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Aldo eut l’impression soudaine que le sang se retirait vers ses extrémités et dut, en effet, s’asseoir. Pauline disparue, Pauline enlevée sans aucun doute, mais par qui ? comment ? où ?… Une bouffée de colère lui fit froisser le journal et il remarqua alors qu’il s’agissait d’une seule feuille et non du quotidien tout entier.

— Comment ce… cette horreur est-elle arrivée ici ? Et où est le reste ?

— Il n’y en a pas. Cette double page était soigneusement pliée dans une enveloppe au format commercial… et sans un mot !

— Et pourquoi  L’Intransigeant seul ? Les autres journaux ne sont pas au courant ?

— Ils doivent l’être maintenant. En tout cas, ce canard semble sûr de lui ! Puisque, si je ne me trompe, vous avez emprunté le même train ? Mme Belmont était-elle avec vous ?

— Elle devait y être, car je l’ai aperçue.

— Seulement ? Vous ne l’avez pas rencontrée au wagon-restaurant ?

— Je ne m’y suis pas rendu. J’avais trop peur de rencontrer qui que ce soit parce que je me sentais déjà mal fichu.

— Qu’allez-vous faire maintenant ?

— Je ne sais pas. Attendre…

La sonnerie du téléphone lui coupa la parole. Agacé, il fit signe à Guy d’aller répondre. Celui-ci revint presque aussitôt.

— C’est Mme la marquise de Sommières, annonça-t-il.

— Tante Amélie ? Au téléphone ? C’est à n’y pas croire ! Elle l’exècre !

— Pas d’erreur possible !

Un instant plus tard, il lui fallait se rendre à l’évidence… Elle ne lui laissa d’ailleurs pas le loisir de s’étonner :

— Tu sais ce qui se passe ici ?

— Pas depuis longtemps. On m’a envoyé par la poste la page de titre de  L’Intransigeant d’avant-hier. Anonymement, je précise.

— Bon ! On n’a pas le temps pour ergoter. Il faut que tu viennes par le train qui quitte Venise ce soir. Ta femme est là ?

— Non. Elle ne rentre que demain. Elle est à Zurich auprès de son père qui lui a donné des inquiétudes…

— Pour une fois, ça tombe opportunément. Laisse-lui une lettre et rapplique ! Dis-lui… que je suis malade, tiens !

— Je déteste ce genre d’excuses ! Il arrive que cela devienne vrai !

— Et superstitieux avec ça ! Alors, explique que je t’ai appelé pour une urgence sans préciser laquelle…

— C’est tout juste ce que vous faites, savez-vous, ma bonne dame ?

— D’accord : pourtant je ne t’en dirai pas davantage, ce matin. Il arrive si fréquemment dans ton joyeux pays que les écoutes téléphonique se mettent à fonctionner que je préfère m’abstenir. Tu ne feras que l’aller et retour ! Je t’embrasse ! À demain !

Et elle raccrocha.

— Qu’en est-il ? demanda Guy Buteau.

— Elle veut que j’aille à Paris illico presto. À part ça, vous en savez autant que moi ! Si Pisani est arrivé, expédiez-le me retenir un sleeping pour ce soir ! Maintenant ce qu’il me faut c’est du café, des litres de café, parce qu’il faut que je réfléchisse !

— Il faut aussi que vous dormiez cette nuit ! fit Guy avec une certaine autorité. Si c’est pour tirer la sonnette d’alarme à Dijon, vous n’arrangerez rien ! Alors, du café mais modérément !

Zaccharia arrivait d’ailleurs, poussant un chariot chargé d’une cafetière ventrue, de toasts et de croissants qu’Aldo investit comme s’il n’avait rien mangé depuis trois jours ! Après ce qu’il avait lu et le coup de téléphone de Tante Amélie, il sentait qu’il allait avoir besoin de toutes ses forces. Tout cela ne présageait rien de bon ! Il essayait surtout de ne pas penser à Pauline. Du moins remettre à plus tard. En revanche, il pensa à sa femme. C’était une chance qu’elle ne soit pas là, mais c’était peut-être reculer pour mieux sauter et il se faisait une montagne de la lettre qu’il allait lui laisser… et qui ne pouvait être qu’un tissu de mensonges qu’elle aurait probablement vite fait de décrypter. Donc la vérité ? Ô combien dangereuse !… Même arrangée et amputée… Alors ?

Écartant son couvert, il alluma la première cigarette de la journée et se tourna vers Guy qui avait repris le journal et le relisait dans le vain espoir d’en extraire un supplément d’informations.

— J’ai envie, dit-il, de prévenir Lisa par téléphone. Elle va être furieuse quand, en rentrant, vous serez obligé de lui apprendre que je suis reparti. Au cas où elle préférerait rester un peu plus longtemps auprès de son père !…

— Et lui donner tout le temps de faire sa petite enquête elle-même ? Je ne suis pas certain que ce soit très prudent. Faites-moi confiance, Aldo, je saurai quoi lui raconter. C’est-à-dire, une partie de la vérité. En outre, c’est votre tante en personne qui vous a appelé et je ne crois pas que l’idée vienne jamais à Lisa de la mêler à une quelconque embrouille. Ce qui n’empêche pas que vous pouvez cependant lui laisser un mot ! Juste ce qu’il faut de tendresse pour qu’elle n’ait aucun doute !

— Évidemment ! Mais qu’est-ce qui m’a pris de vouloir aider Wishbone dans la recherche de sa foutue Chimère ? ragea-t-il soudain.

— Vous ne pouviez pas deviner. Et puis j’ose vous rappeler que, de toute façon, vous deviez vous rendre à l’hôtel Drouot pour la vente Van Tilden. Wishbone ou pas, vous auriez vu arriver Mr Belmont et je donnerais ma tête à couper que vous vous seriez empressé d’enfourcher votre cheval de bataille pour lui venir en aide. Vrai ou faux ?

— Vous parlez comme un livre, mon ami ! Ce qu’il y a de réconfortant chez vous, c’est justement que vous ayez toujours raison !

En reprenant son train ce soir-là, Aldo pensa, non sans agacement, qu’il arrivait au sort de pratiquer une ironie détestable. Le compartiment qui lui échut portait le numéro sept et possédait une porte communicante avec son voisin, le numéro huit.

— Qui va voyager de l’autre côté ? demanda-t-il au conducteur.

— Un vieux militaire, le général Trevisani. Il ronchonne et il ronfle, mais il n’est pas agressif ! fit l’homme avec un sourire rassurant. Je pense qu’il ne devrait pas vous empêcher de dormir.

Rien donc qui évoquât Pauline et, à y réfléchir, c’était aussi bien. La présence d’une femme lui eût été insupportable. Quant au général, il pouvait jouer de la trompette si ça lui faisait plaisir, car Aldo – qui pourtant ne se droguait pas ! – avait demandé un somnifère à son ami Graziani, le pharmacien.

— Il est indispensable que j’arrive à Paris avec les idées claires, lui avait-il confié. Alors donne-moi quelque chose qui ne m’abrutisse pas.

— J’ai ce qu’il te faut, à condition de ne pas en abuser. Un comprimé avec un verre d’eau en te couchant ! Ne t’en sers que si tu en as vraiment besoin. On s’y habitue très vite !…