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— Admirable ! apprécia Mme de Sommières. Cette Lucrezia Torelli est exceptionnelle. Rencontrer tant de talents joints à tant de beauté et à une voix de cette qualité est une expérience comme je n’en ai jamais connu ! Qu’en pensez-vous, Adalbert ?

Encore prisonnier du sortilège, celui-ci soupira :

— Il n’y a pas de mots pour la décrire : elle est sublime…

Wishbone, lui, exultait.

— Je vais tout de suite la féliciter. Voulez-vous venir avec moi… ou préférez-vous attendre la fin du spectacle ?… Nous souperons avec elle ! J’ai retenu une table au Café de Paris.

Il trépignait presque dans sa hâte de rejoindre son étoile et, sans attendre une réponse pour lui acquise d’office, il sortit de la loge presque en courant…

— Qu’est-ce qui lui prend ? ronchonna Adalbert… J’y serais bien allé, moi !

— On dirait que tu as attrapé le virus ! fit Aldo, moqueur. Essaie de prendre patience ! Tu vas souper avec elle. C’est mieux que d’aller encombrer sa loge à un moment où elle va changer de costume, de coiffure et où elle préfère sans doute se détendre avant le deuxième acte. N’oublie pas que Wishbone la considère comme sa fiancée !… à condition, bien sûr, qu’il lui apporte la Chimère baladeuse ! Et là, je crois qu’il va un peu vite et n’a que trop tendance à prendre ses désirs pour des réalités. Quant à toi, je te rappelle que tu n’as pas une fortune faramineuse à mettre à ses pieds !

— C’est aimable de me le rappeler alors que je te considère comme mon frère...

— Ah non ! intervint Mme de Sommières. Vous n’allez pas recommencer à vous disputer ! Et pour une femme dont je suis persuadée qu’elle sait parfaitement ce qu’elle veut. Et je subodore que ce n’est ni vous ni ce cow-boy milliardaire… Entrez ! cria-t-elle après avoir entendu frapper à la porte.

À la surprise générale, ce fut Ottavio Fanchetti qui apparut, tout sourires, bien que voilés de quelque mélancolie. Et ce fut au tour de Pauline de froncer les sourcils.

— Que venez vous faire ici, Ottavio ?

— J’aimerais beaucoup être présenté à ces dames puisqu’elles sont vos amies…

— Bon ! Pourquoi pas ? Chère marquise, je vous présente donc le comte Ottavio Fanchetti. Maintenant vous pouvez saluer Madame la marquise de Sommières, tante du prince Morosini que vous connaissez déjà, et Mademoiselle du Plan-Crépin sa cousine.

À la suite d’un échange de saluts – plutôt froid de la part d’Aldo – où le Napolitain s’inclina devant les deux femmes avec un sourire ravageur, celui-ci expliqua qu’il souhaitait ardemment obtenir une toute petite place dans une loge aussi attirante.

— Je me sens affreusement seul et j’ai l’impression de faire de la figuration au milieu de ces hommes qui ont l’air en uniforme. En outre, ma chère Pauline, vous savez que je suis malheureux loin de vous…

— Il faudra tout de même vous y habituer, répondit-elle en riant. Il n’entre pas dans mes intentions de passer ma vie à Paris. Mon atelier me manque, sans compter ma famille et quelques amis !

— Au fait, demanda Aldo, comment va votre Helen ?

— État stationnaire ! Ni mieux ni plus mal et je ne vous cache pas que cela me tourmente. En vérité, je ne sais plus que faire !

— Si vous voulez me permettre un conseil, chère Pauline, répondit Tante Amélie, vous devriez repartir et reprendre le cours normal de votre existence. Le Ritz est certes agréable mais il ne vaudra jamais la maison que l’on s’est choisie ou que nos ancêtres nous ont choisie.

— Mais abandonner Helen…

— Où prenez-vous qu’elle sera abandonnée ? Ne sommes-nous pas là ? De plus elle est sous la protection du commissaire Langlois. Si elle se réveillait, c’est lui qui serait prévenu en premier et vous pouvez être assurée qu’il nous le fera savoir et que vous seriez avertie aussitôt. Mais je suis persuadée qu’il câblerait lui-même à votre frère… et cinq jours en mer ne sont pas…

— … la mer à boire, justement ! coupa Adalbert. Je suis là, moi aussi, et je pense que nous n’aurons aucune peine à obtenir des autorisations de visite afin de veiller à ce que Miss Adler ne manque de rien. Croyez-en notre marquise : rentrez chez vous en toute quiétude ! Elle sera sous bonne garde.

— Vous êtes vraiment des amis comme on n’en fait plus et je vous remercie infiniment ! Et vous, Aldo, vous ne dites rien ?

— Que puis-je ajouter ? Que si l’on a besoin de moi j’accourrai. Venise, elle non plus, n’est pas si loin.

— Vous restez encore quelque temps ?

— Non. Je pars demain. À regrets, ne put-il s’empêcher de préciser, mais je pars…

L’entracte s’achevait.

— Vous ne voulez vraiment pas de moi ? soupira Fanchetti.

— Eh non ! répondit Pauline en riant. Nous sommes au complet et vous serez tellement mieux dans votre confortable fauteuil. On se reverra demain…

— Bien ! Mesdames, mes hommages désolés !

Il franchit la porte au moment où Wishbone revenait, visiblement soucieux. La vue de l’Italien n’arrangea rien.

— Qu’est-ce qu’il voulait, celui-là ?

— C’est un ami de Mrs Belmont, le renseigna Mme de Sommières. Il venait nous saluer !

— Ah ? Je ne sais pas pourquoi, mais il a une tête qui ne me revient pas ! À New York il était en permanence dans les jupons de Lucrezia ! Et à ce propos, j’ai une mauvaise nouvelle : notre diva refuse d’aller souper au Café de Paris.

— Pourquoi ? demanda Adalbert, à l’évidence déçu. L’endroit ne lui plaît pas ?

— Oh si, elle vous dira elle-même combien elle regrette – car elle compte bien que je vous amène près d’elle à la fin du spectacle ! – mais elle n’a pas envie de souper. Elle se sent un peu lasse et elle a toussé deux ou trois fois.

— Cela ne devrait pas vous inquiéter, sourit la marquise. Elle répétait son rôle. Elle va tousser abondamment avant de trépasser sous nos yeux…

La salle s’éteignait à nouveau tandis que l’orchestre interprétait un court prélude avant que le rideau ne se relevât sur le salon ensoleillé d’une maison de campagne aux environs de Paris.

Comme au premier acte, la Torelli était en scène, seule avec l’homme qu’elle aimait, plus « jeune fille » qu’au premier acte grâce à une robe d’organdi blanc semé de petites fleurs. Elle tenait à la main la grande capeline fleurie qu’elle était censée avoir retirée en rentrant du jardin. Et le sortilège joua de nouveau.

Jetant un regard sur Adalbert, Aldo put constater qu’il nageait en pleine béatitude… Penché en avant, les coudes aux genoux, il dévorait des yeux la cantatrice avec, aux lèvres, un sourire qui en disait long.

« Le revoilà en train de tomber amoureux, pensa-t-il non sans un frémissement. Dieu sait ce qui risque de nous arriver ! »

Morosini ne se souvenait que trop de l’épisode Alice Astor où son Adalbert s’était laissé enchaîner par une créature aussi rouée, aussi dépourvue de sentiments que sa mère, Ava, qui était peut-être la femme la plus redoutable de toute la planète car elle joignait à une grande beauté le cœur le plus sec et le plus phénoménal égoïsme qui soit. Cela lui avait valu une cuisante expérience, heureusement effacée par l’aventure égyptienne du printemps dernier et la recherche de la Reine inconnue. Une expérience plus spirituelle que sensuelle, une plongée dans un rêve idéal dont Aldo avait espéré qu’elle mettrait son ami définitivement à l’abri d’un quelconque coup de passion. Et là, en l’observant, il en était moins sûr. Or la réputation de la Torelli lui faisait redouter le pire !

Quelqu’un d’autre observait aussi le phénomène. Pauline, qui depuis une traversée sur  l’Île-de-France jusqu’à la « Season » de Newport, avait suivi, en même temps qu’Aldo, les développements délirants de l’aventure de l’égyptologue avec Alice Astor qui se prenait pour la réincarnation d’une épouse de Pharaon. Détestant la Torelli tout en rendant justice à sa beauté, son talent et sa voix, elle redoutait en amie affectueuse de le voir se prendre à ses charmes. Quant à Marie-Angéline, elle était l’image même de l’accablement : depuis l’an passé, elle hébergeait Adalbert dans son cœur virginal et, quand elle risquait les yeux vers lui, c’était avec une expression douloureuse qu’on ne lui avait jamais vue.