— Et dont vous n’avez pas la moindre idée ?
— Pas la moindre… et je ne chercherai pas, car ce serait aller contre sa volonté !
— On ne peut que vous approuver, soupira Aldo. Cependant, j’aimerais vous poser encore une question, si vous y consentez ?
— Mais je vous en prie !
— Vous a-t-il confié le nom de celui qui la lui a vendue… ainsi que les deux autres pièces provenant des biens de la comtesse d’Anguisola ?
— Non, rien ! Et pas davantage sur les autres pièces de sa collection. Uniquement l’Histoire, pas le côté mercantile… Mais il se fait tard, Messieurs, et il serait temps, pour moi, de rentrer à la maison. Viendrez-vous y déjeuner demain en ma compagnie ? Cela me ferait un immense plaisir et, sans être un cordon-bleu confirmé, ma vieille Sidonie ne se débrouille pas si mal avec ses casseroles !
Ils acceptèrent naturellement et raccompagnèrent le professeur jusqu’à sa vénérable « automobile » qu’il mit en marche avec le cérémonial que l’on sait. Tout en enfilant ses gants, le conducteur hurla pour dominer le vacarme généré par son engin :
— Dans le feu de la conversation, nous avons oublié de parler de ce jeune homme que vous cherchez. Vous avez une idée quelconque de ce qu’il a bien pu fabriquer ?
— Aucune, déplora Aldo. Plus exactement, rien de plus que la trouvaille dont on a parlé au commissariat : une voiture immergée dans la Loire. Et dont nous ne connaissons ni la marque ni le numéro minéralogique.
— Ça, c’est l’affaire de Desjardins. Il pourra vous renseigner… s’il est de bon poil ! S’il est avéré que c’est celle du journaliste, c’est qu’on lui aura fait un mauvais parti. Si j’étais vous…
Il prit un temps un doigt en l’air comme s’il attendait une inspiration du Ciel puis énonça :
— Vous devriez essayer d’en savoir un peu plus sur les nouveaux habitants du château !
— Ce… Catannei ? Vous pensez qu’il pourrait être… un mafioso, par exemple ?
— Pas vraiment mais il y a un détail qui me laisse à penser.
— Lequel ?
— Ce nom de Catannei. La mère de la tribu Borgia – donc de César ! – s’appelait Vanozza Catannei. Je vous souhaite une bonne nuit !
Et l’ancestrale machine démarra dans un boucan du diable…
6
Des coups d’épée dans l’eau ?
Avant d’aller se coucher, Aldo et Adalbert sacrifièrent à leur vieille habitude de faire quelques pas en fumant un cigare, surtout à l’issue d’un bon repas. D’un accord tacite, ils choisirent le chemin qui menait au château. Après l’information que le professeur venait de lâcher, il les attirait plus que jamais. Cependant, ils cheminèrent en silence jusqu’à la sortie d’un petit bois d’où ils purent le contempler dans toute sa beauté, grâce au quartier de lune accroché dans un ciel sans nuages, ce qui était plutôt rare au mois de novembre.
Aucune lumière n’y brillait, la noble demeure semblait sortie d’un conte de fées ou d’un rêve.
— Tu ne m’ôteras pas de l’idée que tout vient de là ! émit Adalbert en désignant le bâtiment du bout de son « puro ».
— J’essaierai d’autant moins que je pense comme toi, mais quel moyen d’entrer là-dedans ? Sous quel prétexte ?
— On pourrait commencer par poser quelques questions à Monsieur le maire ? C’est lui qui en a la gestion puisque Van Tilden l’a légué à la commune sous certaines conditions et je me demande si la location, meublée en outre, en faisait partie… On pourrait l’interroger ?
— À quel titre ? Il nous enverra promener et on ne pourra pas lui donner tort !
— Exact ! En revanche, on devrait soumettre notre aubergiste à la question ! Ne nous a-t-il pas dit qu’il était conseiller municipal ? On en a forcément débattu autour de la table du conseil puisque la location du château n’était pas prévue au testament Van Tilden !
— On va même lui en parler tout de suite, décida Aldo en faisant demi-tour. On rentre, on lui fait sortir sa bouteille de poire et on cause !
— Ça me paraît judicieux, l’heure étant propice aux confidences…
Sans presser le pas, ils retournèrent vers leur hôtel. Sans mot dire d’abord, puis Aldo :
— Toi, je ne sais pas, mais pour moi, mon siège est fait. Le Catannei a dû offrir une somme alléchante et je parierais mon palais contre une cabane à lapins que ce grand malade, arrivé en ambulance pour que cela fasse plus vrai, tient surtout à ce qu’on lui fiche la paix afin de chercher tranquillement la Chimère. Tu as entendu le professeur : Van Tilden l’avait séparée du reste de sa collection et mise en lieu sûr afin d’être certain qu’elle resterait auprès de lui après une mort qu’il voyait venir. Or il est vaste, le château.
— Le château, mais pas la chapelle où il s’est fait enterrer et, s’il a voulu garder le joyau pour lui, c’était sans doute au plus près. Donc elle est quelque part dans la chapelle… et pourquoi pas dans son tombeau ? Nous sommes bien placés pour savoir que ça peut arriver, non ?
— Oh, oui ! Et je n’ai pas la moindre envie de faire une habitude d’explorer des sépultures, dit Adalbert en réprimant un frisson qui fit sourire son ami.
— Que fait-on d’autre quand on est égyptologue ?
— Celle-là, je l’attendais ! Je t’ai pourtant expliqué qu’entre fouiller une pyramide vieille de quelques milliers d’années et rouvrir une tombe fraîche, ce n’est pas du tout la même chose ! Après ce qu’on a vécu en Bohême et plus tard à Versailles, sans compter la séance de Lugano !…
— Tu as oublié la Reine inconnue ? Il ne me semble pas que tu en aies conservé un si mauvais souvenir, murmura Aldo en posant une main sur l’épaule de son ami.
— Non, tu as raison : c’est un souvenir inoubliable et que je veux garder intact ! Et c’est la raison pour laquelle je me refuse d’y ajouter une violation de sépulture fraîche qui pourrait être abominable ! D’ailleurs, si le Catannei est ce que nous pensons, il est probable qu’il n’a pas dû avoir les même scrupules. Conclusion : nous perdons notre temps… à moins que tu ne tiennes essentiellement à risquer ta peau – et la mienne ! – pour faire plaisir à ton cow-boy barbu ?
— Non. On n’est pas là pour ça, mais pour essayer de retrouver Berthier. Or, s’il n’est pas mort, il doit être coincé dans ce foutu château. Et nous, on se retrouve à notre point de départ !
— Tu as raison ! Direction l’auberge et sa vieille poire !
Maître François n’ayant plus grand-chose à faire ce soir-là se contentait d’attendre le retour de ses clients pour fermer les volets, et ne vit aucun inconvénient à les accompagner dans leurs ultimes libations de la journée. On parla d’abord de tout et de rien. Par exemple, du professeur auquel il portait un respect curieusement mâtiné d’une sorte de crainte. Ainsi il avait été très content de le voir à l’une de ses tables, car il le considérait comme le témoin d’un passé prestigieux et un homme de grand savoir.
— Vous avez de la chance d’être de ses amis parce que personne ne connaît Chinon et sa région aussi bien que lui. Il en sait même tous les secrets !
— Il y en a tant que ça ? demanda Adalbert avec bonne humeur.
— Oh, oui ! soupira l’aubergiste en levant les yeux au plafond comme s’il s’attendait à en voir descendre quelque apparition céleste. En plus il a les « pouvoirs »…
— Les pouvoirs ? Les pouvoirs de quoi ?
— Je ne saurais pas vous expliquer. Les pouvoirs, quoi ! Il sait toujours tout ce qu’il veut savoir…
— Ça ne se dirait pas ! ronchonna Morosini que ce genre de discours avait tendance à agacer. Mais, à propos de savoir, vous nous avez bien dit que vous étiez conseiller municipal ?
— Bien sûr que je le suis !
— Alors racontez-nous comment vous en êtes venus à louer le château, avec tout ce qu’il y a dedans, à cet étranger ? Je ne suis pas certain que ce genre d’arrangement ait fait partie des clauses testamentaires de M. Van Tilden.