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— Là ! Qu’est-ce que je disais ! triompha la marquise en aparté.

Sans attendre qu’elle lui pose la question, l’égyptologue entra en lice :

— C’est vrai ! J’avoue que, pour une fois, j’ai pu constater que votre merveilleux flair semblait avoir des ratés !

— Conclusion : je rentre ! Et mieux encore, je compte sur votre vive imagination pour me rendre le service de faire avaler la pilule à Wishbone !

Elle leva sur lui des yeux soudain noyés de larmes.

— Mais je n’ai jamais voulu vous chasser ! Comment pouvez-vous croire une chose pareille ?

Il s’appuya des deux poings sur la table pour que leurs visages soient à la même hauteur.

— Allons, Angelina, vous n’allez pas pleurer ? Vous dont les ancêtres ont « fait » les croisades ? Il faut seulement regarder la réalité en face. Vous n’avez pas envie que je m’attarde à Paris… en même temps qu’une dame…

L’entrée de Cyprien lui coupa la parole.

— Une dame demande Monsieur le prince au téléphone ! annonça-t-il.

Le cœur d’Aldo manqua un battement et il ferma les yeux un court instant ! Si c’était… elle, on pouvait dire qu’elle tombait mal !

— Quelle dame ? Elle a dû donner un nom ? s’énerva-t-il.

— Mme Berthier ! Mme Michel Berthier. Son époux est…

— Journaliste au Figaro ! J’y vais !

Et il disparut en direction de la loge du concierge. En effet, détestant l’idée que l’on pût la « sonner comme une domestique », Mme de Sommières s’était toujours refusée à ce que cette « machine infernale » soit installée dans ses appartements.

— J’y vais aussi ! fit Adalbert après une minute de réflexion.

Restées seules, les deux femmes gardèrent le silence durant quelques secondes, à la suite desquelles la marquise soupira.

— C’est aussi peu commode que possible, toutes ces galopades à la loge et je me demande si, finalement, je ne vais pas me décider à donner asile dans l’antichambre à l’un de ces… machins ! Après tout, il faut vivre avec son temps !

— Je pense que nous prendrions là une excellente décision ! À part ça, je me pose une question : pourquoi l’ex-Caroline Autier(9), qui ne donne jamais signe de vie, appelle Aldo à cette heure ?

La réponse vint environ un quart d’heure plus tard quand ils remontèrent, visiblement soucieux : Michel Berthier avait disparu depuis trois jours et sa jeune femme était ravagée d’angoisse.

— Comment ça, disparu ? s’indigna Mme de Sommières. Caroline devrait avoir appris que, selon ses reportages, un journaliste peut s’absenter sans donner de ses nouvelles !

— Oh, elle a appris ! répondit Aldo, mais où qu’il aille, Berthier ne reste paraît-il jamais vingt-quatre heures sans appeler sa femme. Il sait trop que l’aventure de Versailles l’a laissée fragile. Or trois jours se sont écoulés sans qu’il se signale. En outre, au journal, on ignore complètement où il a pu se rendre.

— Et elle t’appelle pour te dire cela ? émit la marquise. En dehors d’un soutien moral, je ne vois pas ce que tu peux lui apporter !

— Aller me rendre compte sur place si un accident n’est pas arrivé. Michel lui a tout de même confié – mais en la priant de le garder pour elle ! – qu’il se rendait en pays de Loire à l’ancien château de Lars Van Tilden. Il aurait reçu une lettre l’informant qu’il s’y passait des choses bizarres !

— Quelles choses bizarres ? demanda Plan-Crépin dont le long nez frémissait, flairant peut-être une aventure comme elle les aimait.

— Aucun détail là-dessus mais il est parti ventre à terre…

— Et on va en faire autant ! conclut joyeusement Adalbert. Demain matin on démarre aux aurores !

— Parce que tu viens avec moi ? Je croyais que tu avais un livre à écrire ?

— Ça peut attendre ! Et je t’avoue qu’un brin de distraction n’est pas pour me déplaire ! En attendant, si on dînait ?

Cyprien, reparu au même instant pour annoncer que Madame la marquise était servie, lui donna aussitôt satisfaction. Et l’on passa à table. Seule la maîtresse de maison semblait soucieuse tout à coup. Plan-Crépin elle-même était partagée entre la satisfaction d’en finir avec la brouille absurde – la première, d’ailleurs ! – intervenue entre Aldo et elle et le regret de ne pouvoir accompagner « les garçons » dans leur expédition.

— Au fait, lâcha-t-elle, comment cette chère Caroline, qui ne doit pas nous adorer étant donné qu’on ne la voit jamais, a-t-elle réussi à trouver notre numéro de téléphone ? Il n’est pas dans l’annuaire !

— Ce n’est pas sorcier, répondit Adalbert. Elle a téléphoné chez moi et Théobald l’a renseignée. Vous n’allez pas lui en vouloir, au moins ?

— Oh, non ! mentit-elle sans pouvoir vraiment dissimuler une vieille rancune. Je pense seulement qu’avec son caractère très spécial elle ne doit pas avoir une foule d’amis pour se précipiter ici quand elle a un souci. Et où vous expédie-t-elle présentement ?

— Quelque part entre Loire et Vienne, un village à cinq kilomètres de Chinon, que commandait jadis le château de la Croix-Haute… presque à l’orée de la forêt.

Occupée à lever délicatement les filets de sa sole meunière, Marie-Angéline laissa échapper brusquement son couvert comme s’il l’avait brûlée. Toutes les têtes se tournèrent vers elle, elle rougit mais se hâta de dire, se tenant le poignet :

— Ce n’est rien. Une sorte de crampe… Excusez-moi !

— Voulez-vous que je vous masse ? proposa Adalbert. Nous autres archéologues sommes fréquemment sujets à des douleurs subites de ce genre à force de gratter le globe ou de soulever des pierres lourdes. J’ai à la maison un baume miraculeux. Ça empeste le camphre mais je peux demander à Théobald de vous en apporter…

— Non merci, Adalbert ! Ne vous donnez pas cette peine : ça va déjà mieux !

— En revanche, si vous pouviez m’en dévoiler la formule pour mon pharmacien, je ne serais pas contre l’idée de sentir le camphre de temps à autre ! glissa Mme de Sommières. À mon âge, il ne faut pas laisser passer la moindre occasion de traquer les vieilles douleurs.

— Théobald vous en véhiculera un pot demain…

Les voyageurs devant partir très tôt, on ne s’attarda pas à table et, le café avalé, Adalbert regagna la rue Jouffroy où Aldo irait le ramasser à 6 heures du matin. Les trois autres montèrent dans leur chambre, sauf Marie-Angéline qui accompagna Tante Amélie dans la sienne pour l’aider à se déshabiller, se coucher et lui lire quelques pages afin de favoriser un sommeil souvent capricieux. C’était, entre elles, un moment d’intimité où elles passaient en revue les événements de la journée et qui était devenu un rituel dont Louise, la femme de chambre en titre, presque aussi âgée que sa patronne, ne se formalisait pas.

Ce soir-là, cependant, un silence inaccoutumé s’installa, tandis qu’après avoir ôté les longues épingles fixant la coiffure de la vieille dame, Marie-Angéline, armée d’une brosse, lissait ses beaux cheveux argentés avant d’en tresser deux nattes qu’elle achevait par un nœud de ruban d’une couleur assortie à celle de la chemise de nuit et du déshabillé… Et c’est seulement quand elle posa le bonnet de dentelle que, cherchant dans le miroir le regard de sa cousine, elle se hasarda :

— Le village près de la forêt de Chinon, est-ce que ce n’est pas dans les environs qu’habite… ?

Une lueur s’alluma dans les prunelles toujours si vertes de la marquise.