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Se détournant sur son siège, Pauline chercha le regard d’Aldo – qu’elle n’eut d’ailleurs aucune difficulté à rencontrer car il était fixé sur elle – et lui désigna Adalbert d’un mouvement de tête auquel il répondit par un haussement d’épaules fataliste… Comme elle l’en priait d’un geste de la main, il se pencha vers elle.

— Vous êtes vraiment obligé de partir demain ? chuchota-t-elle.

— N’oubliez pas que j’ai des affaires importantes et que je ne peux pas laisser constamment mon travail à mes assistants !

— C’est grandement dommage. Notre Adalbert n’aura plus de garde-fou. Combien de temps cette femme reste-t-elle à Paris ?

— Je n’en ai pas la moindre idée. Vous voudriez que j’attende qu’elle reparte ? Cela ne servirait à rien. S’il est vraiment mordu, il va la suivre comme un toutou là où elle ira… à moins qu’ils ne s’entre-tuent, lui et Wishbone ? Je crois que nous pouvons seulement prier.

— De toute façon, souffla Mme de Sommières qui avait entendu, la peur n’évite pas le danger.

À la pause du deuxième acte on ne bougea pas. Cornélius servit à ses hôtes du champagne et des petits toasts au caviar, ce qui ne l’empêcha pas d’entretenir avec Adalbert un duo extatique voué au charme, à la beauté et au talent de la cantatrice qui finit par agacer la marquise.

— Où est votre courtoisie, Messieurs ? Nous sommes venus entendre une artiste admirable, j’en conviens, mais ce n’est pas une raison pour ne parler que d’elle ! Nous sommes là, il me semble, et nous avons des oreilles pour apprécier.

— Je demande le pardon, dit Cornélius, mais avouez que c’est une très grande artiste !

— J’admirerai tout ce que vous voulez, si vous m’offrez une autre coupe de champagne. Lui aussi est admirable !

Et l’on papota joyeusement de choses et d’autres… sauf Adalbert qui paraissait plongé dans un état second !

Enfin, quand le quatrième acte se fut achevé et que « Violetta » eut rendu l’âme, vint le moment tant attendu où Wishbone entraîna ses amis vers les coulisses, saluer et complimenter l’héroïne de la soirée…

Guidés par lui au comble de l’excitation, on gagna l’étage des loges où il y avait affluence, mais l’Américain jouissait apparemment d’une sorte de laissez-passer car, suivi des autres que Fanchetti s’était hâté de rejoindre, il put fendre la foule escorté de ses invités sans trop soulever de protestations. Enfin la porte de la bienheureuse loge se referma sur eux. Sauf Marie-Angéline qui, déclarant mourir de chaleur, alla s’asseoir sur le tabouret libéré par le pompier de service.

La loge – la plus spacieuse bien sûr ! – ressemblait à une serre tant elle débordait de bouquets – de roses et de camélias de préférence –, ainsi que d’écrins sur la table à coiffer devant le miroir ovale entouré d’ampoules électriques. La prima donna, qui avait pris le temps de troquer sa chemise de nuit d’agonisante contre une tenue de ville, reçut ses visiteurs debout. Vue de près, portant encore son maquillage de scène qui la rendait plus pâle mais faisait ressortir davantage ses magnifiques yeux, elle semblait moins jeune que sous l’éclairage du plateau, mais sa beauté n’en était pas amoindrie. Elle eut un éblouissant sourire quand Wishbone la présenta à Mme de Sommières et reçut avec grâce le compliment sincère qui lui fut offert, un autre sourire plus discret à l’adresse de Pauline mais, quand ce fut au tour d’Aldo et qu’il s’inclina devant elle, son visage se ferma.

— Quel honneur pour moi que le prince Morosini daigne venir jusqu’à moi ! Je n’en aurais jamais espéré autant !

Sa voix sèche et dure épouvanta Cornélius qui se hâta de répondre :

— Que dites-vous là, chère belle amie ? Vous ne vous êtes jamais rencontrés ?

— Non, figurez-vous ! Lorsque je chantais  Tosca à la Fenice et que je l’avais prié de venir me voir, il m’a répondu par une insolence…

— Prié ? riposta Aldo. Le billet que j’ai reçu ne me priait pas mais exigeait, même ordonnait sur un ton que je n’ai pas accepté !

Il s’inclinait à peine, prêt à tourner les talons, quand Wishbone s’affola, le retenant par le bras.

— My God ! Mais que se passe-t-il ? Prince !… Chère grande amie !… C’est pourtant vous qui me l’avez recommandé en vantant sa compétence ?

— Naturellement, quand j’ai besoin d’un fournisseur, je choisis toujours le meilleur ! Par malheur jusqu’à présent, il ne s’est pas montré à la hauteur. Combien de temps vais-je devoir attendre encore ma Chimère ?

— Votre Chimère ? Je ne crois pas que vous ayez un titre à la posséder !

— Et le droit d’héritage ? Qu’en faites-vous ? Je descends à la fois de César Borgia et de sa sœur Lucrezia. Sachez que mon lointain aïeul était cet « Infant Romain » en qui tous voyaient une énigme.

— Parce que l’on hésitait sur le géniteur : César ou le pape Alexandre ? N’importe comment, il s’agissait d’un inceste. Quel beau titre de gloire !

— Il n’en a pas moins été élevé comme un prince à Rome !

— Il aurait même été couronné empereur, roi ou pape que cela ne m’intéresserait pas davantage, et je n’ai pas l’intention de perdre un temps qui m’est précieux. Madame !

Il esquissa un salut mais Cornélius se suspendit à son bras, les yeux remplis de larmes.

— Vous n’allez pas me laisser tomber ? J’ai mis tant d’espoir en vous. Mon bonheur dépend de vous…

Aldo lui sourit gentiment et posa une main sur son épaule.

— Mon cher Cornélius, croyez que, si j’étais certain d’assurer votre bonheur, je continuerais même contre l’impossible, mais regardez la vérité en face ! Cette femme n’a pas l’intention de vous épouser, quoi que vous lui offriez ! Vous la voyez renonçant aux feux de la rampe, à ceux de la gloire pour aller s’enterrer au Texas ? Sa beauté est l’un des pièges les plus redoutables concoctés par l’Enfer !

— Tu ne penses pas que tu exagères ? s’indigna Adalbert qui avait suivi le dialogue avec une colère visible.

Ce qui déplut à Aldo.

— Et si tu te mêlais de tes affaires ?

— Messieurs ! intervint la marquise en frappant le sol de sa canne. Je crois que cela suffit ! Emmène-nous, Aldo ! Nous avons assez ri !

— Comme il vous plaira, Tante Amélie ! Madame.

Suivis de Pauline, tellement indignée qu’elle avait préféré se taire pour ne rien envenimer, ils sortirent, ou plutôt se frayèrent un passage à travers les admirateurs qui encombraient le couloir, et rejoignirent Marie-Angéline toujours assise sur son tabouret de pompier.

— Alors, demanda-t-elle. Vous êtes contents ?

— Ravis ! ironisa Tante Amélie. Quelle femme exquise ! Dommage seulement qu’elle ait été mal élevée !

— Vous vous êtes querellés ? fit-elle, interrogeant leur mine sombre.

— Pas vraiment, soupira Pauline. Cette femme s’est subitement transformée en harpie et Aldo lui a répondu comme elle le méritait, sans d’ailleurs manquer aux règles de la politesse.

— Et où est Adalbert ?

— Je crains que de ce côté-là nous ne rencontrions un problème, soupira Aldo. Ou plutôt que « je » n’aie un problème. Il est passé à l’ennemi avec armes et bagages.

— Quoi ? Vous vous êtes brouillés… pour cette femme ? gémit Marie-Angéline.

— Je crains fort que oui ! Il a été victime ce soir d’un coup de foudre aussi dévastateur que ceux auxquels nous avons déjà assisté. Mais vous n’allez pas pleurer ? s’inquiéta-t-il en lui caressant la joue.

— À mon avis, déclara Pauline, il ne faut pas en faire une montagne. Il en reviendra comme il est revenu de ce grand amour qu’il avait conçu pour Alice Astor. Nous l’avons vu tomber en miettes sans laisser beaucoup de dégâts.

— Sans oublier, il n’y a pas si longtemps, son amour romantique pour une princesse morte. Sortons ! conclut Tante Amélie. Et puisque nous allons raccompagner Pauline au Ritz, tu devrais, Aldo, nous offrir un petit souper !