Выбрать главу

— Bel… mont ! Cette charmante famille américaine chez qui Aldo et Adalbert ont fait un séjour si pittoresque il y a deux ans dans leur château de Newport quand ils traquaient les joyaux de Bianca Capello ! Vous n’avez pas oublié au moins ?

Impérieux, ses yeux vert clair interdisaient toute considération hors de saison et Marie-Angéline ramassa ses cartes, piqua du nez et se contentant d’un :

— Ooh ! Je me souviens !

— Ainsi il était là ? reprit la marquise souriant à son invité, mais ce fut Aldo qui répondit :

— C’est lui qui porte plainte. Mme d’Anguisola était sa tante ! En annonçant son retour, elle leur avait écrit qu’elle rapportait ses bijoux pour en faire don à… à la famille !

Mais il était particulièrement difficile de stopper Plan-Crépin dans son élan lorsqu’une idée se logeait dans sa tête. Tout en étalant à nouveau ses cartes, elle ouvrait la bouche pour une nouvelle question quand Wishbone l’interrompit en annonçant son départ : dès le lendemain matin, il prenait le train-paquebot pour Cherbourg afin d’embarquer le soir même sur le Paris de la Compagnie générale transatlantique.

— Comment, si vite ? se récria son hôtesse. On va procéder à une enquête, je suppose ?

— Oui, mais on n’a pas besoin de moi et j’ai une très, très, très énorme hâte de porter la splendide nouvelle à la magnifique Lucrezia Torelli ! Elle va être si tellement contente d’apprendre que le bijou qu’elle désire tant n’a pas fait naufrage !

— Au fond, reprit Aldo, si elle croyait la Chimère irrécupérable à ce point, c’était pour vous demander l’impossible en vous expédiant la chercher au bout du monde ! N’était-ce pas une façon de se… débarrasser de vous ?

Il avait hésité sur la dernière partie de sa phrase mais Cornélius, loin de se vexer, n’en rayonna que de plus belle.

— Absolument pas ! C’est moi qui lui avais promis et vous savez jusqu’où j’avais décidé d’aller pour la satisfaire !

— J’admire vos certitudes ! Même en considérant ce que nous avons appris aujourd’hui, les chances de récupérer la Chimère sont des plus minces…

— Si vous n’y parvenez pas, on ira voir cette miraculeuse dame chez…

— Cartier !

— C’est ça… et on reviendra à ma première idée ! conclut-il triomphalement.

— Je me demande si on ne devrait pas y revenir tout de suite ! marmotta Morosini pour lui-même.

Et il se promit d’aller se balader rue de la Paix avant de quitter Paris, soit pour suivre un début de piste s’il en trouvait un, sinon pour savoir au moins si c’était réalisable ! Après quoi il rentrerait chez lui.

Pour le moment on passa à un autre sujet : la façon dont la Torelli interprétait ses rôles, par exemple. Il s’en serait voulu de causer une peine même légère à ce gentil bonhomme qui avait su d’emblée conquérir sa sympathie. Là-dessus, bien sûr, il était intarissable !

Le dîner achevé, Cornélius remonta préparer ses bagages. Aldo qui, tout au long du repas, n’avait pas manqué d’observer la lueur guerrière allumée dans les yeux « couleur de miel » – d’aucuns les auraient qualifiés de jaunes ! – de Plan-Crépin annonça son intention d’aller faire un tour chez Adalbert dont il savait qu’il ne se couchait jamais de bonne heure.

Les grilles du parc Monceau étaient fermées à cette heure tardive, ce qui obligeait à un assez long détour pour gagner la rue Jouffroy. Il prit la voiture qu’il louait désormais chaque fois qu’il venait à Paris afin de ne pas perdre de temps à la recherche de taxis qui se raréfiaient toujours quand on avait besoin d’eux… Cela ne l’empêchait pas de regretter son vieil ami Karloff, ex-colonel de la cavalerie du Tsar, qui menait sa voiture comme son cheval à la tête d’une charge mais qui, après son accident, s’était reconverti dans la mécanique automobile en achetant un garage de compte à demi avec un compatriote(7).

Il avait à peine quitté la maison que Marie-Angéline donnait libre cours à sa mauvaise humeur que seul le regard impérieux de Mme de Sommières avait maintenue dans les limites de la bienséance.

— Je le sentais ! s’était-elle écriée en entendant le portail se refermer derrière Aldo. Quelque chose me disait que l’arrivée de ce gardien de vaches ne nous amènerait rien de bon ! Quand il a prononcé le nom de Belmont, j’ai auguré…

— Rien du tout ! coupa sa patronne et cousine en frappant le parquet d’un violent coup de canne. Et je vous défends formellement de transformer cette maison en champ de bataille. Les Belmont sont d’excellents amis d’Aldo et d’Adalbert et nous les recevrons ici autant qu’il plaira à mon neveu de les inviter. D’ailleurs il n’a été question jusqu’à présent que de M. Belmont…

— Peut-être, mais de même que j’ai soupçonné que ce Wishbone avait des rapports avec lui, de même je suis persuadée qu’il n’est pas venu seul et que cette Pauline…

— Ça suffit, Plan-Crépin ! Si vous avez une fois de plus raison et si elle franchit le seuil de cette maison – ce qui ne manquera pas de se produire ! –, je vous rappelle qu’il s’agit d’une femme remarquable, et d’une artiste reconnue pour laquelle j’ai de l’amitié ! Elle est pleine de cœur, intelligente et belle et…

— … et éperdument amoureuse d’Aldo !

— C’est possible…

— Ce n’est pas possible, c’est certain !

— Je vous l’accorde… encore que je ne l’aie jamais vue lui sauter au cou pour le couvrir de baisers ! En revanche, c’est avec Lisa qu’elle en a échangé un quand elles se sont rencontrées chez ce pauvre Vauxbrun ! Alors, s’il vous plaît, du tact et de la retenue si vous ne voulez pas que je vous envoie faire une cure au bon air de la montagne chez la cousine Prisca ! Tiens, j’y pense, c’est chez elle que l’on devrait emmener ce cher Wishbone ! Ses vaches et les taureaux de Saint-Adour devraient s’entendre à merveille ! Quant à vous, je ne plaisante pas : ou vous vous tenez tranquille ou vous partez voir Prisca !

— Nous ferions cela ? gémit l’accusée.

— Sans hésiter ! Même si Mme Belmont, ou la baronne von Etzenberg ou encore Pauline, quelle que soit son appellation, a su se ménager une petite place dans le cœur d’Aldo, il n’a jamais cessé d’aimer sa femme et ne cessera pas de sitôt !

Un soupir découragé mit fin à l’entretien.

Comme le pensait Aldo, il était beaucoup trop tôt pour qu’Adalbert soit couché et pas davantage Théobald, son inappréciable valet à tout faire. Un torchon à vaisselle à la main et un large sourire plaqué sur le visage, celui-ci vint accueillir le visiteur nocturne avec un plaisir évident :

— J’espérais bien qu’il ne se passerait pas un long temps avant que je n’aie la joie de voir Monsieur le prince ! s’écria-t-il.

— Comment ça va, Théobald ?

— Bien, bien ! Je remercie Monsieur le prince. Monsieur est dans son bureau. Il travaille à son livre…

Mais « Monsieur » arrivait déjà, attiré par le triple coup de sonnette annonçant Aldo, le seul qui usât de ce code convenu… Toujours tiré à quatre épingles, l’égyptologue – sauf évidemment sur les chantiers de fouilles ! – se délassait en adoptant chez lui un style beaucoup plus décontracté : une vieille – mais si confortable ! – veste d’intérieur en velours brun à brandebourgs, un pantalon de pyjama et une paire de charentaises.

— Ah ! J’attendais un peu de tes nouvelles ! Ça s’est bien passé, cette vente ? fit-il en décoinçant la pipe qu’il serrait entre ses dents. Théobald, du café !…