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— Helen ? intervint Belmont. Mais elle est au Ritz ! C’est moins loin et vous la verrez quand vous voudrez !

Rien à faire, décidément ! Aldo était battu et le savait. Et le plus dramatique était qu’il n’en était pas mécontent ! Dégoûté, l’ange gardien retourna se coucher en le traitant d’hypocrite ! Quant à l’intéressé, il rendit les armes…

— Entendu ! soupira-t-il. Je vais essayer… faire mon possible, mais ne vous attendez pas que j’y consacre des années.

— Je suis persuadé que vous réussirez ! exulta Cornélius. Vous avez carte blanche… Je paierai ce qu’il faudra !

— Je n’en doute pas, mais sachez auparavant que je ne vois vraiment pas par quel bout attraper cette affaire. Van Tilden est mort et j’ignore qui pourrait me dire qui lui a vendu les joyaux de la Reine !

Tout en parlant, son regard accrocha la tête blonde de Michel Berthier occupé à prendre des notes. Celui-là pourrait peut-être l’aider ? Il avait rencontré le milliardaire et il était possible qu’il puisse lui fournir un indice. Avec lui, aucun risque d’embrouille ! C’était un garçon sérieux bien que non dépourvu d’humour et il connaissait son métier. Il était aussi plus que probable que le lièvre soulevé par l’intervention de Langlois, de l’huissier et de Belmont présentât pour lui un vif intérêt.

À cet instant, Berthier releva la tête et leurs regards se croisèrent. Un bref échange de signes conforta l’impression d’Aldo : on se verrait après la séance.

La vente achevée et les achats réglés, on trouva le journaliste qui faisait les cent pas dans la rue. Flanqué de ses deux Américains, Aldo le rejoignit.

— Si vous n’avez rien d’autre en perspective, lui proposa-t-il, allons prendre un verre ! Il faut qu’on parle !

— Vous, fit-il en riant, j’ai dans l’idée que vous aimeriez en savoir plus sur les bijoux mis sous séquestre ! Moi aussi entre parenthèses, mais si vous le permettez, remettons le verre à demain. Il faut que je rentre à Versailles chercher Caroline : nous allons à l’Opéra ! C’est notre anniversaire de mariage.

— Bravo ! Demain alors ? Venez vers 5 ou 6 heures chez ma tante de Sommières ! Vous connaissez l’adresse ?

— Aucune chance que je l’oublie. À demain…

Un moment plus tard, un taxi emportait Morosini et Wishbone vers la rue Alfred-de-Vigny. Le premier avait refusé l’invitation à dîner de John-Augustus sous le prétexte qu’il n’était pas libre. Il avait besoin de prendre du recul et d’essayer d’y voir plus clair en lui-même. Si l’arrivée théâtrale de Belmont flanqué de Langlois lui avait valu une bouffée de joie, il s’avouait honnêtement qu’il n’était pas prêt à rencontrer Pauline. C’était inévitable puisqu’il allait devoir interroger sa femme de chambre, mais il avait besoin de s’y préparer. Naturellement, il n’articula pas une parole durant le trajet et Cornélius eut le bon goût de respecter son silence et de garder pour lui la sensation de béatitude qui s’était emparée de lui en apprenant que la Chimère ne reposait pas au milieu des débris du  Titanic. Il nageait en pleine euphorie et se sentait tout disposé à se délester de millions de billets verts, à faire trois fois le tour du monde ou davantage si nécessaire pour acquérir la merveille qui lui ouvrirait la porte du bonheur ! Parce qu’il n’imaginait pas un instant que l’on pût échouer et, assis bien droit dans la voiture, il posait un sourire ravi sur les rues et les gens alentour.

Il souriait encore quand on fut à destination, ce qui plongea Cyprien dans un abîme de réflexions et, après avoir annoncé qu’il montait faire un brin de toilette en vue du dîner, il grimpa l’escalier en sifflotant.

— Ce monsieur semble vraiment content, remarqua le vieux majordome en débarrassant Aldo de ses vêtements de sortie. Cela fait plaisir à voir.

— Ça en fait au moins un ! Notre marquise a fini son champagne ?

Détestant le thé qu’elle traitait de tisane infâme, elle le remplaçait à partir de 5 heures par une bouteille millésimée qu’elle partageait volontiers avec sa lectrice et quiconque se présentait.

— Pas encore, il n’est que…

— Aucune importance ! Apportez-moi une fine à l’eau… sans eau et bien tassée ! J’en ai besoin !

Assise telle une reine dans son grand fauteuil de rotin blanc dont le haut dossier en éventail évoquait un trône, Tante Amélie buvait son champagne tandis que Marie-Angéline installée à une petite table se consacrait à une réussite. Avec ensemble, elles saluèrent l’entrée d’Aldo de la même interrogation :

— Alors ?

— Alors quoi ? répondit celui-ci en embrassant la vieille dame.

— Cette vente s’est bien passée ? Tu as eu ce que tu voulais ?

— Moi, oui. Je vous les montrerai tout à l’heure. Quant à la vente, on ne peut pas dire qu’elle se soit mal passée, mais elle a été plus mouvementée que prévu. Nous avons eu droit à une intervention de la justice – en l’occurrence, le cher Langlois en personne relayant Phil Anderson, le patron de la police new-yorkaise, accompagnant un huissier en charge de l’affaire. Ils ont fait retirer de la vente des joyaux ayant appartenu à la marquise d’Anguisola et que l’on croyait au fond de l’océan.

— Comment est-ce possible ?

— Durant la pagaille causée par le naufrage du  Titanic, la marquise a été assassinée et on lui a volé ses joyaux. Il y a eu un témoin !

— Il en aura mis du temps à se manifester, le témoin ! remarqua Plan-Crépin. Une vingtaine d’années !

— C’était une jeune femme de chambre qui s’occupait à la fois de la marquise et du ménage Astor. Quand elle s’est précipitée sur le pont pour avertir le commandant, on allait embarquer la jeune Mme Astor, et son époux a supplié cette fille de prendre soin de sa femme terrifiée et enceinte. Un instant plus tard, elles étaient toutes deux dans la chaloupe et, à New York, il ne lui a pas été possible de se faire entendre dans l’espèce de folie qui régnait. Elle était d’ailleurs épuisée et a suivi Madeleine Astor dans le Connecticut. Elle ne l’a quittée que depuis six mois pour entrer au service d’une autre dame chez qui elle a vu une photo de Mme d’Anguisola et c’est là qu’elle a tout révélé ! Du coup, les joyaux en question ont été retirés de la vente… à la grande joie de notre Texan !

— Pourquoi ?

— Mais parce que la Chimère n’est pas restée plus que les autres au fond de l’Atlantique Nord…

Il s’interrompit pour prendre le verre que Cyprien lui présentait sur un plateau d’argent et en avala un bon tiers, sous l’œil surpris de Mme de Sommières dont il avait refusé le champagne.

— Bigre ! On dirait que tu avais besoin d’un remontant !

— Un peu, oui… en plus il faisait un froid de canard à Drouot !

— Ils ont l’habitude de chauffer pourtant ! Et avec une salle sans doute bondée…, remarqua Plan-Crépin toujours occupée de ses cartes.

Voyant le regard de son neveu virer au vert, ce qui était en général mauvais signe, la marquise se hâta d’intervenir :

— Vous oubliez qu’il a les bronches fragiles, Plan-Crépin ! Et c’est bourré de courants d’air là-bas ! À propos, qu’as-tu fait du cher Cornélius ?

— Il est monté se faire une beauté ! Le voilà, d’ailleurs !

Le parquet précédant le jardin d’hiver grinçait en effet sous ses pas et il effectua une apparition quasi rayonnante.

— Vous semblez avoir appris une bonne nouvelle aujourd’hui, Monsieur Wishbone ? dit aimablement son hôtesse. Un peu de champagne ?

Louchant visiblement sur le verre d’Aldo, il émit en s’empourprant :

— C’est que…

— Vous aussi aimeriez mieux quelque chose de plus énergique ? fit-elle en riant. N’ayez pas peur de demander… nous avons même du whisky ! Cyprien !

Son sourire s’épanouit.

— Oh oui !… Et c’est vrai que je suis très, très, très content ! Monsieur Morosini… euh, Monsieur le prince…

— Laissez tomber ! coupa Aldo.

— Merci !… Enfin, je crois qu’il va chercher la Chimère pour moi !

— Hé là, doucement ! protesta l’intéressé. Je vais essayer de savoir s’il est possible de relever une piste mais vous devez comprendre, cher ami, que je n’ai pas beaucoup de temps libre… C’est le travail de la police et le commissaire divisionnaire Langlois déteste laisser une affaire importante sans solution.