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Il marqua une pause, histoire de leur laisser le temps d’assimiler l’information.

— Comme vous le savez, cette année la sortie de promotion a été retardée par la crise sanitaire. Vu son classement, le lieutenant avait le choix d’affectations plus… hmm… prestigieuses, mais il a choisi Toulouse. Je compte sur vous pour lui faire le meilleur accueil. (Il se tourna vers le jeune policier.) Vous serez placé sous les ordres du commandant Servaz, lieutenant, comme vous en avez émis le souhait.

Chabrillac sortit. Servaz fixait le nouveau venu, perplexe. Depuis quand un élève de l’école de police, même avec d’excellentes notes, élisait son groupe d’enquête ? Le jeune lieutenant blond les salua d’un signe de tête, à défaut de poignée de main.

— J’ai beaucoup entendu parler de vous, commandant, dit-il. À l’école, on avait un prof un peu anticonformiste – le seul qui s’autorisait à sortir des clous –, il aimait à citer vos enquêtes en exemple une fois le cours terminé et en petit comité…

— Pas pour leur côté académique, j’imagine.

Katz dut sourire derrière son masque. En tout cas, ses yeux riaient.

— Non, en effet. Mais c’est précisément leur côté iconoclaste, votre regard neuf sur les choses, votre… anticonformisme radical, pour le citer, qui l’intéressait. À travers vous, il nous apprenait à remettre en question les vieux schémas, à aller plus loin que les évidences. Mais, bien entendu, il le faisait discrètement.

— Mm-mm, fit Servaz qui connaissait le côté déconnecté de la réalité des cours enseignés à l’école de police.

Il jeta un coup d’œil à Samira – qui couvait le nouveau venu d’un regard à la fois indécis et évaluateur. Servaz devina que, pour ce qui était du physique, elle lui avait déjà attribué une bonne note. Athlétique, le lieutenant Katz portait beau pour ce qu’ils en voyaient. Servaz était sûr qu’il y avait une belle gueule sous ce masque.

— J’ai demandé à être affecté à Toulouse parce que j’ai grandi dans la région, expliqua-t-il, mais j’avais aussi le… secret espoir de travailler avec vous…

Servaz prit un air étonné :

— Qui veut encore être policier en 2020 ? demanda-t-il. Et parmi ceux qui le veulent, qui veut encore bosser en PJ ? Trop de travail, une procédure pénale trop pesante, trop d’heures sup pour trop peu de résultats, être disponible H24, sacrifier sa vie personnelle, se taper des tonnes de paperasse : ça n’attire plus les jeunes à la sortie de l’école aujourd’hui…

Il dévisagea Katz :

— Et vous pourtant, avec vos notes, vous demandez la PJ…

— Comme je l’ai dit, commandant, à l’école de police vous êtes une véritable légende. Travailler avec vous, c’est comme un rêve qui se réalise. Je sens mon taux de sérotonine qui grimpe en flèche, là, ajouta-t-il.

Servaz haussa un sourcil.

— Votre quoi… ?

— Mon taux de sérotonine… Vous savez que chez les homards la chimie du cerveau diffère considérablement entre un homard vaincu et un homard vainqueur ? En cas de victoire, le taux de sérotonine augmente fortement, alors que le taux d’octopamine diminue. En cas de défaite, c’est exactement l’inverse. Un fort taux d’octopamine produit des homards déprimés et peureux – alors qu’un fort taux de sérotonine produit des homards sûrs d’eux, détendus et fougueux.

— Putain, murmura Samira dans le dos du nouveau venu, assez fort pour être entendue.

Katz se retourna. Il détailla Samira de haut en bas avec cette nuance de perplexité que l’allure de la Franco-Sino-Marocaine provoquait toujours la première fois. La plupart des gens la dissimulaient. Pas lui. Katz était un homard sûr de lui, bourré de sérotonine…

— Je vais chercher mes affaires ! dit-il, enthousiaste, en se dirigeant vers la porte.

Dès que le blond fut sorti, elle considéra Servaz puis Vincent :

— Des… homards ?… Sans déconner ? Putain, on a hérité d’un premier de la classe. Et en plus, il ressemble à un nazi…

Servaz fronça les sourcils.

— Quoi ? Qu’est-ce que j’ai dit ? J’ai dit qu’il ressemblait à un nazi, pas qu’il en était un…

4

SOUS LES RAYONS du scialytique, le corps était dépourvu d’ombres portées, chaque détail de son anatomie, chaque pore de sa peau, chaque pli aussi net et visible qu’un cratère lunaire sous la lumière du soleil. Il était 17 h 30. Ils avaient passé la journée à se répartir les tâches et à expédier les affaires courantes en attendant l’appel de la légiste.

Soudain, dans les haut-parleurs, retentirent les premières notes d’une musique sauvage, grandiloquente, avec des chœurs et une voix de femme en arrière-plan. Raphaël Katz et l’officier de gendarmerie se figèrent.

— Bordel ! dit le jeune lieutenant.

Il retint son souffle.

— Eclipse, Pink Floyd, dit-il encore. La version de Hans Zimmer pour le film Dune… C’est… dingue !

Dans la seconde suivante, son beau visage encadré d’une chevelure d’un noir de jais, Fatiha Djellali fit une entrée aussi solennelle qu’une vestale romaine portant le feu sacré. Elle s’avança dans la vive clarté et la musique, et même Servaz ne put s’empêcher d’avoir la chair de poule. Il leva les yeux vers Katz, celui-ci était très pâle.

— Première autopsie ? demanda-t-elle au jeune enquêteur en coupant la musique.

Katz hocha la tête. Le Dr Djellali regarda Servaz :

— Martin, si je ne te connaissais pas, je dirais que ça ressemble à un bizutage.

Et comment, que c’en est un, songea-t-il. Il savait que la musique ferait son petit effet. C’était la seule bizarrerie du Dr Djellali, cette mise en scène de mauvais goût. Sans doute sa façon à elle de se préparer, de se concentrer, comme un boxeur avant de monter sur le ring. Il savait aussi que Katz avait déjà assisté à une autopsie à l’école de police, mais dans un amphithéâtre, c’est-à-dire loin du corps, et sans les odeurs.

— Les empreintes…, dit-il.

— Ça vient, répondit-elle.

Le Dr Djellali retira les sachets transparents autour des mains. À l’aide d’une brosse, elle procéda en douceur au curage des ongles, puis au prélèvement de l’ADN sur la pulpe des doigts, aussitôt mis sous scellés, avant de relever les empreintes digitales. Une fois les relevés effectués, elle tendit les fiches décadactylaires à son assistant, un grand type barbu et mutique, qui se dirigea sans un mot vers un ordinateur posé sur une paillasse.

Elle mit en route l’enregistreur.

— Nous commençons l’examen externe du corps. Il mesure un mètre quatre-vingt-deux, pèse soixante-neuf kilos, très mince, peau sombre à très sombre, absence de tatouages et de malformations, mais on constate… oui… de nombreuses blessures et coupures à hauteur des jambes, des bras et du torse…

Elle les décrivit une par une, les mesura, attendit que le photographe de l’Identité judiciaire présent les eût mitraillées sous tous les angles.

— Ces blessures ont sans doute été provoquées par des branches ou des pierres pendant qu’il courait dans la forêt. On effectuera des prélèvements qui devraient nous le confirmer.

Elle s’approcha de la tête de la jeune victime, la prit entre ses mains gantées et la remua doucement pour éprouver la rigidité du cou. La peau du visage était arrachée côté gauche, laissant la chair à vif, le blanc des yeux injecté.

— Cheveux bruns, courts, frisés, énonça-t-elle. Barbe de trois à quatre jours. Épiderme arraché, abrasions et érosions multiples au niveau du temporal, du malaire et du maxillaire inférieur gauches…