Выбрать главу

— Vous pourriez peut-être vous souvenir qu’il m’est arrivé de vous donner un coup de main et que, dans vos histoires vaseuses, j’ai failli laisser ma peau au moins deux fois ! Donc, avant que je réponde à vos questions, répondez vous-même à la mienne : comment va Miss Adler ?

— Elle vit encore. Le cœur n’a pas été touché mais il y a d’autres dégâts. En outre, sa santé n’est pas des meilleures, si j’ai bien compris. Le professeur Aulagnier est en train de l’opérer.

— Où est Belmont ?

— Dans la salle d’attente. Je vais vous y conduire, mais racontez-moi d’abord ce que vous savez !

Calmé, Morosini fit un récit aussi complet que possible de sa matinée.

— Qu’est-ce que c’était que ce journal qu’elle avait tellement hâte de lire ?

— Je n’ai pas eu cette curiosité et me suis contenté de le remettre sous son bras, mais j’ai l’impression que l’assassin l’a emporté dans sa fuite : c’était la seule chose qui manquait parmi les paquets répandus sur le tapis du Ritz !

— Ils venaient d’où, ces paquets ?

— La Grande Maison de Blanc à l’angle de la place de l’Opéra.

— Je sais où c’est, merci ! Donc elle a dû acheter son canard au kiosque du coin. Je vais envoyer l’inspecteur Bon interroger le marchand. Il se souviendra peut-être d’elle ! Il devrait y avoir une photo ou un titre qui a attiré son attention !

— Laissez-moi m’en occuper ! Je vais ramener Belmont à l’hôtel et je…

— Vous voulez que je vous embauche ?

— Grands dieux non ! Je n’ai pas le goût du martyre ! Je pense seulement qu’on se méfiera moins de moi que d’un policier en exercice. En outre, je l’ai tenu dans mes mains, ce journal… et au besoin je les achèterai tous !

— On n’a évidemment pas les mêmes moyens ! Un flic de luxe, en quelque sorte ? Bon, allez-y ! En attendant, rejoignons M. Belmont ! Il doit se sentir un peu abandonné.

Mais il ne l’était pas : Pauline était avec lui… et aussi le Napolitain qui apparemment ne la quittait plus d’une semelle. Quand la porte s’ouvrit, Aldo la vit en face de lui. Il vit aussi son regard s’éclairer et l’élan vers lui qu’elle retint de justesse, mais ce ne fut qu’un instant. Resta cependant un sourire qu’il jugea un rien automatique.

— Aldo ! Quel plaisir de vous revoir ! Il me semble qu’il y a des siècles…

— Il ne m’est pas apparu si long à moi ! répliqua-t-il après avoir baisé la main qu’elle lui tendait. Il est vrai que ma vie est plus que… mouvementée ! Demandez plutôt au commissaire Langlois : il trouve que j’en fais trop !

— Et Adalbert ? Comment se porte-t-il ?

— Au mieux ! Vous ne tarderez pas à le voir, je pense !… Croyez que je suis désolé de ce qui est arrivé à votre femme de chambre…

— Qui est-ce ? interrogea l’adorateur de Pauline sans s’encombrer inutilement de politesse, mais ce fut Belmont qui se chargea de la réponse.

Belmont qui d’ailleurs n’avait pas l’air d’apprécier outre mesure la présence du bel Ottavio.

— Qu’est-ce que ça peut bien vous faire ? On n’est pas ici dans un salon, mais si vous y tenez… Mon cher Aldo, voici le comte…

— Fanchetti ! souffla Pauline, visiblement inquiète.

— C’est ça ! Fanchetti, je vous présente « au » prince Morosini…

Aldo l’aurait embrassé : son petit « au » qui ne payait pas de mine était en réalité un chef-d’œuvre d’insolence. Sans se serrer la main, les deux hommes inclinèrent le buste dans un style vaguement japonais en se déclarant « enchantés ». Un de ces gros mensonges mondains comme il s’en profère à chaque instant, après quoi Aldo se tourna vers Belmont :

— Que comptez-vous faire ? Attendre l’issue de l’opération ?

— Il est inutile que nous restions tous ! C’est à moi d’attendre le verdict du chirurgien, dit Pauline. Helen est ma femme de chambre. Donc, je reste. Vous pouvez partir avec Aldo, John-Augustus ! On se retrouvera ce soir à l’hôtel !

— Soyez rassuré, je tiendrai compagnie à Pauline ! déclara l’indispensable Ottavio. Il ne faut pas qu’elle soit seule… surtout si les nouvelles s’aggravent !

Belmont ouvrit la bouche, peut-être pour argumenter, mais, réflexion faite, la referma. Langlois aussi prenait congé.

— Je rejoins mon bureau. C’est à côté et le professeur Aulagnier me préviendra si besoin est. Au surplus, je laisse un homme de garde !

On se sépara. Aldo, se refusant à l’image de Pauline installée sur une banquette auprès du Napolitain, prit Belmont par le bras.

— Vous, je ne sais pas, dit ce dernier d’un ton plaintif, mais je ressens des tiraillements d’estomac, j’ai comme une petite faim : on n’a pas déjeuné !

— On va aller arranger ça ! Auparavant, on va passer place de l’Opéra ! Il faut que j’achète des journaux !

Le vendeur du kiosque se souvenait de la dame étrangère qui lui avait pris le journal mais ne se souvenait plus du titre.

— C’est qu’il s’en débite dans ce coin-là, vous savez !

— Vous reste-t-il un exemplaire de chaque ? J’entends français, anglais ou américain ?

— On va voir ! Attendez… Oui ! J’ai !

— Vous m’en donnez un de chaque !

Cela faisait un assez gros tas que Belmont contempla avec surprise quand Aldo le déposa dans la voiture.

— Vous comptez lire toute cette littérature ?

— En principe, je dois les porter à la police mais en attendant on va déjà y jeter un coup d’œil !

— Et déjeuner ? rappela John-Augustus. C’est pour quand ?

— Tout de suite avant ! En outre, on va trouver de l’aide !

Un quart d’heure plus tard, Aldo stoppait sa voiture devant l’hôtel de Sommières où leur arrivée chargés de leurs journaux suscita un vif intérêt chez Plan-Crépin, la marquise réservant plutôt le sien à ce « frère de Pauline », qui s’inclinait devant elle et lui baisait la main selon toutes les règles de la meilleure société, le tout accompagné d’un sourire à désarmer une douairière, ce qu’elle ne serait jamais !

L’annonce du drame du Ritz… et le fait que les deux hommes étaient à jeun achevèrent de faire envoler la légère couche de glace d’une première rencontre. Même Eulalie, le redoutable cordon-bleu maison, fort mécontente que « Monsieur le prince », ayant annoncé qu’il ne rentrerait pas de sitôt, avait laissé s’effondrer ses quenelles de brochet à la Nantua, ne tarda pas à être conquise. L’enthousiasme, dont le « gentleman américain » fit preuve en attaquant son omelette aux truffes puis les tournedos Rossini qu’elle fit suivre et sa haute culture concernant les vins qu’on lui servait lui acquirent à jamais l’estime et la sympathie d’Eulalie et plus encore : comment, en effet, lorsqu’on a vu le jour à Nuits-Saint-Georges, ne pas adorer un homme n’hésitant pas à proclamer les vins de Bourgogne bien supérieurs à tous leurs confrères ?

Pendant ce temps Marie-Angéline se plongeait dans la lecture des quotidiens, sans parvenir à en extirper ce qui avait pu retenir l’attention d’Helen Adler.

— Aux États-Unis, on pond des tartines sur la campagne électorale que Franklin D. Roosevelt mène tambour battant, en Angleterre une sorte de bataille rangée à la Chambre des communes, une révolte aux Indes et le dernier chapeau de la reine Mary. En France, c’est le lancement à Saint-Nazaire du paquebot Normandie et pour les trois pays un stock de papiers sur le sport, les arts, le cinéma, le théâtre, la mode et ce que vous voudrez mais franchement... rien de marquant !