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Se trouvait là, assis sur le banc de pierre, un fac-similé d’homme des cavernes : barbu, chevelu au point que l’on ne distinguait aucun trait de son visage et qui, en se dépliant, dépassa les deux arrivants d’une bonne demi-tête. Il ne lui manquait qu’une tunique en peau de bête et une massue pour ressembler totalement à son lointain ancêtre.

— Voilà Sulpice ! présenta sobrement le professeur. Tu as repéré l’endroit ? lui demanda-t-il.

— C’était facile. Vous avez clairement expliqué… La trappe s’est soulevée presque toute seule…

— Moi, j’ai eu plus de mal que toi la nuit dernière. Il est vrai que je n’ai ni ton âge ni ta force.

— Tout de même, je trouve que vous vous défendez pas mal pour v… un monsieur distingué. Les torches sont en bas : on les allumera une fois la trappe refermée.

Les torches à présent ! Adalbert se demanda s’il n’avait pas reculé de plusieurs siècles. Aussi, avant de s’enfoncer dans les entrailles de la terre, déclencha-t-il sa lampe électrique qu’il portait à la ceinture, éclairant ainsi les marches sous les pieds du professeur qui descendait en premier, Sulpice venant ensuite. Pour Adalbert, sa présence avait un effet rassurant car, bien qu’il n’eût rien à reprocher à sa propre force, celle de l’unique descendant des Combeau-Roquelaure, long comme un jour sans pain et maigre comme un clou, lui inspirait quelques doutes dès l’instant où il s’agissait de s’attaquer à un bloc de roche.

— Pardonnez ma curiosité, Monsieur Sulpice, mais que faites-vous dans la vie ?

Le professeur répondit pour lui :

— Il est tailleur de pierre ! Peut-être le meilleur du pays… seulement il n’est pas bavard pour un sou.

— Beau métier ! apprécia Adalbert. S’ils le pratiquent de père en fils dans la famille, il descend de ceux qui ont bâti les cathédrales !

Au bas de l’escalier humide et glissant à se rompre le cou, deux galeries se présentaient. On prit celle de droite et l’archéologue dut admettre que l’éclairage des torches donnait plus de lumière que sa lampe de poche. Enfin on fut devant la paroi et le vieil homme désigna à son ancien élève la fissure en question.

— C’est là ! Allez-y !

— Aldo ! appela-t-il en maîtrisant sa voix, de crainte qu’elle ne soit perçue ailleurs. C’est moi, Adalbert ! Tu m’entends ?

Pas de réponse.

— Aldo ! reprit-il plus fort. Réveille-toi, si tu dors ! Aldo, réponds, sacrebleu !

Toujours rien !

— Qu’est-ce qui se passe ? fit Adalbert d’une voix que l’inquiétude faisait trembler. On l’a changé de prison ? Quelqu’un vous a peut-être repéré la nuit dernière ?

— Ça me paraît improbable. Il y a au-dessus de nous une belle épaisseur de roche et de terre…

À son tour il appela, mais sans plus de résultat. Alors, Sulpice le prit par le bras :

— Laissez-moi faire, Monsieur Hubert ! Reculez-vous, tous les deux !

Il avait empoigné sa pioche, un outil de son calibre, prit son élan et frappa. Le coup résonna dans les tympans d’Adalbert qui avait l’impression qu’il avait dû retentir à l’autre bout de la terre, mais la fissure s’était un peu agrandie.

— La roche est trop dure par ici, commenta Sulpice avant d’en asséner un deuxième, puis un troisième et un quatrième, emportant chaque fois un morceau de pierre.

Déjà, dès le premier impact, on avait pu apercevoir les charbons rougeoyants du brasero.

— Élargis un peu plus, que je puisse passer la tête !

Sulpice s’exécuta et Adalbert glissa non seulement la tête mais aussi un bras, resta ainsi quelques instants puis soupira, désolé :

— Il n’y a personne. Le lit n’est pas défait et tout a l’air d’être en ordre. Je crains, professeur, ajouta-t-il en se dégageant, que l’on ne vous ait entendu hier et qu’on l’ait mis ailleurs. Ou alors…

— Vous pensez quoi ?

— J’aime mieux ne pas penser ! Sinon pour trouver le moyen d’entrer dans ce château de malheur, puisque vous dites qu’on est en dessous ou presque !

— Vous avez raison. Allons explorer l’autre galerie. Celle-ci est un cul-de-sac…

Depuis qu’à travers le mince interstice il avait reconnu son cousin Hubert et pu lui parler, Aldo s’était senti revivre. D’abord il savait enfin où il était et en éprouvait une profonde satisfaction, même s’il ne comprenait pas bien pourquoi on le tenait captif à la Croix-Haute et surtout depuis si longtemps ! Se faire remettre une rançon n’en demandait pas tant et il ne voyait pas ce que l’on pouvait lui vouloir en dehors de cela…

Tous ces points d’interrogation disparurent quand le professeur lui eut promis de le sortir de cette impasse en revenant vers minuit le soir suivant avec l’outillage nécessaire et les armes. En revanche, jamais journée ne lui parut plus interminable. Il en compta les heures l’une après l’autre. Tellement énervé qu’il fit semblant de dormir quand un de ses geôliers vint renouveler les provisions de charbon comme tous les soirs vers 7 heures. Il en retira d’ailleurs la pensée réconfortante de ne plus être dérangé avant le lendemain matin…

Incapable d’avaler quoi que ce soit, il but un verre d’eau et se recoucha, non pour dormir mais pour essayer au moins de se détendre. Sans grand succès : son cœur battait la chamade. C’était une bien belle chose que l’espérance, mais elle vous secoue tout autant qu’une vraie joie ! Aucune crainte de s’endormir ! L’idée seule de quitter ce trou à rats, de revoir le ciel, le soleil, ses amis, sa famille, même s’il s’attendait à en découdre pendant quelque temps au moins avec Lisa ! Il pourrait embrasser ses enfants, et Tante Amélie et Plan-Crépin… Peut-être même cet âne bâté d’Adalbert, s’il se décidait à revenir à la raison et à abandonner sa prima donna ! Quoi qu’il en soit, même une bagarre serait la bienvenue…

La demie de 11 heures venait de sonner au clocher du village quand la porte s’ouvrit accompagnée de son fracas habituel et Max entra, escorté d’un autre forban encagoulé mais, cette fois, armé d’un fusil-mitrailleur.

— Debout ! intima-t-il. Tiens, tu t’es couché tout habillé ?

— C’est défendu ? J’avais froid, figurez-vous ! Ce brasero empeste mais ne chauffe guère ! gronda-t-il, rendu hargneux par sa déception. Et d’abord qu’est-ce que vous me voulez ?

— Ici on reçoit des ordres mais on ne les discute pas. Le patron m’envoie te chercher !

Pas d’autre issue qu’accepter ! La mort dans l’âme, Aldo remit ses bottes et ne tressaillit même pas quand les menottes se refermèrent sur ses poignets.

— On peut dire qu’il est prudent, votre patron, fit-il, sarcastique.

Et désignant l’arme :

— Avec ce joujou dans le dos, rêver à une fuite relève de la poésie lettriste ! À votre place…

Il essayait de gagner du temps dans l’espoir que le professeur serait arrivé et ainsi mis au courant du changement de programme, mais Max refusa d’entrer dans le jeu.

— Assez de bla-bla ! Le patron n’aime pas attendre.

Il ne restait plus qu’à obtempérer. Avec un haussement d’épaules, il suivit le comparse et franchit la porte dont il put admirer au passage le déploiement de serrures, verrous et chaînes. Au-delà, il n’y avait qu’un escalier raide, taillé dans la pierre et s’envolant vers les hauteurs. Ensuite on traversa une galerie voûtée pour s’engager dans une autre volée de marches qui parut au prisonnier ne jamais vouloir aboutir. Enfin, après un coude et encore quelques degrés, on atterrit sur un palier éclairé par deux torches plantées dans des griffes de fer et – quand il faisait jour – par une étroite fenêtre ogivale.

Là, Max ouvrit une autre porte, assez basse sous son accolade de pierre, prit son prisonnier par le coude, lui fit franchir le seuil… Et Aldo remonta quelques siècles !

Ce devait être la salle d’honneur du château. Sous un remarquable plafond à caissons bleus, rouges et or, les murs s’ornaient de tapisseries d’Arras représentant des scènes de chasse ; le feu flambait dans une imposante cheminée que dominait la statue équestre d’un seigneur en armure. Un haut fauteuil en velours de Gênes rouge enrichi de passementeries dorées occupait le centre mais, en dehors de quelques tabourets en X alignés contre les murs, il n’y avait aucun autre meuble, à l’exception de deux torchères supportant de longues bougies rouges dont les flammes magnifiaient encore le décor. De même aucun tapis ne réchauffait le dallage de marbre blanc, rouge et noir, dessinant des volutes et des rosaces.