Je me douchai longuement, à deux reprises, d’abord à l’eau, puis aux soniques. Je revêtis un complet gris posé sur le lit déjà fait lorsque je ressortis de la salle de bains. Je partis ensuite à la recherche du patio est où, comme l’indiquait aimablement un carton que l’on avait posé près du complet neuf, le petit déjeuner était servi à l’intention des hôtes de la Maison du Gouvernement.
Le jus d’orange était fraîchement pressé. Le bacon était authentique et croustillant. Le journal annonçait que la Présidente Gladstone s’adresserait au Retz, via l’Assemblée de la Pangermie et les médias, à 10 h#nbsp#30, heure standard du Retz. Toutes les pages étaient presque entièrement consacrées à la guerre. Des photos bidim de l’armada s’étalaient en couleurs glorieuses. Le général Morpurgo, l’expression grave, avait son portrait en page trois. La légende l’appelait « le héros de la seconde rébellion Height ». Diana Philomel me regarda d’une table voisine où elle était assise face à son pithécanthrope de mari. Sa robe, ce matin, était plus austère, bleu marine et beaucoup moins suggestive, mais une fente sur le côté rappelait un peu le spectacle de la nuit dernière. Elle ne me quitta pas des yeux tandis qu’elle portait délicatement à sa bouche, entre deux doigts aux ongles vernissés, une fine lamelle de bacon, et que Hermund Philomel émettait un grognement satisfait en lisant quelque chose dans l’encart financier.
— Le groupe migrateur extro – communément désigné sous le nom d’essaim – fut repéré pour la première fois dans le système de Camn par un détecteur de distorsion Hawking il y a un peu plus de trois cents années standard, était en train de dire le jeune officier coordonnateur. Dès que l’alerte fut donnée, l’unité opérationnelle n°42 de la Force, déjà constituée en vue de l’évacuation du système d’Hypérion, se mit en mode C+ à partir de Parvati, avec, comme instructions cachetées, la charge d’organiser la mise en place d’un potentiel distrans capable d’assurer la liaison portale avec Hypérion. Simultanément, l’unité opérationnelle n°87-2 fut mise en route au départ de la zone de rassemblement de Solkov-Tikata, autour de Camn III. Ses ordres étaient d’opérer la jonction avec la force d’évacuation du système d’Hypérion, de repérer le groupe migrateur extro, d’engager le combat avec lui et de détruire son potentiel militaire.
Des images de l’armada se formèrent sur le panneau stratégique et devant le jeune colonel. Il fit bouger son pointeur, et une ligne de petits traits rubis traversa le gros hologramme pour illuminer l’un des vaisseaux C3 de la formation.
— L’unité opérationnelle n°87-2 est placée sous le commandement de l’amiral Nashita, à bord du vaisseau Hébrides, continua l’officier coordonnateur.
— Mais oui, mais oui, nous savons déjà tout cela, grogna le général Morpurgo. Au fait, Yani.
Le jeune colonel fit une esquisse de sourire, hocha imperceptiblement la tête à l’intention de Gladstone et du général, puis reprit d’une voix un tout petit peu moins assurée :
— Les messages mégatrans codés en provenance de l’UO 42 depuis les soixante-douze dernières heures standard font état d’engagements directs entre des éléments de reconnaissance de la force d’évacuation et des formations d’avant-garde du groupe migrateur extro…
— L’essaim, interrompit Leigh Hunt.
— C’est cela, fit Yani.
Il se tourna vers le panneau, et les cinq mètres de verre dépoli s’animèrent. Pour moi, ce n’était qu’un fouillis de symboles ésotériques, de vecteurs colorés, de codes militaires et d’acronymes de la Force qui n’évoquaient absolument rien de cohérent. Peut-être les gros bonnets et les politiciens de haut rang qui étaient dans la salle n’y trouvaient-ils pas plus de signification que moi. Personne ne le fit savoir, en tout cas. J’entamai un nouveau croquis de Gladstone, avec le profil de bouledogue de Morpurgo à l’arrière-plan.
— Quoique les premiers rapports aient fait état de quelque chose comme quatre mille sillages laissés par leurs unités de propulsion, continua le colonel appelé Yani (j’aurais été curieux de savoir si c’était son nom de famille ou son prénom), ce chiffre me semble quelque peu trompeur. Comme vous le savez, les… euh… les essaims extros peuvent être constitués par des unités de propulsion indépendantes, dont le nombre peut aller jusqu’à dix mille et plus, c’est vrai, mais qui sont en grande majorité minuscules et non armées, ou bien sans grande valeur militaire. Les signatures mégatrans, hyperfréquences ou en provenance d’autres sources diverses permettent de penser que…
— Excusez-moi, interrompit Meina Gladstone, dont la voix aguerrie et puissante formait un contraste frappant avec le flot sirupeux de paroles qui sortait de la bouche du jeune officier. Pourriez-vous nous dire combien de vaisseaux extros exactement ont une valeur militaire significative ?
— Euh… fit le colonel en jetant un coup d’œil dans la direction de ses supérieurs.
Le général Morpurgo se racla la gorge.
— À notre avis, six cents, sept cents au grand maximum, fit-il. Rien qui puisse nous causer du souci.
La Présidente haussa un sourcil.
— Et quelle est l’importance de nos propres forces ?
Morpurgo fit un signe de tête au jeune colonel pour qu’il se mette au repos, et répondit :
— L’unité opérationnelle 42 comprend une soixantaine de bâtiments. L’unité opérationnelle…
— L’UO 42 est une force d’évacuation ?
Le général Morpurgo acquiesça d’un signe de tête, et je crus lire un rien de condescendance dans son sourire quand il répliqua :
— Oui, madame. L’unité opérationnelle 87-2, notre flotte de combat, qui s’est distranslatée dans le système il y a un peu moins d’une heure, va pouvoir…
— Soixante vaisseaux, c’est tout ce que nous avions à opposer à six ou sept cents bâtiments de guerre ? Vous avez jugé cela suffisant ?
Morpurgo jeta un coup d’œil à l’un des autres officiers assis près de lui, comme pour lui demander d’avoir de la patience avec la Présidente.
— Amplement suffisant, madame, répondit-il. Comprenez bien que six cents unités de propulsion Hawking, cela peut paraître énorme, mais, en réalité, ce n’est rien lorsque ces unités sont affectées à la propulsion de monoplaces, d’appareils de reconnaissance ou bien à celle de ces petits engins d’assaut à cinq places qu’ils appellent des lanciers. L’UO 42 était constituée de près de deux douzaines de vaisseaux de spin, y compris les gros porteurs Olympus Shadow et Neptune Station, capables de lancer chacun plus de cent chasseurs et lance-missiles automatiques.
Morpurgo fourra la main dans sa poche, en sortit une fumette recomb de la taille d’un cigare, sembla se rappeler soudain que Gladstone en désapprouvait l’usage, et la remit dans la poche de sa vareuse.
— Dès que l’UO 87-2 se sera entièrement déployée, reprit-il avec un froncement de sourcils, nous disposerons d’une puissance de feu largement suffisante pour faire face à une douzaine d’essaims.
Les sourcils toujours froncés, il fit signe à Yani de continuer. Le colonel s’éclaircit la voix et orienta son pointeur en direction du panneau.