Выбрать главу

L’homme des marais qui avait parlé à Vent d’est, apparemment quelqu’un d’important parmi eux, annonça du haut de la fosse : « Ils sont cinq, Étudiant du ciel. » Il se frotta les mains : « Et il n’est pas de chair plus succulente que celle des Enfants de l’ombre. »

« Six », rectifia Coureur des sables.

« Cette fosse n’a pas été creusée par des mains », dit un des Enfants de l’ombre. Les autres étaient en train d’examiner les lieux et de toucher le sable fin de leurs petits doigts squelettiques.

« Ils te suivaient », dit Vent d’est à Coureur des sables. « Voudrais-tu leur expliquer leur nouvelle demeure ? »

« Je le ferais si je pouvais, mais personne ne sait pourquoi le monde est comme il est, mis à part le fait d’être conforme à la volonté de Dieu. »

« Apprends, donc, là où tu es. C’est ici — à quelques centaines de pas vers l’est — que la rivière s’élargit pour toujours. Comme une tige s’élargit en fleur, mais la différence c’est que la fleur de la rivière, que l’on appelle Océan, s’élargit sans limite. »

« Je ne te crois pas », dit Coureur des sables.

« Tu ne comprends pas ? Ne sais-tu pas pourquoi la rivière dépasse en sainteté à la fois Dieu et les étoiles ? Pourquoi les enfants au commencement de leur vie doivent être lavés dedans, et ses eaux rougies du sang des coureurs d’étoiles quand une étoile tombe ? La rivière est le Temps, et il se termine en cet endroit sacré appelé Océan, où le passé et le présent s’étendent à l’infini. Sur la rive orientale, là où la terre est basse et l’eau parfois douce et parfois salée, se trouve l’Œil, le grand cercle d’où sortent les coureurs d’étoiles. Sur la rive occidentale où nous sommes, il a plu à l’Océan de construire cet Autre œil pour contenir les offrandes qui en temps voulu seront à lui. Ultime voix, qui a beaucoup réfléchi à toutes ces choses, dit que les mains de l’Océan, qui frappent les plages éternellement, attirent le sable sur lequel nous nous trouvons tandis qu’un autre le remplace, amené par les plages. Ainsi, l’Autre œil n’est jamais vide, et ne peut jamais être comblé. »

« Nous lavons nos enfants dans la rivière », dit Coureur des sables, « parce que cela représente la pureté de Dieu. La terre des racines des arbres, qui sont leurs pères, est encore sur eux et il faut la laver. Quant au reste de tes histoires insensées, je pense qu’elles ne valent guère mieux que ce que tu dis quand tu prétends que nous sommes la même personne ».

« Ultime voix a observé les entrailles des femmes… » commença Vent d’est, puis voyant l’expression de dégoût sur le visage de Coureur des sables, il tourna les talons, saisit la liane et ordonna aux hommes de le remonter. Arrivé en haut, il fit un signe de la main et cria : « Au revoir, Mère. Au revoir, Frère » ; puis il disparut.

Le vieux Doigt sanglant lui dit d’une voix pleine de reproche : « Tu aurais pu obtenir quelque chose de lui. Maintenant, il ne reviendra pas. »

Coureur des sables haussa les épaules : « Est-ce qu’ils nous laissent remonter pour boire ? » demanda-t-il. « J’ai soif, et il n’y a pas d’eau ici. »

Il n’y avait pas d’ombre, non plus, mais les Enfants de l’ombre s’étaient roulés en boule le long de la paroi de la fosse qui serait ombragée la première. Doigt sanglant répondit :

« Vers le coucher du soleil, ils nous jettent des tiges qui n’ont pas beaucoup de saveur mais beaucoup de jus. C’est tout ce qu’ils te donneront à boire. Et à manger, aussi. » Il fit un geste du pouce en direction des Enfants de l’ombre. « Mais en massacrant cette vermine, nous aurions une excellente nourriture, et des fluides à boire. Trois contre cinq, ce n’est pas mal, et ils ne savent pas se battre quand le soleil est haut. »

« Deux contre six. Et Feuilles à manger ne voudra pas se battre contre moi. »

Pendant quelques instants, Doigt sanglant eut un air furieux et Coureur des sables, pensant à ses grands poings, se prépara à feinter et à attaquer, mais Doigt sanglant eut un rictus qui découvrit sa mâchoire à demi édentée : « Juste toi et moi, hein ? À nous meurtrir pendant que les autres regardent en hurlant. Si tu gagnes, tes amis mangent. Et si c’est moi… ils m’auront pendant la nuit. Non. Dans quelques jours, tu commenceras à sentir la faim — si nous sommes encore vivants — et nous en reparlerons. »

Coureur des sables secoua la tête, mais il sourit. Il avait été forcé à marcher toute la nuit par les hommes des marais, et il avait passé la matinée à essayer de vaincre les parois glissantes, aussi quand Doigt sanglant se désintéressa de lui il se creusa une place près des Enfants de l’ombre et se coucha pour dormir. Au bout d’un moment, Douce bouche vint s’étendre à côté de lui.

Au coucher du soleil, comme l’avait dit Doigt sanglant, on vint leur jeter des tiges de plantes. Les Enfants de l’ombre commençaient à bouger. Ils en amenèrent deux pour Douce bouche et Coureur des sables. Douce bouche prit la sienne, mais elle était terrorisée par les yeux phosphorescents des Enfants de l’ombre. Elle alla s’asseoir de l’autre côté de la fosse avec Vent dans les cèdres.

Le Vieux sage vint se placer à côté de Coureur des sables, qui remarqua qu’il n’avait pas de tige. « Qu’allons-nous faire ? » demanda Coureur des sables.

« Parler », dit le Vieux sage.

« Pour quelle raison ? »

« Parce que ce n’est pas le moment d’agir. Il est toujours bon de parler beaucoup, de discuter de ce qui a été fait et de ce qui pourrait être fait, quand il n’y a rien à faire. Tous les grands mouvements politiques de l’histoire sont nés dans une prison. »

« Qu’est-ce que c’est qu’un mouvement politique, et l’histoire ? »

« Ton front est haut et tes yeux sont écartés », lui dit le Vieux sage. « Malheureusement, comme tous ceux de ta propre espèce, tu as ton cerveau dans ton thorax. » (Il frappa le ventre dur et plat de Coureur des sables, ou tout au moins il fit le geste, car ses doigts n’avaient pas de substance réelle.) « Par conséquent, ces indications de capacité mentale ne sont pas applicables. »

Coureur des sables dit avec diplomatie : « Nous avons tous notre cerveau dans le ventre, quand nous avons faim. »

« Tu veux dire ton esprit », répliqua le Vieux sage. « L’esprit peut flotter à cinq mille mètres ou plus au-dessus de la tête. »

« Les coureurs d’étoiles des habitants de ces terres mouillées disent que leur esprit — peut-être veulent-ils parler de leur âme — quitte la terre, voyage dans l’espace, rebondit sur Monde-sœur et, attiré par le courant universel, plane et glisse et tournoie au milieu des constellations dans lesquelles ils se fondent. »

Le Vieux sage fit le geste de cracher son mépris et demanda à Coureur des sables : « Sais-tu ce que c’est qu’un stellaris ? »

Coureur des sables secoua négativement la tête.

« As-tu déjà vu un tronc d’arbre flotter sur une rivière ? Je veux dire là-haut, dans les collines, là où la rivière coule au milieu des pierres, et le tronc d’arbre avec. »

« J’ai voyagé sur la rivière de cette façon. C’est ainsi que j’ai pu arriver si vite au pays des prairies marécageuses. »

« Encore mieux. » Le Vieux sage leva la tête pour considérer le ciel nocturne. « Là », dit-il en pointant son doigt. « Comment appelles-tu ça ? »

Coureur des sables essayait de suivre la direction du doigt translucide. « Où ? » fit-il. La femme à la chevelure de flammes les regardait tranquillement de ses yeux aveugles à travers la main du Vieux sage.

« Là, barrant le ciel sur toute sa longueur. »

« Ah, ça c’est la Cascade. »

« Exactement. Maintenant, pense à un tronc creux assez grand pour contenir des hommes. Ce serait un stellaris. »