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C’était à ce dernier d’ailleurs qu’il pensait au moment où les notes allègres du carillon venaient frapper les vitres de ses fenêtres. Où pouvait-il être depuis tout ce temps ? L’inquiétait surtout l’absence de demande de rançon. Même chose pour Mrs Belmont. Cela pouvait signifier, hélas, qu’ils étaient morts, victimes de quelque obscure vengeance peut-être ?… L’Américaine était liée, évidemment, à l’identification de la célèbre Torelli par sa femme de chambre et Aldo était lié à elle par cette attirance sensuelle dont il lui avait fait l’aveu chez Mme de Sommières, ainsi que par le fait qu’Helen avait été abattue presque sous ses yeux, et à la Torelli par cet Américain qui l’avait supplié de retrouver pour elle la Chimère. Que l’on ait enlevé l’une pour faire chanter l’autre ou vice versa eût été compréhensible mais les deux à la fois ? Et surtout pour ne rien réclamer ensuite !

L’arrestation du faux chauffeur de taxi de Sauvageol, après une période d’observation, n’avait rien donné. L’homme était resté aussi muet qu’un mur, même quand le jeune policier, exaspéré, avait entrepris un interrogatoire… musclé, il n’avait pas bronché. Ses papiers – vrais ou faux ? – avaient révélé son nom : Carlo Bacci, qu’il était sicilien mais c’était strictement tout ! Autant pour le taxi passé au peigne fin : aucun indice. Enfin et en dépit d’une attentive surveillance – rétribuée ! – du « pote » Pignon qui n’avait pas caché son vif désir d’entrer dans la police, le double garage n’avait pas vu revenir la voiture noire. Langlois se trouvait donc face à un énorme point d’interrogation que n’arrangeait pas celui posé à son collègue britannique : où était passée la Torelli ?

D’après le Chief Superintendant, elle semblait s’être volatilisée avec sa femme de chambre, son accompagnateur et son imprésario. Aucune trace. Nulle part ! Mais, en fait, le « ptérodactyle » ne s’attendait guère à en relever. Il était probable que le groupe s’était scindé et que l’on avait dû user de déguisements. Plus inquiétante, l’éclipse de Cornélius Wishbone qui n’était pas reparu au Ritz autrement que sous forme d’un chèque réglant sa note d’hôtel enflé d’un supplément confortable. Il ne faisait même aucun doute pour les deux policiers qu’il avait dû mettre sa personne et son incalculable fortune au service de sa divinité. Tout était envisageable avec ce genre de Crésus, depuis l’achat clandestin d’un avion, d’un chalutier ou de n’importe quoi d’autre pour transporter la bien-aimée là où elle le souhaiterait. Et cela avec d’autant plus d’enthousiasme que l’encombrant Vidal-Pellicorne avait disparu du paysage.

En fait la récupération de l’égyptologue par l’incroyable Mlle du Plan-Crépin était le seul cadeau de Noël tombé du Ciel. Non qu’il pût leur apprendre grand-chose : le coup asséné par le policier anglais l’avait autant dire anesthésié mais il n’en était pas moins rentré en France et Langlois avait accepté avec bonheur l’invitation de Mme de Sommières à partager le déjeuner de Noël rue Alfred-de-Vigny car, au fond, la disparition de la cantatrice n’était pas ce qui le tourmentait le plus, mais en priorité de ne retrouver qu’un cadavre dans les jours à venir. Si dur à cuire qu’il soit, il éprouverait une peine infinie à lire une douleur crucifiante dans les yeux de trois femmes exceptionnelles…

Et pourtant, Aldo n’était pas mort. Lui aussi, du fond de la prison où il était revenu à la conscience, avait entendu les cloches annonçant la messe nocturne. C’est ainsi qu’il avait su que l’on était à Noël et qu’il y avait près de deux mois qu’il était captif dans cet endroit. Une grotte qui aurait pu servir de cave, si l’on s’en tenait au soupirail garni de barreaux ouvert presque au ras de la voûte par où arrivaient le jour et l’air, situé trop haut pour qu’on puisse l’atteindre et lui donner, peut-être, une idée du pays où il se trouvait. À la campagne très certainement, les bruits de la ville étant bien différents de ceux qui lui parvenaient : le cri enroué d’un coq par exemple, des aboiements de chiens qui se répondaient, une certaine qualité de silence et puis cette église qui ne devait pas être grande, si l’on s’en tenait au son de ses deux cloches…

À la suite de son enlèvement, il s’était réveillé assis sur le lit grossier d’une sorte de caveau, rappelé à la réalité par des claques appliquées sans ménagement. Il avait la tête lourde et la langue pâteuse comme s’il avait pris une cuite la veille. Pourtant, il se souvenait de s’être endormi tout naturellement dans la voiture qui l’emportait. Or il avait l’impression d’être drogué. Il avait alors voulu se lever mais sans succès.

— Vous m’avez fait boire quelque chose ? demanda-t-il à l’homme toujours encagoulé qui surveillait son retour à la conscience.

— Évidemment ! Pour que tu ne trouves pas le chemin trop long. Tu as eu l’élégance – tu vois, je reconnais tes mérites ! – de t’endormir de toi-même. On s’est seulement arrangés pour que ça dure. Mais t’fais pas d’bile, ça va passer !

— Me voilà rassuré ! Qu’est-ce ce que je suis censé faire dans ce trou ?

— Ce que font tous les prisonniers : attendre !

— Quoi ?

L’homme avait haussé des épaules fatalistes.

— Qu’est-ce que j’en sais ? La mort, sans doute ?

En dépit du frisson qui lui parcourait l’échine, Morosini s’offrit le luxe d’une moquerie.

— On dirait que vous ne connaissez pas la règle du jeu ! Quand on enlève quelqu’un, c’est en général dans le but d’obtenir une rançon, après quoi le quidam…

— Le quoi ?

— Le quidam – la personne en question – est restitué à sa famille angoissée. La culture ne va pas très loin chez vous, hein ?

— À ta place, je ne ferais pas tant le malin ! grinça l’homme. La restitution n’est pas obligatoire. Quelquefois on rend le cadavre. C’est souvent plus sûr. Pour tout le monde, d’ailleurs ! Il arrive que la famille concernée refuse de raquer. Surtout quand elle n’a pas envie de revoir le… quidam, comme tu dis ! À mon avis, ça pourrait bien être ton cas ! Bon ! Il faut que j’y aille ! Je te laisse t’installer ! Tu trouveras ici le nécessaire pour te récurer… et tu ne crèveras pas de faim !

— Autrement dit, ceci est un hôtel ? Je ne l’aurais pas cru !

— Cesse donc de faire l’imbécile et mets-toi dans la caboche qu’on est avant tout des hommes d’affaires. Si par hasard on décidait de la restituer, vaux mieux que la marchandise soit dans un état potable !

— Alors commencez par me rendre mes cigarettes ! Elles font partie de ma santé morale !

— On verra ça !

Et l’homme sortit après avoir donné quelques coups de poing dans une porte qu’Aldo n’avait pas remarquée parce qu’elle s’ouvrait dans le mur même, le long duquel le lit était placé, mais qui ne devait pas être facile à forcer, si l’on en jugeait le fracas de verrous, de clefs et même de chaînes que l’appel déclencha. Laissé seul, Aldo examina son nouveau logis et dut reconnaître qu’il avait connu pire : en Turquie, par exemple, et surtout quand il était aux mains d’un marquis espagnol à moitié fou…