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Deux voitures en effet débouchaient en trombe dans la clairière. En trombe mais en silence, ce qui était rare chez l’une et plus encore chez l’autre.

— Comment se fait-il que vous soyez déjà là ? brama Savarin à l’intention du professeur.

— Parce que j’ai reçu un coup de téléphone anonyme m’annonçant où l’on pourrait trouver ce malheureux garçon. Et c’est moi qui vous ai appelé. Bonjour, commissaire !

Celui-ci n’eut pas le temps de répondre, car Savarin poursuivait sa philippique :

— Et ces deux-là ? La raison de leur présence ?

— C’est toujours moi ! Vous ne croyez pas qu’ils sont intéressés au premier chef puisqu’il s’agit d’un de leurs amis ?

— Admettons, mais c’est tout de même bizarre…

— Commissaire ! coupa Combeau-Roquelaure, agacé, dites à votre molosse de reporter sa crise de nerfs à une date ultérieure ! Cet homme doit être hospitalisé et en priorité radiographié d’urgence ! Ceux qui l’ont recueilli ont fait de leur mieux mais, outre la tête, il est blessé en plusieurs endroits !…

Sans s’occuper d’eux d’ailleurs, les infirmiers emportaient le blessé vers l’ambulance dans laquelle ils l’installèrent, puis démarrèrent après avoir déclenché leur sirène. Desjardins cependant poursuivait :

— Savarin ! Vous et vos hommes allez me passer cette clairière au peigne fin pour en apprendre le plus possible sur celui ou ceux qui l’ont amené ici ; moi, je vais suivre l’ambulance avec ces messieurs et je vous communiquerai ce que j’aurai appris ! Exécution !

Si obstiné qu’il soit, l’inspecteur savait qu’il était préférable de ne pas le contrarier quand il employait un certain ton. Il s’abstint donc de tout commentaire et se mit au travail après avoir distribué leurs objectifs aux deux autres. Pendant ce temps, Desjardins et le professeur prenaient place à l’arrière de la Talbot à laquelle Aldo avait fait faire demi-tour.

— À présent, émit le policier en se carrant au fond des coussins, dites-m’en un peu plus, Monsieur le professeur. Qui sont ces gens qui vous ont alerté ?

— Je n’en sais pas davantage que tout à l’heure : une voix de femme que je ne connais pas m’a appelé chez moi vers 8 heures pour me dire où je pourrais trouver Michel Berthier, précisant que chez elle on avait fait le maximum pour le tirer d’affaire mais que ses blessures nécessitaient des soins hospitaliers. Sans cela, on ne se serait jamais risqué à prévenir une police qui s’obstinait à voir en lui un coupable alors qu’il était une victime autant que le pauvre Dumaine.

— C’était pourtant la meilleure preuve de son innocence, il me semble ?

— Pas pour cette femme ; il fallait d’abord, et à tout prix, que ceux qui l’avaient attaqué et le croyaient mort continuent à couver cette idée réconfortante !

— Et le danger eût été moins grand en laissant passer le temps ?

— Oui, parce que cela laissait dans l’obscurité ceux qui l’avaient recueilli. Si la mort était intervenue peu après, on se serait contenté de le remettre à l’endroit où on l’avait découvert… C’est un raisonnement logique, n’est-ce pas ?

— Votre correspondante aurait-elle une idée de l’identité des auteurs du meurtre de Dumaine et du rapt de cet homme ?

— Elle prétend que non. Je dis bien elle « prétend »…

— Mais vous n’en croyez rien ?

— Elle parlait peut-être au nom d’amis qui entendent préserver leur anonymat et il se peut qu’elle-même l’ignore.

— Et naturellement, vous n’avez pas reconnu cette voix ?

— D’autant moins qu’elle était déguisée, j’en jurerais !

Ni Aldo ni Adalbert ne soufflaient mot, attentifs à ne pas perdre une miette des propos qui s’échangeaient derrière eux. Leur silence finit par indisposer vaguement le policier :

— Et vous, Messieurs ? Vous n’avez rien à dire ?

Ce fut Vidal-Pellicorne qui se chargea de la réponse :

— On en sait encore moins que le professeur puisque c’est sur son appel « urgent » qu’on est venus le chercher !

— Vous ne pensez pas qu’il eût été plus normal que l’on nous avertisse, nous, en priorité ?

— Si elle ne voulait pas dévoiler son identité, la femme a dû juger préférable de s’adresser au professeur et, comme celui-ci savait à quel point nous nous tourmentions pour Berthier, il a fait spontanément appel à nous, en sachant d’autre part que nous disposions d’une voiture plus rapide… et moins bruyante que la sienne.

— Qu’allez-vous faire à présent ? Repartir ?

— D’abord essayer de rassurer sa femme, reprit Morosini, et mettre fin à son angoisse et, si elle décide de se déplacer, nous mettre à son service. J’espère que vous n’y verrez pas d’inconvénients ?

— Aucun. Il me semble même me rappeler vous avoir priés de rester encore un peu en notre compagnie ! Au cas où j’aurais quelques questions à vous poser.

— Si vous voulez, émit Adalbert après un reniflement de mauvais augure : cela signifiait qu’il commençait à perdre patience. Mais si j’étais vous, je crois que je dirigerais mes recherches du côté du château. C’est à sa domesticité que Dumaine appartenait, non ?

— Calmez-vous, Adalbert ! enjoignit le professeur. Le commissaire connaît son métier !

— Je n’en doute pas un seul instant mais…

— Il y a une chose que, moi, j’aimerais comprendre, coupa Aldo, c’est pourquoi on a envoyé la voiture dans la Loire et pourquoi, lui, on l’a abandonné je ne sais où encore vivant ?

— Il fallait que la voiture disparaisse pour accréditer la fuite de Berthier.

— Mais la Loire n’a pas de grandes profondeurs !

— À certains endroits, si, répondit Desjardins. Il faut les connaître ; c’est donc quelqu’un du pays qui l’y a expédiée…

— D’accord ! Mais alors pourquoi n’avoir pas laissé Berthier dedans ?

— Justement pour que l’on ne risque pas de trouver son cadavre à l’intérieur, au cas où l’auto remonterait, avança le professeur. Ou alors, ils comptaient l’enterrer et ils ont été dérangés par ceux qui ont porté secours à la victime qu’ils supposaient morte.

— C’est une explication en effet, soupira Desjardins. C’est la raison pour laquelle j’aimerais tant savoir pourquoi ces gens-là ne se sont pas fait connaître ! Sauver quelqu’un n’est pas un crime, que je sache.

— C’est peut-être une société secrète qui n’a pas envie de faire parler d’elle en bien… ou en mal ? hasarda Adalbert. Allez donc savoir !

— Et quoi encore ? grogna le professeur. Vous avez passé l’âge de lire  Les Pieds Nickelés, mon ami ! Une société secrète ! Vous rêvez ?

Surpris par le ton, Aldo jeta un rapide coup d’œil à son rétroviseur et put constater que son cousin – puisque cousin, il y avait ! – avait rougi violemment sous une poussée de colère bien inattendue. Le propos d’Adalbert – la plaisanterie plutôt, destinée à détendre un peu l’atmosphère – ne méritait pas une telle réaction. Il voulut en savoir davantage et risqua :

— Ne nous disiez-vous pas vous-même, professeur, et cela pas plus tard qu’hier, que Chinon, chargée d’une histoire à la fois glorieuse et trouble, était la ville de tous les mystères dont certains s’étendaient jusqu’à la Croix-Haute ? L’hypothèse d’Adalbert n’est peut-être pas si folle après tout ?

Mais s’il pensait mettre de l’huile sur le feu et accentuer l’irritation du vieil homme, il se trompait. Peu à peu, sa figure reprenait au contraire sa couleur naturelle. Les sourcils se décrispèrent et Aldo entendit :

— Oh, finalement, pourquoi pas ? Comme vous dites, on peut s’attendre à tout ici ! En tout cas, on ne m’ôtera pas de l’idée que tout le mal vient de ce foutu château qui semble n’attirer à lui que des gens bizarres ! Je donnerais cher pour pouvoir l’explorer !

— Ce ne devrait pas être si inaccessible pour vous d’y être au moins reçu étant donné votre personnalité, vos titres, votre notoriété et aussi le fait que vous étiez ami avec Van Tilden ?