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Il y avait une seule chaise, une ampoule que nous ne pouvions pas éteindre, un miroir mural (qui signifiait, j’en étais sûr, que nous étions épiés de la pièce à côté) et un vieux lit à moitié affaissé avec des draps propres sur un matelas qu’il valait sans doute mieux ne pas regarder.

Il y avait aussi, la chose était surprenante, un verrou de notre côté de la porte. Nous bavardâmes quelque temps, et elle me raconta que le lendemain de mon arrestation, quelqu’un de la trésorerie municipale était venu la voir pour lui dire que le mardi de la semaine suivante — le jour où elle devait me rendre visite — il fallait qu’elle se présente à vingt heures précises au Bureau des Licences. C’est ce qu’elle avait fait, et là, on l’avait fait attendre jusqu’à vingt-trois heures, heure à laquelle un fonctionnaire lui avait dit que personne ne pouvait la recevoir ce soir-là car ils allaient fermer, et qu’il fallait qu’elle revienne dans quinze jours. Elle savait très bien, me dit-elle, à quoi s’en tenir, mais elle n’osait pas ne pas se présenter tous les quinze jours comme ils le lui demandaient. Et ce soir, elle ne s’était pas plus tôt assise sur le banc dans la salle d’attente que le même fonctionnaire qui l’avait toujours renvoyée chez elle à vingt-trois heures apparut et lui suggéra de se présenter à la citadelle, en ajoutant que désormais et sauf avis contraire qui lui serait notifié, elle n’avait plus besoin de se présenter au Bureau des Licences. Elle était repassée chez Mme Duclose pour changer de robe et se mettre un peu de parfum, et elle était venue.

Ça suffit comme ça. Ce fut un plaisir pour moi que d’écrire tout cela, laissant dessiner à mon stylo, au fil des semaines, sa longue trace noire, mais la vue des feuillets précédents dans le dossier de mon nouvel interrogateur m’a quelque peu fait réfléchir. Je suis certain que le gardien s’est endormi dans le couloir, et mon intention est de tout brûler page par page à la flamme de la bougie.

La transcription s’arrête au milieu d’un feuillet, avec une note indiquant le lieu, la date et l’heure à laquelle les originaux ont été confisqués au prisonnier.

Vous m’excuserez d’écrire cette note, et certaines des notes suivantes, je suppose. Un accident absurde est arrivé, que je vous expliquerai quand le moment sera venu. J’ai abattu le tigre-tue et l’ours-goule, ce dernier sur le cadavre du premier la nuit suivante. Le tigre a sauté sur moi au moment où je suis descendu de l’arbre, où j’avais attendu toute la nuit. Je suppose que j’aurais dû être taillé en pièces, mais je n’ai eu rien d’autre que quelques égratignures causées par les ronces à l’endroit où l’animal m’avait renversé.

L’officier posa le registre à la reliure de toile et chercha le cahier d’écolier déchiré qui contenait la note sur la pie. Quand il eut trouvé le cahier, il jeta un coup d’œil aux toutes premières pages, hocha la tête et reprit la lecture du journal.

23 avril. De retour au campement après m’être débarrassé du tigre-tue comme je l’ai indiqué plus haut, je n’ai trouvé personne avec le gosse à l’exception du chat qu’il a apprivoisé. Le gosse l’avait pris sur ses genoux et il était assis — comme toujours, quand il ne préparait pas à manger — le dos au feu. J’étais empli d’excitation par la mort du tigre-tue, naturellement, et lorsque je lui fis le récit de ce qui s’était passé, je soulevai machinalement le chat pour lui montrer à quel endroit mes balles avaient frappé. L’animal se raidit et enfonça ses dents dans ma main. Ça ne faisait pas mal hier, quand j’ai tué l’ours-goule, mais c’est douloureux aujourd’hui. J’ai appliqué un peu de poudre antibiotique sur la plaie, et je l’ai pansée.

24 avril. Ma main me fait souffrir, comme vous le voyez à mon écriture. Sans le gosse, je ne sais pas ce que je deviendrais. C’est lui qui a tout fait depuis le début de l’expédition. Nous avons discuté aujourd’hui pour savoir s’il fallait lever le camp et continuer à remonter le fleuve, et nous avons fini par décider de rester et de partir demain à condition que l’état de ma main n’empire pas. L’endroit est agréable. Il y a un arbre, ce qui porte toujours bonheur, et une longue pente herbeuse qui descend jusqu’à l’eau. Le courant est vif par ici, et l’eau est claire et froide. Il y a de la viande en abondance : nous mangeons le poney-prince, et nous avons accroché un cuissot entier à un autre arbre deux kilomètres en arrière pour ceux qui ont faim. Un peu plus en amont, la rivière va s’enfoncer dans des gorges. On les aperçoit déjà d’ici.

25 avril. Nous avons levé le campement aujourd’hui. C’est le gosse qui a tout fait, comme d’habitude. Il a lu tous mes livres, et il me pose d’innombrables questions — auxquelles je ne sais pas toujours répondre.

26 avril. Le gosse est mort. Je l’ai enterré là où on ne le trouvera jamais, car je m’aperçois, en regardant le visage éteint, que je ne crois pas aux étrangers qui vont fouiner dans les tombes. Voilà comment cela s’est passé. Aujourd’hui vers midi, nous conduisions les mules sur un sentier qui longe le versant sud des gorges. Il devait y avoir environ deux cents mètres de dénivellation, et le passage était étroit. L’eau coulait en torrent dans un lit profond bordé de sable rouge et de pierres brisées. Je lui rappelai qu’il m’avait dit que nous étions encore trop bas pour découvrir la caverne sacrée du Peuple libre, mais il me répondit qu’il pouvait y en avoir d’autres, et il grimpa quand même au milieu des rochers. Je le vis tomber. Il essaya de se raccrocher à une pierre, puis glissa en poussant un hurlement. J’entravai les mules et revins sur mes pas, en espérant le retrouver dans des eaux plus calmes s’il avait pu nager. À quelque distance en aval de l’endroit où il était tombé, un gros arbre enjambait le rocher, avec une mare d’eau à son pied, et il avait lancé une racine par-dessus le torrent pour attraper mon compagnon.

Je voudrais avouer maintenant que j’ai menti. Les dates de cette page et de celle qui précède sont inexactes. Nous sommes aujourd’hui le premier juin. Pendant longtemps, je n’ai rien écrit dans ce journal, et ce soir, j’ai pensé que je pourrais le reprendre et rapporter ce qui s’est passé. Comme vous le voyez, ma main n’est pas guérie. Je ne crois pas qu’elle redeviendra jamais normale, bien qu’elle n’ait aucune marque ou déformation apparente. J’ai simplement du mal à manipuler des objets.

J’ai caché le corps du gosse dans la caverne, dans un creux qui surplombe la rivière. Je crois qu’il aurait approuvé mon choix, et les ours-goules n’iront pas le chercher là-bas. Ils sont capables de déplacer les grosses pierres, mais pas de grimper comme un homme. Il m’a fallu trois jours pour trouver la caverne, avec le corps en travers de l’une des deux mules. J’ai ensuite tué le chat, et je l’ai étendu à ses pieds.

Je m’aperçois que je n’ai pas l’habitude d’écrire ainsi — je ne parle pas de ma main, mais d’écrire mes pensées. J’ai retranscrit les conversations que j’ai eues, bien sûr, et j’ai décrit les lieux sacrés, mais pas mes pensées. Cela exerce une fascination sur moi, et maintenant, je n’ai personne à qui parler. De toute façon, personne ne lira jamais ces lignes.

Nous progressons — les deux mules et moi — beaucoup plus lentement que lorsqu’il était vivant. Nous ne marchons que trois ou quatre heures le matin. Il y a toujours quelque chose qui vaut la peine de s’arrêter dans ces collines : un bel endroit entouré d’arbres et de fougères, ou une caverne à explorer, ou un trou d’eau profond avec des poissons dedans. Je n’ai tué aucun gros animal depuis sa mort. Je me suis nourri de poisson et de quelques petits animaux que j’attrape en tendant des collets fabriqués avec le crin des mules. Plusieurs fois, ces collets ont été visités, mais je ne suis pas en colère. Je crois que je sais qui vient voler.