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— Alors c’est là qu’elle va ! Nous autres les Belmont avons toujours voulu le meilleur pour nos serviteurs !

Dumoulin fronça le sourcil et renifla :

— Vous croyez que c’est le moment de penser au luxe quand on n’est même pas sûr qu’elle arrivera vivante ? À l’Hôtel-Dieu ! ajouta-t-il à l’intention des brancardiers. Et pas question de poser un lapin au commissaire principal Langlois qui s’y rend en ce moment…

Ce qui fit sourire Morosini. Apparemment, il n’était pas tout seul à essuyer les mauvaises humeurs du grand chef !

— Allez avec elle dans l’ambulance, conseilla-t-il à Belmont. Je vous rejoins le temps de téléphoner chez moi qu’on ne m’attende pas et de récupérer ma voiture rue de la Paix…

— Et voilà ! conclut Marie-Angéline en dépliant sa serviette après que Cyprien eut rendu compte de l’appel téléphonique d’Aldo. Les ennuis commencent ! Mais ça, je l’aurais juré. Dès l’instant où les Belmont s’inscrivent dans le paysage, on peut s’attendre à tout !

— Ah non, vous n’allez pas recommencer ! Vous êtes de parti pris, donc de mauvaise foi ! Les Belmont sont les meilleurs amis que nos garçons aient en Amérique ! Je ne connais pas le frère mais si je m’en réfère à la sœur…

— C’est une femme charmante, je sais ! Nous l’avons déjà dit !

— Je persiste et signe ! Mettez-vous dans le crâne que vous les verrez d’ici peu à cette table ! J’ai une folle envie de connaître le marsouin de New Port ! En outre ce qui leur arrive n’est vraiment pas leur faute !

— Je n’en disconviens pas, mais je préférerais qu’Aldo soit reparti pour Venise ! Le voir couver des yeux l’admirable Pauline me donne la nausée !

— Prenez de la mélisse et du laudanum ! Et, quand ils viendront, allez donc dîner au Royal Monceau, par exemple ! Cela nous évitera vos remarques acerbes ! Savez-vous ce que vous allez réussir avec votre mauvais vouloir ?

— Je ne vois pas…

— Je vais vous l’apprendre ! Quand il viendra à Paris, Aldo se gardera soigneusement de venir loger sous ce toit et reprendra ses habitudes au Ritz. C’est ce résultat que vous cherchez ?

— N… on ! Bien sûr que non !

— Alors tenez-vous tranquille ! Essayez de faire bonne figure ! Souvenez-vous de ce que je vous ai dit : un séjour hygiénique chez la cousine Prisca ! Et, si vous tenez tellement à vous mêler des affaires d’Aldo, que ce soit au moins pour l’aider, au lieu de le surveiller comme un policier surveille un voleur à la tire !

Plan-Crépin n’avait plus de munitions : elle capitula en redemandant des œufs brouillés.

En arrivant aux urgences de l’Hôtel-Dieu, Aldo pensa que la tournée des souvenirs commençait à devenir lassante en tombant droit sur le Dr Organ auquel il avait déjà eu affaire par deux fois et qui, sans voir en lui la huitième plaie d’Égypte, ne l’en considérait pas moins comme un snob insupportable. Son accueil s’en ressentit !

— Encore vous ? Je pensais que vous teniez définitivement cette maison comme à mi-chemin entre l’asile de nuit et la léproserie ? Qui venez-vous sauver de nos miasmes ?

— Si on négociait une trêve, docteur ? On vient de vous amener une Anglaise grièvement blessée et je voudrais rejoindre le commissaire Langlois qui doit être dans vos murs.

À l’énoncé de son nom, celui-ci apparut comme par magie.

— Venez par là, Morosini ! J’ai des questions à vous poser !

Il ouvrit devant lui la porte vitrée d’un petit bureau mais la patience d’Aldo était à bout de souffle :

— Et si vous me parliez sur un autre ton ? Auriez-vous par hasard quelque chose à me reprocher ? Alors non, ce n’est pas moi qui ai assassiné la marquise d’Anguisola sur le  Titanic et je n’ai pas planté de couteau dans le dos de cette pauvre Miss Adler que j’ai vue aujourd’hui pour la première fois !

Le visage sévère du commissaire se détendit, allant même jusqu’à s’éclaircir d’un sourire.

— Bon ! Toutes mes excuses !… Mais avouez que vous êtes un curieux personnage ! Dès qu’une histoire vaseuse se pointe à l’horizon, on vous voit apparaître comme par enchantement : hier vous étiez à Drouot et ce matin au Ritz !

— Vous pourriez peut-être vous souvenir qu’il m’est arrivé de vous donner un coup de main et que, dans vos histoires vaseuses, j’ai failli laisser ma peau au moins deux fois ! Donc, avant que je réponde à vos questions, répondez vous-même à la mienne : comment va Miss Adler ?

— Elle vit encore. Le cœur n’a pas été touché mais il y a d’autres dégâts. En outre, sa santé n’est pas des meilleures, si j’ai bien compris. Le professeur Aulagnier est en train de l’opérer.

— Où est Belmont ?

— Dans la salle d’attente. Je vais vous y conduire, mais racontez-moi d’abord ce que vous savez !

Calmé, Morosini fit un récit aussi complet que possible de sa matinée.

— Qu’est-ce que c’était que ce journal qu’elle avait tellement hâte de lire ?

— Je n’ai pas eu cette curiosité et me suis contenté de le remettre sous son bras, mais j’ai l’impression que l’assassin l’a emporté dans sa fuite : c’était la seule chose qui manquait parmi les paquets répandus sur le tapis du Ritz !

— Ils venaient d’où, ces paquets ?

— La Grande Maison de Blanc à l’angle de la place de l’Opéra.

— Je sais où c’est, merci ! Donc elle a dû acheter son canard au kiosque du coin. Je vais envoyer l’inspecteur Bon interroger le marchand. Il se souviendra peut-être d’elle ! Il devrait y avoir une photo ou un titre qui a attiré son attention !

— Laissez-moi m’en occuper ! Je vais ramener Belmont à l’hôtel et je…

— Vous voulez que je vous embauche ?

— Grands dieux non ! Je n’ai pas le goût du martyre ! Je pense seulement qu’on se méfiera moins de moi que d’un policier en exercice. En outre, je l’ai tenu dans mes mains, ce journal… et au besoin je les achèterai tous !

— On n’a évidemment pas les mêmes moyens ! Un flic de luxe, en quelque sorte ? Bon, allez-y ! En attendant, rejoignons M. Belmont ! Il doit se sentir un peu abandonné.

Mais il ne l’était pas : Pauline était avec lui… et aussi le Napolitain qui apparemment ne la quittait plus d’une semelle. Quand la porte s’ouvrit, Aldo la vit en face de lui. Il vit aussi son regard s’éclairer et l’élan vers lui qu’elle retint de justesse, mais ce ne fut qu’un instant. Resta cependant un sourire qu’il jugea un rien automatique.

— Aldo ! Quel plaisir de vous revoir ! Il me semble qu’il y a des siècles…

— Il ne m’est pas apparu si long à moi ! répliqua-t-il après avoir baisé la main qu’elle lui tendait. Il est vrai que ma vie est plus que… mouvementée ! Demandez plutôt au commissaire Langlois : il trouve que j’en fais trop !

— Et Adalbert ? Comment se porte-t-il ?

— Au mieux ! Vous ne tarderez pas à le voir, je pense !… Croyez que je suis désolé de ce qui est arrivé à votre femme de chambre…

— Qui est-ce ? interrogea l’adorateur de Pauline sans s’encombrer inutilement de politesse, mais ce fut Belmont qui se chargea de la réponse.

Belmont qui d’ailleurs n’avait pas l’air d’apprécier outre mesure la présence du bel Ottavio.

— Qu’est-ce que ça peut bien vous faire ? On n’est pas ici dans un salon, mais si vous y tenez… Mon cher Aldo, voici le comte…

— Fanchetti ! souffla Pauline, visiblement inquiète.

— C’est ça ! Fanchetti, je vous présente « au » prince Morosini…

Aldo l’aurait embrassé : son petit « au » qui ne payait pas de mine était en réalité un chef-d’œuvre d’insolence. Sans se serrer la main, les deux hommes inclinèrent le buste dans un style vaguement japonais en se déclarant « enchantés ». Un de ces gros mensonges mondains comme il s’en profère à chaque instant, après quoi Aldo se tourna vers Belmont :

— Que comptez-vous faire ? Attendre l’issue de l’opération ?

— Il est inutile que nous restions tous ! C’est à moi d’attendre le verdict du chirurgien, dit Pauline. Helen est ma femme de chambre. Donc, je reste. Vous pouvez partir avec Aldo, John-Augustus ! On se retrouvera ce soir à l’hôtel !