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Puis regardant plus attentivement son ami :

— Du café peut-être mais de l’armagnac sûrement !

— Les deux ! lâcha Aldo, lugubre.

— Bon !… Qu’est-ce qu’il « nous » arrive encore ?

— Tu parles comme Plan-Crépin maintenant ? grogna Aldo en se laissant tomber dans l’un des fauteuils Chesterfield en cuir noir – un peu âgé mais si accueillant ! – où il avait passé nombre d’heures.

— Le pluriel de majesté ? Sûrement pas mais tu n’as peut-être pas remarqué que, quand tu t’embarques dans un quelconque coup tordu, il est bien rare que je ne plonge pas avec toi… D’abord qu’as-tu fait de ton Américain ?

— S’il ne dort pas encore, il boucle ses valises : il veut repartir demain sur le  Paris.

— Déjà ? Il ne va plus chez Cartier ?

— Non. Il vient d’apprendre que la foutue Chimère n’a pas du tout pris sa retraite dans l’épave du  Titanic. Pas plus que les autres bijoux de Mme d’Anguisola : celle-ci a été assassinée tandis que le navire commençait à couler. Pour lui voler son trésor naturellement.

— C’est à Drouot que tu as appris ça ?

— Où veux-tu que ce soit ? Pour une vente mouvementée, ce fut une vente mouvementée !

Et après avoir avalé d’un trait son café et mis à chauffer le ballon de cristal entre ses deux mains, Aldo fit le récit bref mais précis de ce qui s’était passé dans la célèbre salle des ventes. Sans oublier pourtant de doser ses effets. Ainsi, à propos de l’intervention de Langlois, il ne mentionna pas le nom de celui qui l’accompagnait.

— Bah ! commenta Adalbert en récurant sa pipe avant de la bourrer à nouveau. Je ne vois pas pourquoi tu tires une figure de catastrophe ! Tu ne vas pas t’embringuer là-dedans ? Laisse-le donc courir après sa Chimère la bien nommée aussi longtemps que ça l’amusera !

— Je crains fort, au contraire, d’y être enfoncé jusqu’aux amygdales. Je ne t’ai pas encore nommé l’Américain qui accompagnait le divisionnaire.

— C’est important ?

— Juge toi-même : c’est John-Augustus Belmont et la femme de chambre rescapée du naufrage, celle de Pauline… qui se trouve être la filleule de la défunte marquise et à qui elle destinait ses joyaux !

— M… !

— Je ne te le fais pas dire ! conclut Aldo avec une certaine satisfaction.

— Qu’est-ce qu’on va faire ?

— Merci pour le « on » ! Outre que j’ai promis à Cornélius de jeter un coup d’œil à son affaire, il est impossible de tourner le dos aux Belmont !

— Ben, voyons ! Tu as une idée sur la façon dont on peut s’y prendre ?

— Une vague. J’ai invité Berthier à venir boire un verre chez Tante Amélie demain soir.

— Tu veux insérer une annonce dans  Le Figaro ?

— Je n’aurais pas besoin de lui pour ça mais il se trouve qu’il est sans doute le seul journaliste qui ait approché Van Tilden. Il n’a pas vu la collection mais il est allé chez lui et je voudrais d’abord savoir qui est chargé de liquider la succession puisqu’il n’y a pas de famille. Il sait peut-être à qui ont été achetés les deux joyaux incriminés.

— Qui sont ?

— Une parure magnifique ayant appartenu à Isabelle de Valois, épouse de Philippe II d’Espagne, et un pendentif représentant une sirène dont le corps est une perle baroque plutôt curieuse de forme, la queue composée d’écailles de saphir et d’émeraude, la tête et les bras d’or émaillé ainsi que la chevelure que l’on a parsemée de petites topazes pour les reflets. Sans compter une sorte de décor de perles et de rubis ciselés. Des bijoux vraiment royaux !

— Qui ne t’intéressaient pas ?

— Non, j’ai acheté ce que je voulais, pour des clients bien précis d’ailleurs. Quant à Cornélius, en attendant de dépenser la lune pour la Chimère, il s’est porté acquéreur de deux bracelets ayant appartenu à Lucrèce Borgia pour la modeste somme de deux cent mille francs…

— Mais c’est Crésus, cet homme-là !

— Ou une assez bonne copie en tout cas. En mariant des vaches avec du pétrole, on doit obtenir des veaux en or massif !

Petit silence qu’Adalbert employa à tasser convenablement son tabac puis à allumer sa pipe dont il tira deux ou trois bouffées vigoureuses, tandis qu’Aldo promenait son verre sous son nez d’un air inspiré… Soudain Adalbert demanda :

— Il est venu tout seul, Belmont ?

— Non. Avec Pauline… et la femme de chambre témoin.

— Ah !

Cette simple syllabe suffit à déclencher la colère d’Aldo.

— Tu ne vas pas t’y mettre, toi aussi ?

— Moi aussi ? Ça veut dire quoi ?

— Que tu devrais chanter en duo avec Plan-Crépin ! Tout à l’heure pendant le dîner, il a fallu que Tante Amélie la tienne serrée pour l’empêcher de se lancer dans une philippique contre Pauline ! La savoir à Paris l’a mise en fureur ! Vous imaginez quoi, tous les deux ? Que je vais foncer au Ritz pour y prendre Pauline d’assaut toutes affaires cessantes ? Alors veux-tu me dire ce que je fais ici ?

— Ah ? Plan-Crépin a…

— Tout comme toi, mon vieux ! Tout comme toi !

Adalbert se mit à rire et lui tendit la bouteille d’armagnac pour qu’il se resserve.

— Tu n’es tout de même pas retourné à l’état sauvage ! Mais que sa présence inattendue te perturbe un brin, je le croirais volontiers.

— À quoi vois-tu ça ?

— Oh, c’est élémentaire : dans ton état normal, tu n’aurais jamais eu l’idée de t’adresser à un journaliste, si affûté soit-il, pour savoir qui est l’exécuteur testamentaire de Van Tilden. Tu filerais tout bêtement voir ton vieux copain Maître Lair-Dubreuil, commissaire-priseur illustre de son état : lui le sait forcément !

— Mais c’est que tu as raison ! marmotta Aldo, accablé par la logique de son ami. Si c’est ça, j’expédie tout demain, on embraye sur le boulevard Haussmann, on boit avec Berthier le verre promis, on dîne ou déjeune avec les Belmont… et j’attrape le premier train pour Venise !

Il débordait soudain de bonne volonté. Seulement, c’était plus facile à dire qu’à faire !…

3

Au rendez-vous des souvenirs

Comme l’avait prévu Vidal-Pellicorne, Aldo n’eut aucune peine à obtenir le nom de l’exécuteur testamentaire. Il s’agissait simplement du notaire qui était aussi l’un des rares amis de Van Tilden : Maître Pierre Baud. Ce qui constituait une agréable surprise. Baud ayant été aussi celui de son ami Gilles Vauxbrun disparu dans des circonstances tragiques (8). Il était naturellement resté celui de son successeur et fils caché, le jeune François Faugier-Lassagne, qui avait repris avec enthousiasme, mais aussi une sorte de piété, le célèbre magasin d’antiquités de la place Vendôme.

Rien d’étonnant là-dedans, l’étude de l’avenue Latour-Maubourg étant peut-être la meilleure de Paris. Après l’enfilade claire et bien rangée des bureaux occupés par un personnel tiré à quatre épingles, on accédait au cabinet du maître. Avec ses confortables meubles anglais, sa moquette épaisse et ses grands rideaux de velours vert Empire, il offrait une ambiance feutrée mais digne, tout à fait propre à mettre le client en confiance et à établir des liens cordiaux et durables avec des gens respectables, à impressionner les aigrefins et même à apporter l’apaisement d’un cadre ouaté – donnant sur un jardin intérieur les bruits de la rue n’y arrivaient guère ! – propice à la lecture de testaments plus ou moins houleuse. Il y avait même, dans une armoire de bibliothèque, tout ce qu’il fallait pour venir à bout d’évanouissements vrais ou simulés, ou pour partager un instant agréable avec un bon client ou un ami. Quant au notaire lui-même, c’était un homme d’une cinquantaine d’années, corpulent et de haute taille, pourvu d’un sourire aimable, de jolis yeux d’un bleu de myosotis et d’un teint légèrement fleuri dénonçant des habitudes de joyeux compère dont les effets étaient corrigés par les longues marches du samedi et du dimanche lors de la chasse hebdomadaire en Sologne où il avait une propriété.