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R : Non.

Q : Pensez-vous aussi que leur victoire vous vaudra la liberté ?

R : Vous croyez que je suis un espion.

Q : Vous êtes un savant — tout au moins pour l’instant, c’est ce que nous supposerons. Cela vous fait-il plaisir ?

R : Je suis habitué à cette supposition.

Q : J’ai examiné vos papiers, et il y a des lettres qui suivent votre nom. Je vous appellerai :

« Un Comte polonais, un Chevalier Grand-Croix,

Rx. et Q.E.D. ;

Grand Maître de la Dague sanglante,

et G.U.E.U.X. »

Vous me paraissez bien jeune.

R : Ils ont pensé qu’il était inutile d’envoyer un vieillard de la Terre.

Q : Je vais proposer à votre jeune et élastique mais scientifique esprit une hypothèse de science politique : qu’un assassin ferait un excellent espion, et un espion aurait de nombreuses occasions d’assassiner. Trouvez-vous des contradictions à cela ?

R : Je suis un anthropologue, pas un expert en politique.

Q : C’est ce que vous ne vous lassez pas de nous répéter. Mais un anthropologue s’intéresse aux mœurs des sociétés moins complexes. L’espionnage n’existe-t-il pas chez elles ?

R : La plupart des peuples primitifs font la guerre pour montrer leur courage. C’est pourquoi, ils perdent toujours.

Q : Vous me faites perdre mon temps.

R : Puis-je avoir une autre cigarette ?

Q : Déjà fini ? Certainement. Et mon briquet.

R : Merci.

Q : Qui aviez-vous l’intention d’assassiner ici ? Pas l’homme que vous avez tué : cela ressemble trop à une improvisation nécessitée par les circonstances. Quelqu’un que vous ne pouviez pas approcher, quelqu’un de bien gardé.

R : Qui suis-je censé avoir assassiné ici ?

Q : Je vous ai déjà dit que je ne suis pas ici pour répondre à vos questions. Le faire serait impliquer que nous accordons un semblant de véracité à vos assertions d’innocence, et telle n’est pas notre intention. La vérité doit venir de nous, et non de vous. Notre gouvernement est le plus remarquable de toute l’histoire de l’humanité, parce que nous seuls avons accepté comme principe de travail ce que tous les sages ont enseigné et tous les gouvernements feint d’accepter, à savoir : la force de la vérité. Vous m’avez souvent demandé quel crime vous avez commis, et pourquoi nous vous retenons. C’est parce que nous savons que vous mentez. Comprenez-vous ce que je vous dis ?

R : Lors de mon arrestation, une certaine personne, nommée Mlle Étienne, a reçu un carton qui devait lui permettre de me rendre visite certains jours spécifiés. Vous dites que vous honorez vos promesses. Pourtant, elle n’a pas pu venir.

Q : Elle n’a pas demandé à le faire.

R : Vous le savez ?

Q : Oui ! Vous ne comprenez pas ? C’est notre secret, c’est la vérité. Vous me dites qu’on lui a donné le carton, qu’on donne toujours à quelqu’un de toute manière. Par conséquent, je sais que si vous ne l’avez pas vue ici, c’est parce qu’elle n’a pas demandé à venir. Vous comprenez bien que plus tard — quand nous avons compris l’ampleur de votre obstination et tout le sérieux de votre cas — nous l’avons peut-être avertie des conséquences désagréables que pourrait avoir sa visite ; mais si elle l’avait demandé, elle aurait été autorisée à vous voir.

Nous sommes le seul gouvernement aux paroles duquel tout le monde peut accorder une foi absolue, et pour cette raison nous jouissons d’un crédit infini, d’une obéissance infinie, d’un respect infini. Si nous disons à n’importe qui : « Fais ceci, et telle sera ta récompense », il ne fera aucun doute dans son esprit qu’il sera récompensé comme nous l’avons dit. Si nous disons que les villages qui ne respectent pas telle ordonnance seront entièrement rasés, cela ne fait aucun doute non plus. Nous parlons peu, mais chaque parole tombe comme un poids de fer… »

Cassilla demanda : « Que se passe-t-il ? »

« La bande s’est cassée », dit l’officier. « Ça ne fait rien. Je vais en mettre une autre — n’oublie pas ce que je t’ai demandé de faire. »

« Non, Maître. »

Q : Asseyez-vous. Êtes-vous le docteur Marsch ?

R : Oui.

Q : Je m’appelle Constant. Vous venez d’arriver de la planète mère en passant par Sainte-Anne ; est-ce exact ?

R : De Sainte-Anne, il y a un an et quelques mois.

Q : Précisément.

R : Puis-je vous demander pourquoi vous m’avez arrêté ?

Q : Le moment n’est pas encore venu de discuter de cela. Nous n’avons pu — jusqu’à présent — établir que votre nom, l’identité sous laquelle vous avez voyagé. Où êtes-vous né, docteur ?

R : À New York, sur la Terre.

Q : Pourriez-vous le prouver ?

R : Vous m’avez pris mes papiers.

Q : Vous voulez dire que vous ne pouvez pas le prouver.

R : Mes papiers en apportent la preuve. Et l’université d’ici se portera garante.

Q : Nous l’avons déjà contactée ; malheureusement, je ne suis pas autorisé à dévoiler le résultat d’autres enquêtes en cours. Tout ce que je puis vous dire, docteur, c’est que vous ne devriez pas attendre davantage d’aide de leur part que vous n’en avez déjà reçu. Nous les avons contactés, et vous vous trouvez ici. Depuis combien de temps avez-vous quitté la Terre ?

R : En temps newtonien ?

Q : Je vais reformuler ma question : Depuis combien de temps prétendez-vous être arrivé à Sainte-Anne ?

R : Environ cinq ans.

Q : En années de Sainte-Croix ?

R : En années de Sainte-Anne.

Q : Ce sont les mêmes pour des raisons pratiques. Dorénavant, dans nos discussions, nous utiliserons les années de Sainte-Croix. Veuillez me décrire vos activités après votre arrivée à Sainte-Anne.

R : Nous avons touché la mer à Roncevaux — c’est-à-dire au large, à cinquante kilomètres de Roncevaux. Nous avons été remorqués jusqu’au port de la manière habituelle, puis je suis passé à la douane.

Q : Continuez.

R : Après la douane, je fus interrogé par la police militaire. Simple formalité. Cela dura une dizaine de minutes, si je me souviens bien. Puis on me donna une carte de visiteur, et je pris une chambre dans un hôtel.

Q : Nommez cet hôtel.

R : Laissez-moi réfléchir… le Splendide.

Q : Poursuivez.

R : Je visitai ensuite l’université, puis le musée qui y est annexé. L’université n’a pas de section d’anthropologie. La section d’Histoire naturelle s’efforce de couvrir cette branche, mais dans l’ensemble fait un piètre travail. Les collections d’anthropologie du musée — dont ils sont si fiers — ne sont qu’un assemblage hétéroclite de renseignements douteux, de supercheries et de produits de l’imagination. Je leur demandai leur concours, naturellement, et je me montrai aussi poli que je pouvais honnêtement l’être. Puis-je vous demander pourquoi cet homme vient de sortir ?