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— Quel honneur pour moi que le prince Morosini daigne venir jusqu’à moi ! Je n’en aurais jamais espéré autant !

Sa voix sèche et dure épouvanta Cornélius qui se hâta de répondre :

— Que dites-vous là, chère belle amie ? Vous ne vous êtes jamais rencontrés ?

— Non, figurez-vous ! Lorsque je chantais Tosca à la Fenice et que je l’avais prié de venir me voir, il m’a répondu par une insolence…

— Prié ? riposta Aldo. Le billet que j’ai reçu ne me priait pas mais exigeait, même ordonnait sur un ton que je n’ai pas accepté !

Il s’inclinait à peine, prêt à tourner les talons, quand Wishbone s’affola, le retenant par le bras.

— My God ! Mais que se passe-t-il ? Prince !… Chère grande amie !… C’est pourtant vous qui me l’avez recommandé en vantant sa compétence ?

— Naturellement, quand j’ai besoin d’un fournisseur, je choisis toujours le meilleur ! Par malheur jusqu’à présent, il ne s’est pas montré à la hauteur. Combien de temps vais-je devoir attendre encore ma Chimère ?

— Votre Chimère ? Je ne crois pas que vous ayez un titre à la posséder !

— Et le droit d’héritage ? Qu’en faites-vous ? Je descends à la fois de César Borgia et de sa sœur Lucrezia. Sachez que mon lointain aïeul était cet « Infant Romain » en qui tous voyaient une énigme.

— Parce que l’on hésitait sur le géniteur : César ou le pape Alexandre ? N’importe comment, il s’agissait d’un inceste. Quel beau titre de gloire !

— Il n’en a pas moins été élevé comme un prince à Rome !

— Il aurait même été couronné empereur, roi ou pape que cela ne m’intéresserait pas davantage, et je n’ai pas l’intention de perdre un temps qui m’est précieux. Madame !

Il esquissa un salut mais Cornélius se suspendit à son bras, les yeux remplis de larmes.

— Vous n’allez pas me laisser tomber ? J’ai mis tant d’espoir en vous. Mon bonheur dépend de vous…

Aldo lui sourit gentiment et posa une main sur son épaule.

— Mon cher Cornélius, croyez que, si j’étais certain d’assurer votre bonheur, je continuerais même contre l’impossible, mais regardez la vérité en face ! Cette femme n’a pas l’intention de vous épouser, quoi que vous lui offriez ! Vous la voyez renonçant aux feux de la rampe, à ceux de la gloire pour aller s’enterrer au Texas ? Sa beauté est l’un des pièges les plus redoutables concoctés par l’Enfer !

— Tu ne penses pas que tu exagères ? s’indigna Adalbert qui avait suivi le dialogue avec une colère visible.

Ce qui déplut à Aldo.

— Et si tu te mêlais de tes affaires ?

— Messieurs ! intervint la marquise en frappant le sol de sa canne. Je crois que cela suffit ! Emmène-nous, Aldo ! Nous avons assez ri !

— Comme il vous plaira, Tante Amélie ! Madame.

Suivis de Pauline, tellement indignée qu’elle avait préféré se taire pour ne rien envenimer, ils sortirent, ou plutôt se frayèrent un passage à travers les admirateurs qui encombraient le couloir, et rejoignirent Marie-Angéline toujours assise sur son tabouret de pompier.

— Alors, demanda-t-elle. Vous êtes contents ?

— Ravis ! ironisa Tante Amélie. Quelle femme exquise ! Dommage seulement qu’elle ait été mal élevée !

— Vous vous êtes querellés ? fit-elle, interrogeant leur mine sombre.

— Pas vraiment, soupira Pauline. Cette femme s’est subitement transformée en harpie et Aldo lui a répondu comme elle le méritait, sans d’ailleurs manquer aux règles de la politesse.

— Et où est Adalbert ?

— Je crains que de ce côté-là nous ne rencontrions un problème, soupira Aldo. Ou plutôt que « je » n’aie un problème. Il est passé à l’ennemi avec armes et bagages.

— Quoi ? Vous vous êtes brouillés… pour cette femme ? gémit Marie-Angéline.

— Je crains fort que oui ! Il a été victime ce soir d’un coup de foudre aussi dévastateur que ceux auxquels nous avons déjà assisté. Mais vous n’allez pas pleurer ? s’inquiéta-t-il en lui caressant la joue.

— À mon avis, déclara Pauline, il ne faut pas en faire une montagne. Il en reviendra comme il est revenu de ce grand amour qu’il avait conçu pour Alice Astor. Nous l’avons vu tomber en miettes sans laisser beaucoup de dégâts.

— Sans oublier, il n’y a pas si longtemps, son amour romantique pour une princesse morte. Sortons ! conclut Tante Amélie. Et puisque nous allons raccompagner Pauline au Ritz, tu devrais, Aldo, nous offrir un petit souper !

— Tout ce que vous voudrez ! Allons-y !

On regagna la sortie, où il y avait encore du monde. Soudain Marie-Angéline demanda à Pauline :

— Au fait, où est passé votre admirateur ?

Celle-ci haussa les épaules.

— Je n’en sais rien et n’ai pas envie de le savoir. Alors si vous le voulez bien, filons d’ici le plus vite possible ! Allons rejoindre les gens normaux !

En dépit de l’absence d’Adalbert, leur souper au champagne, composé d’huîtres de Prat-ar Koum, de foie gras frais poêlé et de champignons des bois fut très apprécié. Aldo était plus que jamais décidé à rentrer le lendemain. Il avait même fait retenir son sleeping par le voyagiste de l’hôtel. Ce fut seulement quand il effleura de ses lèvres la main de Pauline qu’il sentit le pincement d’un regret.

— Prévenez-moi s’il y a du nouveau pour votre Helen… ou si vous rentrez à New York !

Il sentit trembler dans les siens les doigts qu’il tenait.

— Il se peut que ce soit bientôt ! Je vous souhaite bon voyage, Aldo !

8

Où Pauline commet une folie…

Le lendemain matin, vers 11 heures, Adalbert s’apprêtait à sortir quand il trouva Aldo devant sa porte, la main levée pour sonner.

— Qu’est-ce que tu fais là ? fit-il d’un ton rogue.

— Puisse entrer ? demanda le visiteur, suave.

— Je n’ai pas le temps !

— Eh bien, tu le prendras ! Je n’ai jamais compris quel charme il pouvait y avoir à discuter sur un paillasson.

— Je n’ai rien à te dire !

— Moi, si ! Allons, un bon mouvement ! ajouta-t-il en pointant un index autoritaire sur la poitrine de son ami qui recula automatiquement.

Ils se retrouvèrent bientôt dans le cabinet de travail de l’égyptologue qu’Aldo conduisit ainsi jusqu’à son fauteuil où il appuya un peu plus pour l’y faire choir.

— Mais que veux-tu à la fin ?

— Mettre les choses au point ! Primo, tu dois au moins une visite à Tante Amélie pour t’excuser du spectacle navrant que tu lui as offert hier soir ! Tante Amélie et Plan-Crépin ! Celle-ci en avait les larmes aux yeux !

— Tu ne manques pas d’audace ! Qui s’est conduit comme un goujat en face de cette sublime artiste devant laquelle on ne peut que s’agenouiller ?

— Je n’ai pas l’habitude de plier le genou devant qui m’insulte ! Parce que c’est exactement ce qu’elle a fait, ta nouvelle déesse. Même Cornélius, qui est aussi fondu que toi, l’a compris.

— Il te l’a dit ?

— Quasiment. Ce qui le désole, lui, c’est que je le laisse se débrouiller avec sa Chimère. Mais au fond, tu pourrais peut-être te lancer dans la course au trésor à ma place ? Souviens-toi de la récompense ! La belle épousera celui qui la lui rapportera. Libre à vous d’y croire ! Moi, je suis seulement venu te dire adieu !