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Après le papier fracassant de  L’Intran, d’autres publications de moindre importance avaient fait paraître des « échos » sur le mode plaisant, mais d’autant plus venimeux, dans le genre : « Enlèvement ou escapade amoureuse ? » qui, s’ils parvenaient jusqu’à Lisa, ne manqueraient pas de soulever sa colère et la pousser à rejeter définitivement son mari.

Jusqu’à présent, le mal était à peu près jugulé. Il avait suffi au policier – chose qu’il n’aurait concédée à personne d’autre ! – de faire circuler, aux rédacteurs desdites publications, l’ordre – avec toute la courtoisie voulue ! – de mettre en « attente » temporairement, et dans l’intérêt d’une enquête plus dangereuse qu’il n’y paraissait, « leur petit jeu ». En promettant de les tenir au courant des résultats quand on en aurait. Et ça avait marché parce que sa réputation de grand chef n’était plus à démontrer et que tous savaient que se le mettre à dos pouvait coûter très cher.

Aldo ne lui avait rien caché de ce qu’avaient été ses relations avec Pauline Belmont, gêné d’ailleurs de devoir lui laisser la responsabilité de leur dernière rencontre dans le train.

— Sans doute l’ai-je appelée inconsciemment puisque, plantant là mon client et sa Chimère, c’était en fait elle que je fuyais. J’aurais dû…

— Oubliez vos scrupules de gentilhomme ! Moi, ce que j’ai besoin de connaître, c’est la seule vérité. Vous ne l’avez pas enlevée et vous m’avez fourni tous les éclaircissements qu’il me fallait. Je vais la faire rechercher. Une femme d’une telle beauté, d’une telle élégance ne laisse pas indifférent ! Je ferai aussi vérifier votre passage au Continental de Milan. Mais je crains qu’en fait d’escapade amoureuse il ne s’agisse bel et bien d’une affaire criminelle et que, si Mrs Belmont n’a pas été escamotée par vous, c’est par quelqu’un qui ne lui veut aucun bien…

— Vous la croyez en danger ?

— Je le craignais plus ou moins mais à présent j’en suis persuadé. Qu’allez-vous faire, vous-même ?

— Vous laisser travailler… et retourner chez moi en espérant que ma femme ignorera toujours tout de cette aventure !

— Si cela arrivait, envoyez-la-moi ! Je saurais quoi lui dire !

— Merci. Je commence à croire que vous êtes vraiment un ami !

— Vous ne vous en étiez pas encore rendu compte ? En tout cas, bon voyage ! Et… que cela vous serve de leçon ! Bon… maintenant, je vais de ce pas saluer ces dames et prendre congé…

— Pas sans avoir bu un verre de champagne ! Tante Amélie prône ses vertus pour les baisses de moral !

Le champagne était bel et bien au rendez-vous, mais de toute évidence, la sérénité, elle, n’y était pas. Mme de Sommières, visiblement soucieuse, s’efforçait de calmer une Plan-Crépin furibarde chez qui la colère avait au moins l’avantage de sécher des larmes avant qu’elles ne sourdent…

— Quel imbécile ! Non, mais quel imbécile ! répétait-elle en arpentant le tapis, les bras croisés.

Trop content d’avoir une belle occasion de piquer une rogne, Aldo rejoignit son camp. Depuis les péripéties d’Assouan, il savait qu’elle s’était découverte amoureuse d’Adalbert. Langlois, lui, se rangeait aux côtés de Tante Amélie.

— Cette histoire ne me plaît pas, lui confia-t-elle. Les coups de cœur de notre savant lui valent en général plus de déboires que de satisfactions. Et puis, je vous avoue que je n’aime pas cette Torelli ! Elle est sublime, j’en conviens, et les anges ne doivent pas chanter mieux, mais il y a en elle quelque chose qui m’inquiète. Quoi, par exemple ? ajouta-t-elle avec un geste d’impuissance.

— Sans doute le dessèchement du cœur presque obligatoire chez les femmes trop adulées ! Et il paraîtrait que le caractère de la Torelli ne serait pas des plus accommodants ! J’aurais plutôt tendance à plaindre Vidal-Pellicorne. Il risque d’y laisser des plumes.

— Chaque fois qu’il tombe amoureux, il en laisse ! clama Plan-Crépin. Avec celle-ci, il joue peut-être aussi sa fortune ! Voulez-vous me dire de quoi il aura l’air quand il n’aura plus rien ?

— D’un pigeon déplumé ! asséna la marquise. Il lui restera cependant son immense savoir, ses qualités humaines… du moins il faut l’espérer… et trois ou quatre amis fidèles !

— Ça, c’est plus aléatoire ! grommela Aldo, soudain très sombre.

— Allons donc ! Tu lui en as déjà pardonné de pires !

— Oui, mais je ne suis pas certain d’en avoir encore envie !

— Commencez par rentrer à Venise ! conseilla Langlois en lui serrant la main. Rien que dans le nom de cette ville il y a une consonance magique !

— C’est la sagesse même, cet homme-là ! apprécia Tante Amélie quand Aldo revint après avoir raccompagné le commissaire au vestibule. Essayons à présent de passer une soirée reposante et une bonne nuit en attendant que tu nous quittes une fois de plus ! Je te donnerai une lettre pour Lisa. Ainsi mon courrier arrivera plus vite que par la poste.

En dépit de ses soucis, Aldo ne put s’empêcher de rire.

— Qu’ai-je dit de si drôle ? demanda-t-elle.

— Adalbert m’a dit un jour que j’avais passé l’âge des « mots d’excuses » ! Apparemment, vous pensez autrement !

Après un dîner rapide et plutôt silencieux, on se souhaita bonne nuit et chacun se retira, conscient de ce que ce souhait paisible pouvait avoir de factice. Marie-Angéline croqua une pomme et avala un grand pot de tilleul, sans parvenir à s’extraire Adalbert de la tête. Mme de Sommières se retrouva sur le chemin de la prière, ce qui ne lui était pas arrivé depuis longtemps ; quant à Aldo, même s’il se sentait soulagé de ne plus être impliqué dans la disparition de Pauline, il ne pouvait la chasser de son esprit : elle était en danger, sans doute possible, et la perspective de retourner tranquillement chez lui en jouant les Ponce Pilate lui déplaisait au plus haut point ! S’il réussit à obtenir quelques heures de sommeil, ce fut en ayant recours – non sans répugnance mais il en avait besoin ! – à la médecine de Franco Graziani. En se jurant que c’était la dernière fois !…

Quand il descendit pour le petit déjeuner, il vit Marie-Angéline déjà revenue de la messe de 6 heures en train de tremper mélancoliquement un croissant dans sa tasse de café au lait, l’œil fixé sur une marmelade d’oranges dont elle n’avait pas fait usage contrairement à son habitude. Elle avait à peine fait attention à lui quand il s’était attablé après avoir répondu un bonjour machinal au sien. Il était évident qu’elle avait beaucoup pleuré…

— Angelina ! fit-il, désolé. Vous allez vous rendre malade et cela me navre ! Vous êtes la force de cette maison et si vous vous abandonnez au désespoir, que va-t-il advenir de vous… et de Tante Amélie ? Croyez-vous que je vais pouvoir partir tranquille si…

Elle darda sur lui un regard furieux.

— Ne me racontez pas d’histoires, Aldo ! Même si j’arborais un large sourire, vous ne partiriez pas tranquille ! Ou alors vous avez énormément changé !

— Que voulez-vous dire ?

— Que même si vous n’êtes pour rien dans l’enlèvement de Mrs Belmont, n’essayez pas de me faire croire que cela vous laisse indifférent ! Si vous n’étiez pas marié…

— Mais je suis marié à une femme merveilleuse et cela change tout ! Sinon bien sûr que je me serais lancé à sa recherche, quelle que soit la confiance que je place dans les talents de Langlois mais…

— Une lettre pour Monsieur le prince ! annonça Cyprien qui entrait à cet instant, portant une enveloppe blanche sur un petit plateau d’argent.

— Ce n’est pas l’heure du courrier ! remarqua Marie-Angéline.

— En effet, Mademoiselle, mais le concierge vient de la trouver sous le portail…