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Erlendur passa devant Hrolfur qui les regardait, lui et Sigurdur Oli, tout prêt à répondre quelque chose mais il ne savait pas quoi au juste.

– J’ai eu une idée, dit Erlendur. Il y a longtemps qu’on aurait dû le faire.

– Quoi ? demanda Sigurdur Oli.

– Appelle donc les gens du Service des phares et des affaires portuaires et demande-leur s’ils peuvent te confirmer le fait que Holberg était à Husavik ou dans les environs vers 1960.

– D’accord. Tiens, parle-lui.

– Qui est cette femme ? demanda-t-il en attrapant le téléphone. Je ne connais aucune femme.

– On l’a redirigée vers ton portable. Elle a appelé le poste de police pour te parler. Ils lui ont dit que tu étais occupé mais elle a insisté.

A ce moment-là, le marteau piqueur fixé au tracteur se mit en route. Un bruit assourdissant se fit entendre dans l’appartement en sous-sol et ils virent une épaisse poussière sortir par la porte. Tout le monde était sorti et se tenait à distance en attendant, à part le conducteur de l’engin. Ils regardèrent leurs montres et semblèrent se dire entre eux que l’heure était bien avancée. Ils savaient qu’ils ne pourraient pas continuer bien longtemps à faire un tel boucan dans ce quartier résidentiel tard dans la soirée. Il allait bientôt falloir qu’ils arrêtent et qu’ils attendent le lendemain matin, à moins qu’ils ne prennent d’autres mesures.

Erlendur se précipita dans la voiture avec le téléphone à la main et referma la porte pour s’isoler du bruit. Il reconnut immédiatement la voix.

– Il est ici, annonça Elin dès qu’elle entendit Erlendur au bout du fil. Elle semblait effectivement en état de choc.

– Elin, calmez-vous, dit Erlendur. De qui est-ce que vous me parlez ?

– Il est là sous la pluie devant ma maison et il regarde à l’intérieur.

La voix se fit chuchotement.

– Qui donc, Elin ? Est-ce que vous êtes chez vous ? A Keflavik ?

– Je ne sais pas quand il est arrivé et je ne sais pas depuis combien de temps il est là. Je viens juste de remarquer sa présence. Ils ne voulaient pas me mettre en rapport avec vous.

– Je n’arrive pas très bien à vous suivre. De qui êtes-vous en train de parler, Elin ?

– Enfin, de l’homme. J’ai bien l’impression que c’est cette saloperie.

– Qui ?

– Mais l’homme qui s’en est pris à Kolbrun.

– Kolbrun ? De quoi parlez-vous ?

– Je sais. Ce n’est pas possible mais il est pourtant là, devant ma maison.

– Vous êtes certaine de ne pas vous tromper ?

– Ne me dites pas que je me trompe ! Ne venez pas me dire ça ! Je sais parfaitement ce que je dis.

– Comment ça, l’homme qui s’en est pris à Kolbrun ? Quel homme ? Que voulez-vous dire ? De qui parlez-vous ?

– Enfin, de HOLBERG ! (Au lieu d’élever la voix, Elin chuchotait, énervée, dans le combiné.) Il est là, devant chez moi.

Erlendur restait silencieux.

– Vous êtes là ? chuchota Elin. Qu’est-ce que vous allez faire ?

– Elin, dit Erlendur en appuyant lourdement sur chacun de ses mots. Il est impossible que ce soit Holberg. Holberg est mort. Ça doit être quelqu’un d’autre.

– Ne me parlez pas comme si j’étais une enfant. Il est là, sous la pluie, et il me regarde. Le monstre.

28

La communication fut coupée et Erlendur démarra la voiture. Sigurdur Oli et Elinborg le virent reculer à travers la foule et disparaître au bout de la rue. Ils se regardèrent et haussèrent les épaules comme s’il y avait bien longtemps qu’ils avaient renoncé à comprendre le personnage.

Il avait à peine quitté la rue qu’il contactait la police de Keflavik. Il l’envoya directement chez Elin afin qu’elle s’occupe d’un homme dans les parages, vêtu d’une doudoune bleue, d’un jeans et de baskets blanches aux pieds. Elin lui avait donné une description de l’homme. Il précisa au policier en service de n’utiliser ni gyrophare ni sirène mais de s’y prendre aussi discrètement que possible pour ne pas effrayer l’individu.

– Qu’est-ce qui lui prend, à cette bonne femme, se dit en lui-même Erlendur en éteignant le téléphone.

Il roula aussi vite qu’il put pour sortir de Reykjavik, traversa Hafnarfjördur et se retrouva sur la route de Keflavik. La circulation était dense et lente, la visibilité mauvaise, mais il slaloma entre les voitures et mordit même sur un terre-plein pour doubler les autres. Il ne prêta aucune attention aux feux tricolores et arriva à Keflavik en une demi-heure. Le fait que les voitures banalisées de la police criminelle aient été récemment équipées de gyrophares bleus à placer sur le toit en cas d’urgence l’avait aidé. La mesure l’avait fait rire quand elle avait été mise en place. Il se rappelait avoir vu des appareils semblables dans des séries policières à la télé et trouvait stupide d’utiliser un tel gadget à Reykjavik.

Deux voitures de police étaient garées devant la maison d’Elin quand Erlendur arriva. Elin l’attendait à l’intérieur en compagnie de trois autres policiers. Elle les avait informés que l’homme avait disparu dans l’obscurité juste avant l’arrivée des voitures de police. Elle leur avait indiqué l’endroit où l’homme s’était tenu et la direction dans laquelle il s’était enfui mais ils n’étaient pas parvenus à le retrouver et n’avaient pas remarqué d’allées et venues. Les policiers se trouvaient désemparés face à Elin qui refusait de leur dire qui était l’homme en question et pour quelle raison il était dangereux ; il ne semblait avoir eu d’autre tort que celui de se promener sous la pluie. Quand ils se tournèrent vers Erlendur avec leurs questions, il leur répondit que l’homme avait à voir avec une enquête en cours à Reykjavik. Il leur demanda de l’informer au cas où ils trouveraient un homme correspondant à la description d’Elin.

Elin était terriblement choquée et Erlendur pensa qu’il était plus raisonnable de la débarrasser le plus vite possible de la présence des policiers dans la maison. Il y parvint sans grande difficulté. Ils prétendirent qu’ils avaient mieux à faire que d’écouter les radotages de bonnes femmes, tout en prenant bien garde qu’Elin n’entende pas.

– Je pourrais jurer que c’était lui qui était là juste devant, dit Elin à Erlendur quand ils se retrouvèrent seuls tous les deux. Je ne sais absolument pas comment c’est possible mais c’était bien lui.

Erlendur la regardait, écoutait ses paroles et se rendait compte qu’elle était tout à fait sérieuse. Il savait qu’elle avait été soumise à une forte pression au cours des derniers jours.

– Elin, ce n’est pas possible. Holberg est mort. J’ai vu son cadavre à la morgue. Il réfléchit et ajouta : j’ai vu son cœur.

Elin le regarda.

– Est-ce qu’il était noir ? demanda-t-elle et les mots du médecin légiste revinrent à la mémoire d’Erlendur quand il avait affirmé ne pas pouvoir dire si le cœur appartenait à un homme bon ou mauvais.

– Le médecin m’a dit qu’il aurait pu arriver à cent ans, répondit Erlendur.

– Vous me croyez folle, n’est-ce pas ? observa Elin. Vous croyez que je suis en train de m’imaginer tout ça. Que c’est une façon de me rendre intéressante à cause de…

– Holberg est mort, interrompit Erlendur. Que faut-il que je croie ?

– Alors c’était quelqu’un qui lui ressemblait comme un frère, reprit Elin.

– Décrivez-le-moi plus précisément, s’il vous plaît.

Elin se leva, alla jusqu’à la fenêtre du salon et indiqua un endroit à travers la pluie.

– C’est là qu’il se tenait, sur l’allée qui mène à la rue entre les maisons. Il était debout, immobile, et regardait vers chez moi. Je ne sais pas s’il m’a vue. J’ai essayé de me cacher. J’étais en train de lire, je me suis levée pour allumer la lumière quand il a fait trop noir dans le salon, alors j’ai jeté un œil à la fenêtre. Il était tête nue et on aurait dit qu’il se fichait complètement que la pluie battante lui tombe dessus. Même s’il était bien là, d’une certaine manière, il avait quand même l’air d’être absent.