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Présentant une sérieuse blessure au crâne, une hanche et une clavicule fracturées, Michel Berthier avait un besoin urgent des services d’un hôpital. Ce fut ce qu’expliqua sur le mode vigoureux le médecin directeur de celui de Chinon à ceux qui l’accompagnaient :

— … et encore, pas n’importe quel hôpital ! Ici, on n’est pas appareillé pour et il faut le conduire à Tours ! Mais qu’est-ce qui m’a fichu une bande d’ahuris pareils ! Il a perdu une grande quantité de sang, il est à moitié mort et vous l’amenez seulement maintenant ?

— On l’a amené quand on l’a trouvé, docteur ! se rebiffa Desjardins. On l’avait déposé sur la Pierre aux Fées, dans la forêt, avant de nous alerter ! Alors je ne vois pas bien ce que nous aurions pu faire !

— D’accord ! Rembarquez-le ! Je préviens Tours !

Une heure plus tard, Berthier était enfin entre des mains compétentes, le commissaire reparti pour Chinon avec l’ambulance, Adalbert dans une cabine téléphonique d’un café voisin pour avertir Langlois des derniers développements de l’affaire et Aldo dans le hall d’entrée de l’hôpital en train d’en faire autant avec Caroline Berthier. Quant au professeur, oubliant qu’il avait invité Aldo et Adalbert à déjeuner, il était reparti avec Desjardins.

La jeune femme commença par exploser :

— Pourquoi n’avoir pas appelé plus tôt ? Je suis malade d’inquiétude !

— Je l’ai fait quand nous sommes arrivés et je vous ai dit qu’il n’était plus à Chinon mais qu’on le cherchait ! Je n’allais tout de même pas vous asséner qu’il était accusé de meurtre et avait la police à ses trousses ! Maintenant on l’a récupéré, il est amoché mais entre de bonnes mains et l’accusation est tombée d’elle-même… Il est au bloc opératoire !

— On va l’opérer ? De quoi ?

— Dans le détail, je ne saurais vous le dire ! Je sais qu’il a une hanche fracturée, ce qui va vous permettre de le dorloter pendant une assez longue convalescence. Allons, Caroline, reprenez courage ! Je vais prévenir le journal et vous tiendrai au courant heure par heure, s’il le faut, mais…

— Inutile ! Je viens demain matin par le premier train !

Ça, c’était à prévoir quand on connaissait un peu l’ex-Caroline Autié et Aldo savait d’expérience qu’elle n’était pas des plus faciles à manier. Après ce qu’elle avait souffert(11), elle avait évidemment quelques excuses mais, bien que mariée, mère d’un petit garçon et heureuse, elle demeurait nerveuse.

— Qu’allez-vous faire de votre fils ? Vos beaux-parents habitent Toulouse…

À sa surprise elle eut un petit rire.

— Vous oubliez les Karloff ! Liouba et Nicolas adorent François et, croyez-moi, ils font une paire de grands-parents à la mode de Bretagne tout à fait convenables ! Alors, à demain Aldo ! Mes amitiés à Adalbert et encore merci !

— Il n’y a pas de quoi. On viendra vous prendre au train…

— Tu devais bien t’attendre à quelque chose comme ça ? fit Adalbert quand Aldo le rejoignit. C’est on ne peut plus normal qu’elle veuille s’installer à son chevet !

— Oui, mais elle va vouloir loger à l’hôtel le plus proche et moi, outre que je considère notre mission comme terminée, je préfère rester encore un peu à Chinon : il y a des détails que je voudrais creuser !

— Quoi, par exemple ? Tu n’aurais pas dans l’idée de confesser ton nouveau cousin… parce qu’il ne te paraît pas très net ?

— Si. En plein dans le mille ! Désolé si je m’en prends à tes souvenirs d’adolescent, mais il était comment comme professeur ?

— Fantastique ! Il faisait revivre l’Histoire. On pouvait se demander s’il n’avait pas vécu lui-même certaines périodes. Le haut Moyen Âge surtout… mais enrichi d’un plus pour l’histoire celte ! Pendant ses cours, je te prie de croire qu’on n’en restait pas à « Nos ancêtres les Gaulois » ; il se lançait dans des considérations sur leurs mœurs, leur façon de vivre, et nous passionnait pour l’aventure de Vercingétorix ! Déjà entendu parler des empereurs gaulois, Luern et autres ?

— Ah non ! Ça, jamais !

— Eh bien, moi, si ! Grâce à lui ! Et avec quel panache ! Il n’avait pas besoin de faire régner l’ordre dans sa classe. Les pires cancres l’écoutaient, bouche bée.

— C’est là que tu as entendu parler de ce cri que l’écho près du château de Chinon répercute à dix exemplaires, le « Ho Hue » ?

— C’est exactement ça ! Tu ne peux pas imaginer l’ambiance ! On l’avait même surnommé le Druide ! Il ne lui manquait que le froc blanc, la faucille d’or et la harpe irlandaise…

Emporté par son enthousiasme, Adalbert en avait oublié son ami qui cependant l’écoutait avec un intérêt croissant puis, soudain, il plongea dans une profonde réflexion.

— En dehors de ça, concluait l’orateur, il dédaignait superbement Louis XIV et Napoléon ! Oh, il n’ignorait pas leur histoire mais elle l’indifférait… mais tu ne m’écoutes même pas !

— Si… seulement je réfléchissais et je m’interrogeais sur l’origine et la finalité de cette table de pierre où les sauveteurs inconnus ont déposé Berthier. N’avez-vous pas dit hier que la forêt de Chinon avait été un haut lieu des Celtes ?

Adalbert approuva d’un hochement de tête.

— C’est vrai ! Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ? Tu crois que… Ça expliquerait cette grande discrétion observée par ceux qui ont secouru Berthier. La « société secrète » à laquelle j’ai fait allusion en rigolant… j’ai maintenant une furieuse envie de lui poser la question !

— Il y a peut-être moyen de savoir en passant par la bande.

— Tu penses à quoi ?

— À notre habituel service de renseignements, parbleu ! Notre chère Plan-Crépin qui est une encyclopédie vivante de tous les arbres généalogiques de la famille. Quelqu’un qui qualifie Tante Amélie de « vieux chameau », tu ne peux pas douter qu’elle ne sache de qui il s’agit ! conclut-il en quittant la table du café où ils s’étaient installés pour boire un verre…

— Où vas-tu comme ça ?

— Téléphoner rue Alfred-de-Vigny ! S’il y a de l’attente, on en profitera pour se faire servir un en-cas puisque le cousin nous a oubliés !

Cependant le trajet fut court. Constatant que le téléphone était dans une sorte de guérite près de la caisse, il fit demi-tour et revint s’asseoir.

— Non, tout compte fait, cela peut attendre. Tu as vu où est l’appareil ?

— Là-bas dans le coin, oui ! Et alors ?

— Entre la caissière et ces gens qui vont et viennent, ça fait pas mal de monde et pour ce genre de conversation, je préfère un brin de discrétion. Surtout si j’en crois l’aventure de Berthier ! Il est plutôt malsain, le téléphone, dans la région…

— Tu n’as peut-être pas tort ! Mais que ça ne nous empêche pas de déjeuner ! J’ai faim, moi !

Caroline Berthier arriva par le train de 10 h 30. En dépit de sa visible anxiété, elle était plus ravissante que jamais dans un ensemble bleu foncé – robe en lainage agrémentée d’un col et de manchettes de satin blanc, loden de voyage, attendrissante cloche de feutre enfoncée sur ses cheveux blonds, gants, sac et escarpins en daim assortis, le tout d’une sobre élégance composant une image parfaite pour l’épouse d’un journaliste de renom, et Aldo se souvint avec un plaisir secret de ce matin où, dans les jardins de Trianon, elle lui avait laissé entendre qu’elle l’aimait. Pour l’oublier aussi vite d’ailleurs, devant l’attitude presque distante qu’elle lui offrit. Et puis elle n’était pas seule, un confrère de Berthier l’accompagnait : Frédéric Simonnet, du Figaro, venu « couvrir l’événement » et escorter une jeune femme qui n’avait pas l’air de lui déplaire si l’on en jugeait par l’attitude protectrice qu’il affichait.