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Un tel lieu était extrêmement sacré, mais il était possible d’y boire, et même d’y passer quelques heures, si l’on était assez audacieux. Et l’arbre, Coureur des sables le savait, préférait que l’on vienne seul, ce qui était un avantage pour lui. Il s’approcha, comme le dictait la coutume, ni trop vite ni trop lentement, avec une expression de courtoisie étudiée, et il était sur le point de le saluer lorsqu’il vit une fille, assise, un bébé dans les bras, au milieu des racines.

Pendant quelques instants, impoliment, son regard quitta l’arbre. Le visage de la fille était en forme de cœur, timide, à peine celui d’une femme déjà. Sa longue chevelure (c’était une chose dont Coureur des sables n’avait pas l’habitude) était toute propre : elle l’avait lavée dans l’eau au pied de l’arbre, et démêlée avec ses doigts, de sorte qu’elle s’étalait maintenant sur ses épaules brunes. Elle était assise les jambes croisées, immobile, avec son bébé, une fleur dans ses cheveux, endormi sur ses cuisses.

Coureur des sables salua cérémonieusement l’arbre, en demandant la permission de boire et en promettant de ne pas rester trop longtemps. Un murmure de feuillage lui répondit, et bien qu’il ne comprît pas les mots, ils ne semblaient pas hostiles. Il sourit pour montrer sa reconnaissance, et alla boire à la flaque d’eau.

Il but longtemps et profondément, comme font les animaux du désert. Quand il en eut assez et releva la tête de la surface ridée par le vent, il vit l’image du visage de la fille qui dansait près du sien.

« Matin calme », dit-il.

« Matin calme », répondit-elle.

« Je m’appelle Coureur des sables. » Il pensa à son voyage à la caverne, au daim tic-tic et au faux faisan, et au Vieux sage. « Coureur des sables, le voyageur, grand chasseur et ami de l’ombre. »

« Je m’appelle Sept filles qui attendent », dit la fille. « Et ça », elle sourit tendrement au bébé qu’elle tenait, « c’est Marie papillons roses. Je l’ai appelée ainsi à cause de ses petites mains. Elle les agite toujours quand elle s’éveille. »

Coureur des sables, qui au cours de sa courte existence avait vu combien d’enfants viennent et combien peu survivent, hocha la tête et sourit.

La fille regarda la mare au pied de l’arbre, puis l’arbre, puis les fleurs et l’herbe, tout sauf le visage de Coureur des sables. Il vit ses petites dents blanches affleurer comme des souris des neiges sur ses lèvres pour les toucher puis se retirer. Le vent courbait les herbes, et l’arbre dit quelque chose qu’il ne comprit pas. Peut-être que Sept filles qui attendent le comprit, elle. « Est-ce que… » fit-elle en hésitant… « tu te coucheras ici ce soir ? »

Il comprit ce qu’elle voulait dire, et répondit aussi doucement qu’il put : « Je n’ai pas de nourriture à partager. Je regrette. Ce que je chasse, je dois le garder comme offrande pour le prêtre de Tonne toujours. Personne ne se couche à l’endroit où tu te couches ? »

« Il n’y avait rien nulle part. Papillons roses était toute neuve, et je ne pouvais pas aller loin… Nous nous sommes couchées là, derrière ce rocher courbe. » Elle fit un petit geste de découragement avec ses épaules.

« Je n’ai jamais connu cela », dit Coureur des sables en posant une main sur son bras, « mais je sais ce que l’on doit éprouver, assis tout seul en attendant ceux qui ne viennent pas. Ce doit être terrible. »

« Tu es un homme. Ça ne t’arrivera pas jusqu’à ce que tu sois très vieux. »

« Je ne voulais pas te fâcher. »

« Je ne suis pas fâchée. Et je ne suis pas seule non plus — j’ai Papillons roses avec moi tout le temps, et il y a du lait pour elle. Maintenant, nous dormons ici. »

« Toutes les nuits ? »

La fille acquiesça, presque d’un air de défi.

« Ce n’est pas bon de dormir là où il y a un arbre pour plus d’une nuit. »

« Papillons roses est sa fille. Je le sais parce qu’il me l’a dit dans un rêve bien longtemps avant qu’elle ne naisse. Il aime l’avoir ici. »

Coureur des sables dit avec prudence : « Nous avons tous été engendrés dans une femme par des arbres. Mais ils veulent rarement qu’on reste près d’eux plus d’une nuit. »

« Il est bon pour nous ! J’avais pensé… » sa voix était devenue faible au point de n’être qu’un murmure à peine audible par-dessus le bruissement du vent dans l’herbe… « Quand tu es arrivé, j’avais cru qu’il t’avait envoyé pour nous apporter quelque chose à manger. »

Coureur des sables regarda la mare au pied de l’arbre : « Y a-t-il du poisson ? »

Humblement, comme si elle confessait quelque mauvaise action, elle répondit : « Je n’en ai pas trouvé depuis… depuis… »

« Combien de temps ? »

« Depuis trois jours. C’est ainsi que nous avons survécu. J’ai mangé les poissons, et j’avais du lait pour Papillons roses. J’ai encore du lait. » Elle regarda le bébé, puis Coureur des sables, et ses grands yeux semblaient le supplier de la croire.

Coureur des sables leva les yeux vers le ciel. « Il va faire froid », dit-il. « Regarde comme le ciel est clair. »

« Tu te coucheras ici ? »

« La nourriture que je trouverai devra me servir d’offrande. » Il lui parla du prêtre, et de son rêve.

« Mais tu reviendras ? »

Coureur des sables acquiesça, et elle lui décrivit les meilleurs endroits pour chasser — les endroits où les siens avaient trouvé du gibier, quand il y en avait.

Il lui fallut presque une heure pour gravir la longue pente rocheuse au-dessus de l’oasis. Arrivé au rocher courbe — un doigt de pierre crochu oublié pointé vers le ciel par l’érosion — il découvrit l’endroit où l’on se couche que son peuple avait utilisé : les rochers qui avaient abrité les dormeurs du vent, quelques traces que le vent n’avait pas encore effacées, les os blanchis de quelques animaux. Mais l’endroit où l’on se couche était sans intérêt pour lui.

Il chassa jusqu’à ce que Monde-sœur se lève, et il ne trouva rien. Il aurait aimé se coucher à l’endroit où il était, mais il avait promis à la fille de revenir, et il y avait déjà un esprit glacé dans l’air. Il la trouva, comme il s’y attendait, couchée avec le bébé dans ses bras parmi les racines de l’arbre.

Épuisé, il se laissa tomber à côté d’elle. Le bruit de sa respiration et la chaleur de son corps la réveillèrent ; elle sursauta, puis le regarda et sourit, heureuse qu’il soit revenu. « As-tu trouvé quelque chose ? » lui demanda-t-elle.

Il secoua négativement la tête.

« Moi, si. Regarde. J’ai pensé que tu aimerais le garder, pour faire ton offrande. » Elle tenait à la main un petit poisson, maintenant raidi par le froid.

Coureur des sables le soupesa, puis secoua la tête. Si le faux faisan n’avait pas été suffisant, ce serait certainement encore moins acceptable. « Un poisson se gâterait avant que j’arrive là-bas », dit-il. Il lui déchira un morceau de ventre avec ses dents, puis élargit le trou avec ses doigts de manière à pouvoir retirer les intestins et une partie de l’arête. Puis il partagea les deux minuscules filets qui restaient et en donna un à la fille.

« C’est bon », dit-elle en l’avalant. Puis elle ajouta : « Où vas-tu ? »