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Pour y rencontrer la stupeur la plus totale en la personne de Guy Buteau qui traversait le vestibule, des papiers à la main, au moment où il y prenait pied.

— Aldo ? Mais d’où sortez-vous ?

— Du train évidemment ! D’où voulez-vous que ce soit ?

— Du quel ? Pas du Simplon-Orient-Express en tout cas ! Il n’y en a pas aujourd’hui ! Et hier vous n’étiez pas à l’arrivée !

— Qui vous a prévenu que j’y étais ?

— Mlle du Plan-Crépin nous a appris que vous veniez de partir quand nous avons téléphoné ! Mais ne restez pas dans ces courants d’air ! Il fait un froid de loup ici ! Venez dans votre bureau ! Ah ! Zaccharia ! Apportez vite une tasse de café bien chaud à votre maître !

— Alléluia ! On l’a retrouvé ! Merci, mon Dieu ! On se faisait un sang !…

— Mais enfin je ne vois pas pourquoi ?… Et, en passant : je préfère une fine à l’eau à votre café !

Comme tous ceux qui se sentent en faute, il se fâchait presque, pénétra en trombe dans son cabinet de travail où il fit sursauter Angelo Pisani, son secrétaire occupé à ranger des livres dans la bibliothèque.

— Don Aldo ? On vous a donc retrouvé ?

— Mais, sacrebleu, qu’est-ce que vous avez tous ? Et d’abord où êtes-vous allés pêcher que j’étais perdu… et que j’avais pris le Simplon ?

Il alla se jeter dans son fauteuil sur lequel il entreprit de mettre du désordre. En ronchonnant et en vouant Plan-Crépin aux tourments de l’enfer.

— Et où est Lisa ? clama-t-il en une sorte de point d’orgue.

Guy Buteau connaissait trop parfaitement son ancien élève pour être dupe de cette crise d’humeur. Il se mit à rire et servit lui-même le verre d’alcool.

— Et si vous vous calmiez, on pourrait peut-être s’expliquer ?

— D’accord ! Expliquez ! Moi qui voulais vous faire une surprise !…

— Eh bien, la surprise est faite ! fit Guy sur le mode lénifiant. Et maintenant j’explique : avant-hier, Lisa a reçu un télégramme du maître d’hôtel de son père. M. Kledermann a eu un accident et a été transporté en clinique. Elle a naturellement pris le téléphone pour annoncer qu’elle arriverait par le premier train et, ensuite, elle a appelé chez Mme de Sommières afin que l’on vous avertisse. Il était déjà tard et c’est alors que Mlle Marie-Angéline lui a appris que vous étiez parti pour Venise et il est logique qu’elle nous ait demandé de vous avertir afin que vous l’appeliez dès votre retour… hier soir !

— Miséricorde ! gémit Aldo, calmé mais vaguement inquiet. Qu’est-ce que je vais pouvoir lui raconter ?

— Mais… la vérité ! Elle ne doit pas être si terrible ? Ou alors vous avez été vous aussi victime d’un accident ? Grâce à Dieu, cela ne se voit pas. Vous avez l’air en pleine forme !

— Et pourtant ça en approche ! Hier matin, je ne me suis pas senti bien. Je n’avais pas dormi une minute dans ce fichu train et la nuit précédente pas davantage non plus à cause… oh, autant vous le dire tout de suite, j’ai eu des mots avec Vidal-Pellicorne et nous sommes brouillés.

— Allons bon ! commenta Guy avec un demi-sourire. On a l’habitude ! Ça s’arrangera…

— J’en suis moins sûr que vous ! Toujours est-il qu’après le tunnel je me suis senti comme une faiblesse. J’ai failli descendre à Stresa mais j’ai voulu tenir le coup et ça ne s’arrangeait pas. Comme vous ne m’attendiez pas, je n’ai pas eu le courage de me montrer à vous vert comme un concombre et avec des nausées. Je suis donc descendu à Milan en indiquant au chauffeur de faire mettre mes bagages à la consigne de Venise et d’en donner la clef à Bronzini, le chef de gare. Je suis descendu au Continental après une visite chez un pharmacien, j’ai passé une bonne nuit… et me voilà ! Rien de dramatique, comme vous voyez !…

Il éprouvait une sorte de bonheur à ne proférer aucun mensonge. Rien de plus roboratif, quand on se sent en faute, que la vérité ! Même un brin édulcorée. Mais maintenant :

— Occupons-nous de mon beau-père ! Voulez-vous joindre Zurich pendant que je me rafraîchis un peu, mon cher Guy ? Elle vous a donné le numéro de la clinique ?

— Non. Elle a dit d’appeler la résidence.

— Alors faites-le ! Les enfants sont à la maison, je suppose… bien qu’aucun vacarme ne signale leur présence !

— Non. Lisa les a emmenés ainsi que Trudi et Mademoiselle !

— Tout ce cirque auprès d’un grand malade ?

— Justement ! fit Guy avec dans la voix un rien de sévérité. Il faut comprendre : elle souhaitait qu’il puisse les embrasser une dernière fois… au cas où ! Vous savez comment elle est !

— Oui, murmura Aldo, assombri. Quelqu’un de très bien ! Appelez-la vite, mon cher Guy ! Ensuite nous verrons ce qu’il y a comme train pour Zurich !

— Ce soir ? Vous arriverez après minuit. Est-ce bien raisonnable ? Lisa doit elle aussi avoir besoin de dormir !

— Appelez toujours ! Comme il doit y avoir une attente…

Les lignes étant encombrées il y en avait une de trois heures et Aldo examinait l’idée d’une nouvelle douche pour se débarrasser des escarbilles du train, quand le téléphone sonna. Guy décrocha, dit quelques mots et rappela Aldo.

— Lisa ! fit-il en tendant l’écouteur.

— Quel est le ton de sa voix ? chuchota Aldo, redoutant d’entendre des sanglots.

— Normal, souffla Guy avec un sourire encourageant.

— Lisa ! appela Aldo. Comment va-t-il… et surtout comment vas-tu ?

— Moi, ça va très bien… d’autant mieux que Papa est tiré d’affaire…

— Tu es sûre ? Qu’est-ce qui s’est donc passé ?

— Rien de vraiment grave, grâce à Dieu ! On a cru à une crise cardiaque mais apparemment ce n’en était pas une ! J’en suis quitte pour la peur !…

— Et je n’étais pas là pour t’aider ! Je m’en veux, tu sais ?

— Faut pas ! À propos : où avais-tu disparu ? Tu as raté ton train ou quoi ?

— Du tout ! J’étais bel et bien dedans mais j’ai eu une mauvaise nuit consécutive à une autre où je me suis brouillé avec Adalbert !

— Encore ? Cela devient une habitude ! La raison, cette fois ?

— Une raison qui ne mérite pas ce nom : la Torelli ! Il est tombé amoureux fou et comme, moi, j’ai eu des mots avec la dame, il m’a autant dire fichu à la porte quand j’ai voulu arranger les choses avant de partir. Mais je te raconterai. Demain matin, je te rejoins !

— Non, ne fais pas ça ! C’est inutile, surtout si tu es encore mal fichu. Tu n’as pas besoin d’une nouvelle nuit blanche…

— La dernière ne l’a pas été et je te finis mon histoire. Après le passage des montagnes, je me suis senti devenir vraiment patraque : maux de tête, vagues nausées… je ne voulais pas débarquer chez nous vert comme une laitue. Et comme vous ne m’attendiez pas, j’ai quitté le train à Milan ou, après un tour chez le pharmacien, j’ai échoué au Continental. Voilà !

Il eut l’impression qu’au bout du fil Lisa avait émis un léger soupir de soulagement aussitôt suivi de son rire, aussi cristallin que d’habitude.

— Il faudrait peut-être songer à te ménager un peu, mon chéri ?

— Traite-moi de vieux croûton tant que tu y es !

— Toujours les grands mots ! Plus sérieusement, il faudrait que tu cesses de prendre feu pour le premier joyau plus ou moins sanglant que l’on vient t’agiter sous le nez ! Et à ce propos, qu’as-tu fait de ton Texan ?

— Wishbone ? Il a entamé un duo avec Adalbert aux pieds de la madone du bel canto. J’espère que ça ne finira pas en duel !…

Une friture vint grésiller sur la ligne annonçant une prochaine interruption. Aldo accéléra :

— On va nous couper. Si tu ne veux pas que je vienne, quand rentres-tu au bercail ?

— Dans quelques jours. Je veux être sûre, pour Papa, qu’il ne s’agissait que d’une fausse alerte. De toute façon, on se rappelle ! Dors bien, mon cœur !