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— OK. T’es sûr qu’ils ne t’ont pas repéré ? C’est pas un peu risqué d’être là-bas sans appui ?

Mais Servaz avait déjà coupé la communication.

IL RÉFLÉCHIT un moment. Au loin, l’orage grondait. Autour de lui, c’était le silence. Aucun signe de vie du côté du château, mais il apercevait toujours leurs voitures dans le parc. Il appela le divisionnaire.

— Il faut que je vous voie.

— Je vous avais dit à midi dans mon bureau, Servaz, répliqua Chabrillac. Vous êtes où, bon Dieu ?

— En Ariège.

— Hein ? Qu’est-ce que vous foutez là-bas ? Je vous ai dit que je voulais savoir ce qui se passe ! Vous vous prenez pour qui ? Et vous me prenez pour qui ?

Servaz laissa le divisionnaire se soulager.

— Je sais qui ils sont…, déclara-t-il en fixant la façade du château entre les feuillages.

— Quoi ?!

Il devina la stupeur du commissaire. Il le laissa mariner une seconde.

— Mais c’est un terrain miné, ajouta-t-il. Il faut qu’on parle.

— Comment ça, « un terrain miné » ?

— Pas au téléphone…

Il entendit distinctement Chabrillac soupirer.

— Très bien. Vous pouvez être ici dans combien de temps ?

— Un peu plus d’une heure.

— D’accord. Je vous attends.

Servaz raccrocha.

Il était 12 h 15, ce dimanche 1er novembre. Il mit le contact sans quitter des yeux la façade du château. Là-bas, il le savait, quelque chose se préparait. Quelque chose qui les concernait sûrement, lui et son groupe.

52

IL MIT WEST Ryder Pauper Lunatic Asylum de Kasabian très fort dans les enceintes. Ça, c’est du lourd, hein ? lança-t-il silencieusement à l’adresse de son voisin étudiant. Comme chaque fois qu’il était stressé, il sortit les pinces électriques du tiroir de la commode. Se déshabilla. Dès les premières décharges, il sentit la chaleur l’envahir, comme si on lui injectait de l’iode, ses muscles se contracter, la rigidité soudaine de son sexe, la sueur qui l’inondait. Il caressa sa chair gonflée, traversée par le courant. Il gémit longuement.

Quand il eut éjaculé dans une serviette de bain, il se doucha rapidement puis attrapa le téléphone fantôme planqué sous le linge et appela le numéro qu’on ne devait composer qu’en cas d’urgence.

— Raphaël ? dit la voix, surprise. Qu’est-ce qu’il y a ?

Il hésita.

— Mon général, dit-il en s’asseyant, nu, au bord du lit, je crois que vous devez savoir ce qui vient de se passer.

Raphaël lui rapporta les propos de la journaliste. Le général l’écouta en silence.

— Vous allez faire quoi ? osa demander le jeune flic quand il eut terminé.

— Ce n’est pas ton problème, répondit la voix. Moins tu en sais, mieux c’est. Tu es sûr que ton commandant ne soupçonne rien ?

— Certain. Depuis que l’un de vos hommes m’a approché, il croit au contraire que je suis en train de réussir à m’infiltrer dans votre groupe, répondit Katz.

Il eut l’impression que le général souriait à l’autre bout.

— Il est malin, dit ce dernier. Te demander de te faire remarquer en prononçant en public des phrases qui te font passer pour quelqu’un qui approuve notre action, c’était une idée plutôt astucieuse. Oui, je t’ai envoyé une personne qui ne sait pas que tu es déjà des nôtres…

Un silence.

— Mais toi, Raphaël, tu es la pièce maîtresse dans notre jeu, compléta le général, j’espère que tu en es conscient. Tu donnes à la presse les informations que nous voulons voir filtrer et tu es aussi notre cavalier : celui qui avance de biais et qui va mettre le roi noir en échec, avant que je lui fasse échec et mat. Beau travail. Ton père serait fier de toi…

Le général mit fin à la conversation. Katz reposa le téléphone, finit de s’essuyer – entre les cuisses, sous les aisselles, les bras, le torse. Un flamboiement dans sa mémoire. Son père et un officier supérieur aux yeux bleus devisant dans le parc de leur maison de campagne, perchée sur les collines du Tarn, là où celles-ci ressemblent à la Toscane. Son père disant, en ébouriffant les cheveux de Raphaël, à celui qui était alors le colonel Donnadieu de Ribes et aussi son parrain : « Raphaël veut entrer dans la police. » Un autre flamboiement : le général et lui au château, célébrant la fin de sa formation à l’école de police, le général plongeant ses yeux bleus dans les siens et déclarant : « Ton père était un grand flic, on lui a coupé les ailes. Des hommes comme lui, il y en a de moins en moins. Aujourd’hui, c’est le règne des hommes petits, des hommes faibles, à la cervelle pleine de fadaises, de songes creux. Tous leurs beaux discours débordant de bons sentiments ne servent qu’à masquer avec des mots leur faiblesse et leur inaptitude à l’action. Mais toi, Raphaël, tu es de la même trempe, du même acier que ton père… Il faut que je te parle de quelque chose. Mais avant, tu dois me donner ta parole d’honneur que cela restera entre nous. » C’était aussi le général qui l’avait incité à postuler pour la PJ de Toulouse, le général encore qui, quatre jours plus tôt, l’avait appelé en urgence pour lui demander d’entrer en contact avec cette journaliste qui avait écrit l’article sur Moussa. Comme toujours, en bon joueur d’échecs, le général avait un coup d’avance.

— BON DIEU ! s’exclama Chabrillac à l’hôtel de police. Si c’est vrai, c’est énorme. Ça va être un cataclysme…

Il regardait Servaz sombrement, allant et venant dans le grand bureau. Martin avait fait le chemin du retour comme il avait fait celui de l’aller : sans être soumis au moindre contrôle d’une éventuelle attestation, ni de ses papiers d’identité ou de police, en dépit du confinement.

— On ne peut pas continuer comme ça, décida le divisionnaire. Il y a trop de policiers impliqués. On doit passer le dossier à l’IGPN, informer la hiérarchie…

Servaz se raidit.

— Laissez-nous au moins quelques jours, patron. Pour l’instant, on n’a que des éléments indirects. Pas de preuves. Mais on est vraiment tout près… On a leurs noms, on sait qui ils sont, qui dirige… Ce n’est qu’une question de temps. On les tient.

Chabrillac émit un puissant soupir de contrariété.

— Vous êtes bien conscient qu’on nage en eaux troubles là ? Il me faut du concret, commandant. Vite. Sinon on va se faire laminer.

Il pointa un doigt boudiné sur Servaz.

— D’accord, allez-y. Mais vous ne sortez pas des clous. Vous restez irréprochable question procédure. Je veux que tout soit propre, carré, net, précis : pas de coups tordus, pas d’écoutes illégales, pas d’entourloupes, c’est compris ?

Servaz acquiesça d’un signe de tête, soulagé. Chabrillac se rassit dans son fauteuil.

— Je vais informer le juge moi-même, dit-il en décrochant son téléphone. Ça aura plus de poids. Beau travail, ajouta-t-il. Vous pouvez m’appeler à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Et surtout, tenez-moi au courant.

Il avait rêvé ou le divisionnaire venait de lui faire un compliment ?

— TU AS TROUVÉ quelque chose au sujet de Meslif, de Stohr et de Champetier ? demanda-t-il à Katz quand ils furent réunis.

Espérandieu était rentré de l’unité médico-judiciaire, Samira était encore en tenue de jogging, Katz avait une mine de déterré. Tous avaient des cernes sous les yeux.

— Pas grand-chose, répondit Raphaël. Sauf un truc… Il y a un peu plus d’un an, Fabien Stohr a eu des problèmes avec l’étudiante qui aidait ses gosses à faire leurs devoirs de maths. Elle l’a carrément accusé d’agression sexuelle…