Выбрать главу

– Croyez-vous qu’il y ait quelqu’un qui mente ?

– Elle est quand même bien quelque part.

– Saviez-vous qu’elle avait laissé un message ?

– Non, quel genre de message ? Comment ça ?

– Elle a accroché un papier sur une espèce d’arbre à messages, avec ce mot : “Il est dégoûtant, qu’est-ce que j’ai fait ?” Vous savez ce qu’elle a voulu dire ?

– Il est dégoûtant, répéta Viggo. De qui parle-t-elle donc ?

– J’espérais qu’il s’agissait de vous.

– De moi ! rétorqua Viggo en s’énervant tout à coup. Je ne lui ai rien fait du tout, pas la moindre chose. Jamais. Ce n’est pas moi. Il est impossible qu’il s’agisse de moi !

– La voiture dans laquelle elle s’est enfuie a été retrouvée dans la rue Gardastraeti. Cela vous dit quelque chose… ?

– Elle ne connaît personne dans cette rue. Avez-vous l’intention de lancer un avis de recherche ?

– J’ai l’impression que ses parents veulent lui laisser le temps de rentrer elle-même au bercail.

– Et si tel n’est pas le cas ?

– Alors, on avisera. (Erlendur hésita.) Je me serais imaginé qu’elle avait pris contact avec vous, dit-il ensuite. Pour vous dire que tout allait bien.

– C’est aussi ce que je pensais, répondit le responsable qualité et marketing. Nous formons un couple, quoi qu’il en soit.

Il marqua une pause.

– Attendez un peu, vous êtes en train de suggérer que tout cela est de ma faute et qu’elle ne m’a pas contacté parce que je lui aurais fait quelque chose ? Alors là, c’est la meilleure ! Vous savez l’effet que ça m’a fait de venir au boulot lundi matin ? Tous mes collègues ont assisté au mariage. Mon chef était au mariage ! Et vous vous imaginez que c’est ma faute ? Merde alors ! Tout le monde croit que c’est ma faute !

– Les femmes, conclut Erlendur en se levant. Pas facile d’en contrôler la qualité.

Erlendur arrivait tout juste à son bureau quand le téléphone retentit. Il reconnut immédiatement la voix, même s’il ne l’avait pas entendue depuis des lustres. Elle était encore claire, forte et décidée en dépit de son grand âge. Erlendur connaissait Marion Briem depuis bientôt trente ans, ce qui n’avait pas toujours été une partie de plaisir.

– Je rentre de ma maison de vacances, annonça la voix, et je n’ai appris la nouvelle qu’en arrivant en ville.

– Tu veux parler de Holberg ? demanda Erlendur.

– Vous avez lu les dépositions le concernant ?

– Je savais que Sigurdur Oli était en train de rechercher d’éventuelles informations dont nous disposerions sur lui dans nos ordinateurs. Mais de quelles dépositions parles-tu ?

– La question est : figurent-elles encore dans les bases de données ? Y a-t-il des délais de prescription en ce qui concerne les plaintes ? Est-ce qu’elles sont détruites ?

– Où est-ce que tu veux en venir ?

– Holberg n’avait rien d’un citoyen modèle, continua Marion Briem.

– Comment ça ?

– On a toutes les raisons de croire que c’était un violeur.

– Toutes les raisons ?

– Il avait été accusé de viol mais n’était jamais passé en jugement. C’était en 1963. Vous feriez bien d’éplucher vos rapports.

– Qui a porté plainte contre lui ?

– Une femme nommée Kolbrun. Elle habitait à…

– Keflavik ?

– Oui, tu possèdes des informations sur elle ?

– Nous avons découvert une photo dans le bureau de Holberg. On aurait dit qu’elle avait été cachée. La photo montrait la tombe d’une petite fille nommée Audur, prise dans un cimetière que nous n’avons pas encore identifié. J’ai dérangé une huile de l’état civil et j’ai trouvé le nom de Kolbrun sur un certificat de décès. C’était la mère de l’enfant dans la tombe. La mère d’Audur. Elle est décédée.

Marion observa une pause.

– Marion ? fit Erlendur.

– Et qu’est-ce que cela t’apprend ? demanda la voix au téléphone.

Erlendur réfléchit.

– Je peux imaginer que, si Holberg avait violé la mère, il était le père de la fillette et que c’était la raison pour laquelle la photo se trouvait dans son bureau. La petite fille est décédée au cours de sa quatrième année, elle était née en 1964.

– Holberg n’a jamais été condamné, répéta Marion Briem. L’affaire a été classée par manque de preuves.

– Est-il possible qu’elle ait inventé cela ?

– Je trouvais cela peu probable à cette époque-là mais il était impossible de prouver quoi que ce soit. Évidemment, ce n’est jamais facile pour une femme de porter plainte pour ce genre de violences. Tu peux t’imaginer ce qu’elle a dû traverser, cette femme, il y a bientôt quarante ans. C’est déjà assez éprouvant pour une femme d’aller porter plainte de nos jours mais, à cette époque-là, c’était cent fois plus difficile. Elle n’a sûrement pas fait ça pour s’amuser. La photo est peut-être une sorte de preuve de paternité. Pourquoi Holberg l’aurait-il conservée dans son bureau, autrement ? Les dates ont l’air de correspondre. Le viol a eu lieu en 1963. Tu affirmes que Kolbrun a mis Audur au monde l’année suivante. Celle-ci meurt quatre ans plus tard. Kolbrun enterre son enfant. Holberg est, d’une manière ou d’une autre, impliqué dans l’histoire. Peut-être prend-il lui-même la photo. Je ne saurais dire dans quel but. Peut-être, d’ailleurs, n’est-ce pas la question.

– Il n’a probablement pas assisté à l’enterrement, mais il a pu aller sur la tombe et la prendre en photo. Est-ce que tu suggères quelque chose dans ce style ?

– Il y a également une seconde possibilité.

– Ah bon ?

– Peut-être qu’elle a pris la photo elle-même et qu’elle la lui a envoyée.

Erlendur réfléchit quelques instants.

– Mais dans quel but ? S’il l’a violée, pourquoi est-ce qu’elle lui envoie la photo ?

– Voilà la question.

– Est-ce que le certificat de décès mentionnait la cause de la mort d’Audur ? demanda Marion Briem. Comment est morte la fillette ? S’agissait-il d’un accident ?

– Le certificat précise qu’elle était atteinte d’une tumeur cérébrale. Tu crois que ça a de l’importance ?

– Donc, il y a eu une autopsie ?

– Sans aucun doute. Le nom du médecin figure sur le certificat.

– Et la mère ?

– Morte subitement à son domicile.

– Un suicide ?

– Oui.

– Dis donc, tu ne passes plus du tout me voir, dit Marion Briem au bout d’un bref silence.

– Le boulot, répondit Erlendur. Ce foutu boulot.

8

Il pleuvait sur la route de Keflavik ce matin-là et l’eau s’accumulait dans les profondes ornières creusées dans l’asphalte par le passage répété des roues, ornières que les voitures essayaient d’éviter. Les précipitations étaient d’une telle abondance qu’on voyait à peine à travers les vitres des voitures, occultées par les projections. Les véhicules, quant à eux, étaient malmenés par cette tempête déchaînée soufflant du sud-ouest. Les essuie-glaces parvenaient difficilement à chasser l’eau du pare-brise et Erlendur se cramponnait tellement au volant que les jointures de ses doigts blanchissaient. Il distinguait la lueur des feux arrière de la voiture qui le précédait et faisait de son mieux pour la suivre.

Il effectuait le voyage seul. Il pensait que cela valait mieux après la discussion qu’il avait eue avec la sœur de Kolbrun plus tôt dans la matinée. Le certificat de décès la mentionnait comme étant la personne la plus proche. La sœur ne se montrait pas franchement coopérative. Elle avait refusé de le recevoir. Un refus catégorique. Les journaux avaient publié des photos du défunt et dévoilé son identité. Erlendur lui avait demandé si elle en avait eu connaissance et s’apprêtait à lui demander si elle se souvenait du défunt quand elle lui avait raccroché au nez au beau milieu d’une phrase. Il avait décidé de voir quelle serait sa réaction s’il se présentait sur le seuil de son domicile. L’idée de la convoquer au poste pour interrogatoire en ayant recours à la force ne le séduisait pas.