’était Katz.
— Ils m’ont contacté, dit celui-ci.
— Quand ?
— Hier soir.
— Qui ça ?
— L’un d’entre eux. Je ne sais pas son nom. Il ne s’est pas présenté. Quelqu’un de la maison, en tout cas.
— Qu’est-ce qu’il t’a dit ?
Raphaël lui rapporta les propos du flic au Perfecto. Sa voix était hachée. La connexion était mauvaise.
— Laisse-les revenir vers toi, dit Servaz. Ça ne devrait pas tarder. Ils vont vouloir savoir ce qu’on a… Ils vont remuer ciel et terre pour l’obtenir.
— Tu es où ? demanda le jeune lieutenant. Chez toi ? J’entends des oiseaux.
— Non. Devant le château…
— Et… ?
— Ça bouge. Je crois que j’ai identifié une partie du groupe.
Un silence.
— Tu veux que je vienne ?
— Merde ! s’écria soudain Servaz.
— Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?
— Rien, je viens de faire tomber de la cendre sur mon pantalon. Tu as de quoi noter ?
— Oui.
— File au commissariat et vois tout ce que tu peux trouver sur Lionel Meslif, M-E-S-L-I-F, un flic de la BAC de Toulouse, Fabien Stohr, ça s’écrit S-T-O-H-R, affecté à la CSI-31, et Pascal Champetier, substitut.