— Tout ce que vous voudrez ! Allons-y !
On regagna la sortie, où il y avait encore du monde. Soudain Marie-Angéline demanda à Pauline :
— Au fait, où est passé votre admirateur ?
Celle-ci haussa les épaules.
— Je n’en sais rien et n’ai pas envie de le savoir. Alors si vous le voulez bien, filons d’ici le plus vite possible ! Allons rejoindre les gens normaux !
En dépit de l’absence d’Adalbert, leur souper au champagne, composé d’huîtres de Prat-ar Koum, de foie gras frais poêlé et de champignons des bois fut très apprécié. Aldo était plus que jamais décidé à rentrer le lendemain. Il avait même fait retenir son sleeping par le voyagiste de l’hôtel. Ce fut seulement quand il effleura de ses lèvres la main de Pauline qu’il sentit le pincement d’un regret.
— Prévenez-moi s’il y a du nouveau pour votre Helen… ou si vous rentrez à New York !
Il sentit trembler dans les siens les doigts qu’il tenait.
— Il se peut que ce soit bientôt ! Je vous souhaite bon voyage, Aldo !
8
Où Pauline commet une folie…
Le lendemain matin, vers 11 heures, Adalbert s’apprêtait à sortir quand il trouva Aldo devant sa porte, la main levée pour sonner.
— Qu’est-ce que tu fais là ? fit-il d’un ton rogue.
— Puisse entrer ? demanda le visiteur, suave.
— Je n’ai pas le temps !
— Eh bien, tu le prendras ! Je n’ai jamais compris quel charme il pouvait y avoir à discuter sur un paillasson.
— Je n’ai rien à te dire !
— Moi, si ! Allons, un bon mouvement ! ajouta-t-il en pointant un index autoritaire sur la poitrine de son ami qui recula automatiquement.
Ils se retrouvèrent bientôt dans le cabinet de travail de l’égyptologue qu’Aldo conduisit ainsi jusqu’à son fauteuil où il appuya un peu plus pour l’y faire choir.
— Mais que veux-tu à la fin ?
— Mettre les choses au point ! Primo, tu dois au moins une visite à Tante Amélie pour t’excuser du spectacle navrant que tu lui as offert hier soir ! Tante Amélie et Plan-Crépin ! Celle-ci en avait les larmes aux yeux !
— Tu ne manques pas d’audace ! Qui s’est conduit comme un goujat en face de cette sublime artiste devant laquelle on ne peut que s’agenouiller ?
— Je n’ai pas l’habitude de plier le genou devant qui m’insulte ! Parce que c’est exactement ce qu’elle a fait, ta nouvelle déesse. Même Cornélius, qui est aussi fondu que toi, l’a compris.
— Il te l’a dit ?
— Quasiment. Ce qui le désole, lui, c’est que je le laisse se débrouiller avec sa Chimère. Mais au fond, tu pourrais peut-être te lancer dans la course au trésor à ma place ? Souviens-toi de la récompense ! La belle épousera celui qui la lui rapportera. Libre à vous d’y croire ! Moi, je suis seulement venu te dire adieu !
— Tu pars vraiment ?
— Ce soir. J’ai retenu ma place. Tu vas avoir le champ libre pour roucouler autant que tu voudras aux pieds de ta belle. Et pourquoi pas en duo avec Cornélius ?
Adalbert devint rouge brique.
— De quoi je me mêle ? Veux-tu me dire en quoi ça te regarde que je fasse la cour à telle ou telle femme ? J’ai le droit d’être amoureux, non ?
— Oui, l’ennui c’est que tu as en général l’art de te jeter sur un bouchon de carafe en le prenant pour un diamant ! J’en veux pour exemple Hilary Dawson, Alice Astor…
— Si tu prononces un autre nom, tu prends mon poing dans la gueule…
— Non, dit Aldo, soudain grave… Celle-là était trop belle pour la Terre et j’espérais un peu que son souvenir te protégerait, car elle ne supporte aucune comparaison. La Torelli est une garce et une garce dangereuse…
— Parce qu’elle n’est pas tombée en pâmoison devant toi et t’a envoyé sur les roses ? Rien que sa voix est un enchantement ! En outre, elle y joint une beauté, une grâce, un charme devant lesquels on ne peut que s’incliner…
— Les sirènes aussi chantaient divinement mais Ulysse s’est fait enchaîner au mât de son navire pour ne pas leur obéir… Cela posé, il est, je crois, inutile de palabrer plus longtemps ! Je te souhaite d’être heureux ! À toi la chasse à la bestiole ! Tu en sais autant que moi.
— Tu abandonnes ?
— Non sans un certain soulagement ! Cet objet ne m’a jamais franchement attiré. Le monstre qui la portait d’abord, le sang versé ensuite… tâche de ne pas y verser le tien ! Et de faire bon ménage avec Wishbone ! C’est lui aussi quelqu’un de bien. Malheureusement il se fourvoie et tu t’apprêtes à l’imiter ! Je te souhaite bonne chance !
— Va au diable ! Et surtout restes-y !
Morosini sortit du bureau en fermant calmement la porte derrière lui… Au bout de la galerie il rencontra Théobald, visiblement soucieux.
— Monsieur le prince s’en va ?
— Oui, Théobald, c’est préférable.
Spontanément, il tendit une main que le fidèle valet serra avec déférence. Puis ajouta avant de franchir le seuil :
— Prenez soin de lui !… Et, au cas où cela tournerait mal, appelez-moi !
Il rentra rue Alfred-de-Vigny en traversant le parc Monceau à peu près désert, à l’exception des jardiniers occupés à ramasser les dernières feuilles mortes. Le ciel gris déversant un crachin à la mode de Bretagne n’incitait guère à la promenade mais s’accordait si justement à l’humeur d’Aldo qu’il prit un certain plaisir à parcourir les allées silencieuses, les mains au fond de son Burberry’s. Une sorte de nostalgie s’y mêlait comme si, ce parcours, il le faisait pour la dernière fois, et il pouvait s’avouer sans honte qu’il avait envie de pleurer…
Il trouva Tante Amélie seule dans un petit salon voisin du jardin d’hiver où elle avait fait allumer du feu dans la cheminée de marbre blanc. Une tasse de café devant elle et dans un froissement de papier plus que sonore, elle parcourait les journaux du jour, sourcils froncés, les expédiant à terre l’un après l’autre après les avoir effleurés, comme si elle leur en voulait personnellement. L’élégant face-à-main d’or serti d’émeraudes avait fait place à une démocratique paire de lunettes.
— Si tu veux un café, sonne Cyprien ! conseilla-t-elle. Tu pourras aussi en demander pour moi : celui-ci est froid !
— On peut savoir ce que vous cherchez, Tante Amélie ?
— Je n’ai plus besoin de chercher ! Je trouve plus que je n’en voudrais ! Les plumitifs de ces canards n’ont rien d’autre à se mettre sous la dent pour intéresser leurs lecteurs que les excentricités de cette Torelli ? On la voit partout ! Et on l’encense ! Et l’on crie au miracle ! Que de fleurs ! Que de fumées volatilisées pour rien ! En revanche, ta propre réputation en prend un coup, comme on dit chez les voyous ! Enfin je te fais grâce du détail ! Et Adalbert ?
— À peu près le même qu’à l’époque d’Alice Astor. En pire, peut-être ! Non seulement c’est une beauté – ce qui est vrai d’ailleurs ! – mais aussi elle a une voix d’ange et il est subjugué ! J’espérais pourtant que son aventure avec la Reine inconnue le mettrait à l’abri de ce genre de mégère. Parce que c’en est une ! J’en jurerais ! Au fait, où est Plan-Crépin ?
— Je ne sais pas si elle apprécierait ton rapprochement entre elle et une mégère ! Elle est à l’église.
— Elle ne va plus à la messe de 6 heures ?
— Si, mais elle est tout de même retournée à Saint-Augustin. Il y a « Adoration Perpétuelle » et je la soupçonne d’en profiter pour glisser un mot à saint Michel, son archange favori, pour qu’il s’occupe un peu de la Torelli.
— Ne me dites pas qu’elle prie pour elle ?
— Tu n’y es pas ! C’est l’épée flamboyante qui l’intéresse. Elle aimerait la voir s’abattre un bon coup sur une femme en qui elle voit un suppôt de Satan. Qu’Adalbert en soit tombé amoureux, c’est plus qu’elle n’en peut supporter. J’avoue que je ne lui donne pas tort. Et toi, tu t’en vas ! ajouta-t-elle tristement.