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— Les filles, c’est ce qu’il y a de plus pénible à élever, dit-il en décollant les petits doigts de Rachel de sa barbe et de la chevelure bouclée de Brawne. Vous devriez échanger la vôtre contre un garçon à la première occasion.

— C’est ce que je ferai, répondit Brawne en reculant d’un pas.

Il serra une dernière fois la main du consul, puis celle de Théo et celle de Melio. Il mit son sac au dos pendant que Brawne lui tenait le bébé.

— Quelle dérision, si je me retrouvais à l’intérieur du Sphinx ! dit-il en reprenant Rachel dans ses bras.

Le consul se tourna vers le rectangle de lumière.

— Cela marchera, affirma-t-il. Ne craignez rien. De quelle manière, cependant, je l’ignore. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une porte distrans ordinaire.

— Chronotrans, peut-être, suggéra Silenus.

Il leva l’avant-bras pour parer le coup de poing que faisait mine de lui donner Brawne. Puis il recula d’un pas, en haussant les épaules.

— Si elle marche encore après votre passage, Sol, j’ai idée que vous ne serez pas longtemps tout seul là-haut. Des milliers de gens iront vous rejoindre.

— Si le Bureau des Paradoxes le permet, ne l’oubliez pas, lui dit Sol.

Il se tirailla la barbe, comme il faisait toujours lorsqu’il avait l’esprit ailleurs. Il cligna plusieurs fois des paupières, changea le sac à dos et le bébé d’épaule, et s’avança. Le champ de force lumineux, cette fois-ci, ne lui opposa pas de résistance.

— Adieu, tout le monde ! s’écria-t-il. Ça en valait la peine, finalement, vous ne trouvez pas ?

Il disparut dans la lumière avec le bébé.

Un silence suivit, durant plusieurs minutes, qui confinait avec le néant. Finalement, le consul murmura, d’une voix presque gênée :

— Si nous montions dans le vaisseau ?

— Faites venir l’ascenseur pour tout le monde, railla Martin Silenus, excepté pour H. Lamia, qui préfère marcher sur l’air.

Brawne jeta de haut un regard courroucé au poète.

— Vous croyez que c’est Monéta qui a rendu cela possible ? demanda Arundez, reprenant une suggestion déjà faite un peu plus tôt par Brawne.

— Je ne vois pas d’autre explication, dit-elle. Sans doute une technologie du futur, ou quelque chose de ce genre.

— Ouais… soupira Silenus. La technologie du futur. Commode pour ceux qui n’osent pas avouer leurs superstitions. Mais il y a une autre explication, ma chère, et c’est que vous avez toujours eu en vous, sans l’exploiter, ce pouvoir de léviter et de transformer les horribles monstres en fragiles gobelins de verre.

— Taisez-vous, lui dit Brawne, sans le moindre soupçon d’affection dans la voix, cette fois-ci. Qui nous dit qu’un autre gritche ne va pas surgir devant nous dans un instant ? ajouta-t-elle.

— Qui nous l’affirme, en effet ? demanda le consul. J’ai idée que, de toute manière, nous aurons toujours le gritche ou des rumeurs de gritche{Allusion biblique (Matt., 24, 6): «Vous entendrez parler de guerre et de rumeurs de guerre. Mais ne soyez pas troublés, car il faut que cela arrive, et ce n’est pas encore la fin.» (N.d.T.)} autour de nous.

Théo Lane, que les dissensions embarrassaient toujours, se racla la gorge avant de murmurer :

— Voyez ce que j’ai découvert parmi les affaires éparpillées autour du Sphinx.

Il leur montra un instrument de musique à trois cordes, au long manche et à la caisse triangulaire ornée de motifs colorés.

— Une guitare ? demanda-t-il.

— Une balalaïka, déclara Brawne. Elle appartenait au père Hoyt.

Le consul prit l’instrument et en tira plusieurs accords.

— Connaissez-vous cet air ? demanda-t-il en jouant quelques notes.

— Le Lai au lit des lolos de Léda ? suggéra Silenus.

Le diplomate secoua la tête, sans cesser de jouer.

— Ce doit être quelque chose d’ancien, fit Brawne Lamia.

— Somewhere over the Rainbow, suggéra Melio Arundez.

— Cela doit dater d’avant mon époque, déclara Théo Lane en hochant la tête tandis que le consul continuait de jouer.

— Cela date de bien avant l’époque de tout le monde, leur dit ce dernier. Venez. Je vous apprendrai les paroles en cours de route.

Marchant de front sous le soleil brûlant, chantant en chœur d’une voix plus ou moins juste, s’interrompant pour reprendre quand ils perdaient le fil des paroles, ils gravirent la colline jusqu’au vaisseau dressé.

ÉPILOGUE

Cinq mois et demi plus tard, enceinte de sept mois, Brawne Lamia prit à l’aéroport de Keats le dirigeable du matin en partance pour le Nord et pour la Cité des Poètes où le consul donnait sa soirée d’adieux.

La capitale, officiellement rebaptisée Jacktown par les autochtones, et appelée ainsi par les astronautes de la Force comme par les Extros, avait une blancheur pure dans la clarté du petit matin tandis que le dirigeable quittait sa tour d’amarrage pour prendre la direction du fleuve Hoolie, au nord-est.

La plus grande cité d’Hypérion avait beaucoup souffert durant les combats, mais elle avait été presque entièrement reconstruite. La plus grande partie des trois millions de réfugiés venus des plantations de fibroplaste et des petites villes du continent sud avaient préféré s’établir dans la région, malgré le regain d’intérêt porté aux fibroplastes depuis que les Extros commençaient à les acheter. La ville avait donc poussé de manière anarchique, les services vitaux comme l’électricité, l’évacuation des eaux usées ou la TVHD s’étendant à peine jusqu’aux bidonvilles des collines, entre le port spatial et la vieille ville.

Les bâtiments avaient cependant une blancheur spéciale dans la lumière du matin, et l’atmosphère printanière recelait mille promesses tandis que Brawne voyait défiler les péniches et les véhicules de toute sorte sur le fleuve encombré et sur les routes nouvellement construites. Tout cela, pensait-elle, augurait bien de l’avenir d’Hypérion.

Les combats spatiaux n’avaient pas duré longtemps après l’annonce du démantèlement du Retz. L’occupation de facto du port spatial par les Extros s’était transformée en reconnaissance de la disparition du Retz et en coadministration avec le nouveau Conseil intérieur selon les termes d’un traité initialement préparé par le consul et par l’ex-gouverneur général Théo Lane.

Durant les six mois, ou presque, qui avaient précédé la chute du Retz, les seuls mouvements observés au port spatial avaient été ceux des rares vaisseaux de descente de la Force restés dans le système et ceux des visites un peu plus fréquentes originaires de l’essaim. Le spectacle des hautes silhouettes extros déambulant dans Jackson Square n’était plus rare, pas plus que celui, encore plus exotique, des mêmes Extros buvant un coup dans la nouvelle taverne à l’enseigne de Chez Cicéron.

C’était là que Brawne avait pris une chambre pour passer les derniers mois qui venaient de s’écouler. Stan Leweski lui avait donné l’une des meilleures suites dont il disposait au quatrième étage du nouveau bâtiment agrandi qu’il avait fait construire sur l’emplacement de l’ancienne et légendaire taverne détruite par le feu.

— Il ne manquerait plus que ça, que je me fasse aider par une femme enceinte ! s’écriait-il de sa voix de stentor chaque fois qu’elle proposait de lui donner un coup de main.

Invariablement, cependant, elle finissait par accomplir une tâche ou une autre tandis qu’il ronchonnait. Elle avait beau être enceinte, elle restait avant tout une Lusienne, et son séjour de quelques mois sur Hypérion n’avait pas encore totalement atrophié ses muscles.