Je saisis l’esclave par le cou et le tirai en arrière, pensant qu’il s’agripperait à David et qu’il serait nécessaire de l’en arracher, mais dès l’instant où il sentit ma poigne, il lâcha David et se tordit comme une araignée dans mes mains. Je vis alors qu’il avait quatre bras.
Ils battaient l’air en essayant de m’attraper, mais je le lâchai en faisant un bond en arrière, comme si on m’avait lancé un rat à la figure. Cette réaction de dégoût instinctive me sauva la vie ; au même instant, il projeta ses pieds en arrière dans une ruade féroce qui, si j’avais continué à le maintenir solidement en lui donnant un point d’appui, m’aurait sûrement fait éclater la rate ou le foie.
Au lieu de cela, il fut projeté en avant, et moi haletant, en arrière. Je tombai et roulai en dehors du cercle que lui laissait sa chaîne. David s’était déjà traîné hors de sa portée, et Phaedria était à l’abri.
Pendant quelques instants, pendant que je frissonnais en essayant de me relever, nous le regardâmes sans rien dire. Puis, David cita tout de travers :
Cela ne nous fit pas rire ni Phaedria ni moi, mais elle poussa un long soupir et me demanda : « Comment ont-ils fait ça ? Comment ont-ils fait pour le rendre comme ça ? »
Je lui répondis que je supposais qu’ils avaient transplanté la paire de bras supplémentaire après avoir neutralisé la résistance naturelle de son corps à l’implantation de tissus étrangers, et que l’opération avait probablement remplacé quelques-unes de ses côtes par des tissus de l’épaule du donneur. « Je me suis exercé à faire la même chose avec des souris — sur un plan bien moins ambitieux, naturellement — et ce qui m’étonne le plus, c’est qu’il paraît avoir l’usage complet des membres greffés. À moins de travailler sur de vrais jumeaux, les terminaisons nerveuses ne se raccordent presque jamais correctement, et celui qui a fait cela a probablement essuyé une centaine d’échecs avant d’arriver à ce qu’il voulait. Cet esclave doit valoir une fortune. »
« Je croyais que tu avais laissé tomber tes souris », dit David. « Tu ne travailles pas sur des singes maintenant ? »
Je n’avais pas encore commencé, mais j’espérais le faire bientôt. Cependant, il était clair que parler de tout cela ici ne nous mènerait à rien. J’expliquai cela à David.
« Est-ce que tu n’étais pas pressé de partir ? »
Je l’étais tout à l’heure, mais maintenant, je désirais quelque chose de beaucoup plus important. Je voulais examiner cette créature plus encore que David et Phaedria voulaient trouver l’argent. David aimait à penser qu’il était plus audacieux que moi, et je savais que quand je lui aurais dit : « Peut-être que tu veux t’en aller, David, mais ne me prends pas pour prétexte », la question serait réglée.
« Très bien. Comment allons-nous faire pour le tuer ? » fit-il en me jetant un regard mauvais.
« Il ne peut nous atteindre », dit Phaedria. « Nous n’avons qu’à lui lancer des choses. »
« Et si nous le manquons, il nous les relancera. »
Pendant que nous parlions, la créature à quatre bras nous regardait en ricanant. J’étais presque sûr qu’elle pouvait comprendre au moins une partie de ce que nous disions, et je fis signe à Phaedria et à David de me suivre dans le petit bureau. Nous sortîmes en refermant la porte derrière nous.
« Je ne voulais pas qu’il entende ce que nous disons », expliquai-je. « Si nous pouvions accrocher quelque chose au bout d’un long manche, pour faire une espèce de lance, nous arriverions peut-être à le tuer sans avoir à nous en approcher. Que pourrions-nous prendre comme manche ? Vous avez une idée ? »
David secoua négativement la tête, mais Phaedria dit : « Attendez, je me souviens d’avoir vu quelque chose. » Nous la regardâmes, et elle arqua les sourcils pour faire semblant de fouiller sa mémoire, ravie d’être le point de mire.
« Alors ? » pressa David.
Elle fit claquer ses doigts. « Ça y est. J’ai trouvé. Les perches pour les fenêtres. Vous vous rappelez, les fenêtres du salon où il reçoit ses clients ? Elles sont très hautes. Pendant qu’il parlait avec papa, un des types qui travaillent pour lui en a apporté une et il a ouvert une fenêtre. Elles devraient se trouver par là quelque part. »
Nous en trouvâmes deux au bout de cinq minutes de recherches. Elles avaient l’air de faire l’affaire : un mètre quatre-vingts de long environ sur trois centimètres de diamètre, en bois dur. David commença à faire des moulinets avec la sienne, en faisant semblant de vouloir attaquer Phaedria. Puis, il me demanda : « Et qu’est-ce que nous allons mettre au bout ? »
Le scalpel que j’avais toujours sur moi était dans son étui dans une de mes poches, et je l’attachai à la perche avec du fil électrique que David portait heureusement à sa ceinture au lieu de l’avoir mis dans la trousse à outils. Mais nous ne trouvâmes rien pour faire une seconde lance, jusqu’à ce que David lui-même ait l’idée d’un morceau de verre.
« Vous ne pouvez pas briser un carreau », dit Phaedria. « On vous entendrait de dehors. En outre, est-ce qu’il ne risque pas de se casser quand vous l’utiliserez ? »
« Pas si c’est du verre très épais. Regardez donc. »
Je suivis le regard de David, et je vis — une fois de plus — mon propre visage. Il avait pensé au miroir qui m’avait tellement surpris quand j’étais arrivé par l’escalier. Pendant que je le contemplais, la chaussure de David le heurta et il se brisa avec un fracas qui fit de nouveau aboyer les chiens. David ramassa un éclat presque droit, rectangulaire, et le porta à la lumière d’un rayon de soleil, où il jeta des feux comme une pierre précieuse. « C’est presque aussi parfait que ceux qu’ils faisaient sur Sainte-Anne avec du jaspe et de l’agate », nous dit-il.
Selon ce que nous avions convenu, nous nous approchâmes chacun d’un côté. L’esclave bondit sur le coffre et de là nous observa calmement, ses yeux enfoncés tournant sans cesse de David à moi jusqu’à ce que nous soyons tout près. David fonça le premier.
L’esclave pivota tandis que l’éclat de miroir lui éraflait les côtes, et saisit le manche de bois de David qu’il tira violemment vers lui. Je lançai mon arme en avant, mais je le manquai et avant que j’aie pu recommencer, il avait bondi du coffre sur David et ils avaient roulé ensemble de l’autre côté. Je me penchai par-dessus le coffre et lançai de nouveau mon scalpel, mais lorsque David poussa un hurlement, je me rendis compte que je l’avais enfoncé dans sa cuisse. Je vis le sang couler, du sang clair, artériel, qui giclait sur le manche de bois. Je lâchai tout et me jetai par-dessus le coffre dans la mêlée.
Le monstre m’attendait, ricanant, sur le dos, ses jambes et ses quatre bras levés comme les pattes d’une araignée morte. Je suis sûr qu’il m’aurait étranglé en quelques secondes si David, consciemment ou pas, n’avait passé son bras autour des yeux de la créature qui, aveuglée, manqua sa prise et me laissa tomber entre ses deux mains tendues.
Il n’y a pas grand-chose à ajouter. Il se dégagea d’une secousse de David et m’attirant à lui, essaya de planter ses dents dans ma gorge ; mais j’enfonçai mon pouce dans une de ses orbites et réussis à l’en empêcher. Phaedria, avec plus de courage et de présence d’esprit que je ne l’aurais crue capable, mit dans ma main libre la lance de David et je la lui plantai dans le cou. Je dus lui trancher les deux jugulaires et la trachée avant qu’il meure. Nous improvisâmes un tourniquet sur la jambe de David et nous partîmes sans l’argent et sans les renseignements techniques que j’avais espéré retirer du corps de l’esclave. Marydol nous aida à ramener David à la maison, et nous racontâmes à Mr Million qu’il était tombé pendant que nous explorions un bâtiment vide. Je doute qu’il nous crut.