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Coureur des sables, qui n’était pas aussi sûr que la bataille était terminée, répondit : « Je ne doute pas que les tiens soient braves, mais c’est moi qui ai terrassé deux de ces pieds mouillés. »

L’homme des marais qui était tombé sur ses genoux un instant plus tôt se redressa en tremblant et, guidé par l’Enfant de l’ombre juché sur ses épaules, s’éloigna en chancelant. « Je ne voulais pas parler de nous », fit la voix qui parlait à Coureur des sables. « Je voulais parler d’eux. Nous en avons suffisamment pour un grand nombre de festins. Tout le monde maintenant est en train de se rassembler autour de la fosse où ils nous gardaient. Approche-toi, et tu verras. »

« Ne viens-tu pas ? » Coureur des sables cherchait vainement à localiser celui qui parlait.

Il n’y eut pas de réponse. Il fit demi-tour et, guidé par un sens de l’orientation développé, retourna à la fosse. Les quatre hommes des marais étaient là, dont trois avec des cavaliers sur leurs épaules, et le quatrième gémissant et titubant, frottant de ses mains sanglantes ses orbites sans yeux. Deux autres Enfants de l’ombre étaient accroupis dans l’herbe des marais piétinée.

Une voix derrière Coureur des sables proposa : « Nous devrions manger ce soir celui qui est aveugle. Nous pourrons conduire les autres dans les collines pour partager avec nos amis. »

L’aveugle gémit.

« J’aimerais vous voir », dit Coureur des sables. « Es-tu le même Vieux sage à qui j’ai parlé il y a trois nuits ? »

« Non. » Un sixième Enfant de l’ombre avait surgi de nulle part. Dans l’obscurité (les yeux de Coureur des sables, pourtant habitués, avaient du mal à distinguer autre chose que des silhouettes confuses) il paraissait complètement opaque, mais beaucoup plus vieux que les autres.

La lueur des étoiles, quand les nuages la laissaient passer, scintillait sur sa tête comme sur de la glace. « Nous savions par ton chant que tu étais un ami de l’ombre », dit-il. « Tu es jeune. Y a-t-il seulement trois nuits que tu es devenu l’un de nous ? »

« Je suis votre ami », répondit prudemment Coureur des sables, « mais je ne crois pas que je sois l’un de vous. »

« En esprit. Seul l’esprit est important. »

« Les étoiles… » C’était l’aveugle qui parlait, et sa voix aurait pu être celle d’une blessure ouverte, parlant avec des lèvres livides et une langue de sang jaillissant. « Si Ultime voix, notre coureur d’étoiles, était ici, il pourrait vous expliquer. Laisser son corps derrière soi et parcourir les étoiles sur le dos du Lézard qui combat. Voir ce que voit Dieu pour connaître ce qu’il connaît et ce qu’il doit faire… »

« Il y a ceux qui parlent ainsi dans mon pays », dit Coureur des sables, « et on les conduit au bord de la falaise… et un peu plus loin. »

« Les étoiles parlent de Dieu », fit le prisonnier aveugle avec obstination, « et la rivière parle des étoiles. Ceux qui regardent les eaux de la nuit verront, dans l’onde troublée, l’arrivée des étoiles mouvantes. Nous leur donnons la vie des hommes des collines ignorants, et si une étoile quitte sa place, nous assombrissons l’eau du sang du coureur d’étoiles. »

Le Vieux sage semblait avoir disparu. Coureur des sables ne le voyait plus au milieu du groupe silencieux des Enfants de l’ombre, mais sa voix s’éleva : « Assez de paroles. Nous avons faim. »

« Encore un instant. Je veux l’interroger sur ma mère et mes amis. Ils sont prisonniers de son peuple. »

Le prisonnier aveugle demanda : « Que les non-humains s’éloignent d’abord. »

« Éloignez-vous », dit Coureur des sables, et les deux Enfants de l’ombre qui n’étaient pas juchés sur des hommes remuèrent les pieds pour faire du bruit dans l’herbe, mais ne bougèrent pas de place.

« Ils sont partis. Parle-moi des prisonniers. »

« Est-ce toi qui m’as rendu aveugle ? »

« Non, un Enfant de l’ombre. Mais ce sont mes mains qui étaient autour de ta gorge. »

« C’est leur chant qui t’a attiré ? »

« Oui. »

« C’est pourquoi nous les gardons là où il n’y a pas d’autres hommes, près des collines. Souvent, leur chant en attire d’autres. Parfois, nous en avons jusqu’à vingt, car peu leur importe que leurs amis soient mangés, s’ils ont une chance de s’échapper eux-mêmes. Mais je n’aurais jamais pensé qu’une chose pareille m’arriverait. C’est la première fois que leur chant attire un jeune garçon. »

« Je suis un homme. J’ai connu la femme, et rêvé de grands rêves. Vous avez noyé Pieds qui volent, et souillé de son sang la pureté de Dieu. Qu’avez-vous fait des autres ? »

« Tu vas essayer de les sauver, Doigts autour de mon cou ? »

« Je m’appelle Coureur des sables. Oui, si je peux. »

« Ils sont au nord d’ici », fit la terrible voix du prisonnier aveugle. « Près du grand observatoire de l’Œil. Dans la fosse appelée l’Autre œil. Mais maintenant mon œil a disparu, et je n’ai pas d’autre œil. Dis-moi comment sont les étoiles. Je dois me préparer à mourir. »

Coureur des sables leva la tête, bien que le ciel fût entièrement couvert par les nuages qui défilaient. Au même instant, l’aveugle bondit sur lui. Aussitôt, les Enfants de l’ombre furent sur lui, comme des fourmis sur une charogne, et Coureur des sables le frappa à la figure. Les autres prisonniers en profitèrent pour prendre leurs jambes à leur cou.

« Mangeras-tu cette viande avec nous ? » demanda le Vieux sage. « En tant qu’ami de l’ombre, tu es l’un d’entre nous, maintenant. Tu peux la consommer sans crainte. » Il avait dû faire sa réapparition pendant la mêlée avec le prisonnier aveugle, bien qu’il n’y eût pas participé. Tout au moins, Coureur des sables croyait le reconnaître dans l’une des silhouettes confuses.

« Non, merci », répondit-il. « J’ai bien mangé hier. Mais n’allez-vous pas poursuivre ceux qui se sont enfuis ? »

« Plus tard. Encombrés par celui-ci, nous ne les retrouverions pas, et il s’enfuirait lui aussi, aveugle ou pas, si nous le laissions seul. Nous pourrions lui briser les jambes, mais il y a un ours-goule qui rôde par ici ; nous l’avons flairé avant ta venue. »

Coureur des sables hocha la tête : « Moi aussi. »

« Veux-tu assister à la mort de celui-ci ? »

« Je pourrais commencer à suivre la piste des autres », dit Coureur des sables. Il réfléchissait qu’ils allaient se diriger vers le nord, en aval. En direction de la fosse appelée l’Autre œil.

« C’est une bonne idée. »

Coureur des sables se détourna. Il n’avait pas fait dix pas que la pluie se mettait à tomber. Par-dessus son crépitement, il entendit le râle de mort du prisonnier aveugle.

Le jour se leva, clair et froid. Avant que le soleil eût décrit la largeur d’une main au-dessus de l’horizon, les derniers nuages avaient disparu, laissant un ciel bleu par endroits presque noir et parsemé d’étoiles pâles. Dans les prairies marécageuses, les roseaux pliaient et craquaient sous le vent, et de temps à autre un oiseau, chevauchant l’air en mouvement comme Coureur des sables avait chevauché les eaux tumultueuses de la rivière, traversait sous ses yeux le ciel d’un bout à l’autre.