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Elin s’accorda un instant de réflexion.

– Il avait les cheveux bruns et j’ai l’impression qu’il devait avoir la quarantaine. Il était de taille moyenne.

– Elin, dit Erlendur. Il fait nuit noire dehors. Il tombe une pluie battante. Vous voyez à peine à travers la vitre. L’allée n’est pas éclairée. Vous portez des lunettes. Êtes-vous en train de me dire que…

– La nuit commençait à tomber et je ne me suis pas précipitée immédiatement sur le téléphone. J’ai bien regardé l’homme, d’abord depuis cette fenêtre, ensuite depuis celle de la cuisine. J’ai mis un certain temps à me rendre compte qu’il s’agissait de Holberg ou de quelqu’un qui lui ressemblait. Certes, l’allée n’est pas éclairée mais la circulation dans cette rue est considérable, à chaque fois qu’une voiture passait, elle éclairait l’homme de façon à ce que je distingue clairement son visage.

– Comment pouvez-vous en être aussi sûre ?

– Il ressemblait à Holberg jeune, répondit Elin. Rien à voir avec le vieillard dont la photo est parue dans la presse.

– Vous avez rencontré Holberg quand il était jeune ?

– Oui, je l’ai rencontré. Un jour, Kolbrun a tout à coup été convoquée à la police criminelle. Ils prétendaient qu’ils avaient besoin de précisions concernant un point de détail. C’était un beau mensonge. Une certaine Marion Briem était chargée de l’enquête. D’ailleurs, qu’est-ce que c’est que ce nom ? Marion Briem ! On a demandé à Kolbrun de se rendre à Reykjavik. Elle m’a demandé de l’accompagner, ce que j’ai fait. Elle était convoquée à une heure précise, je crois que c’était dans la matinée. Nous sommes entrées dans le bâtiment, cette Marion Briem nous a accueillies et nous a conduites dans une pièce. Au bout d’un moment, la porte s’est ouverte tout à coup et Holberg est entré. Marion se tenait derrière lui sur le pas de la porte.

Elin marqua une pause.

– Et que s’est-il passé ?

– Ma sœur a fait une crise de nerfs. Holberg a souri, fait des trucs avec sa langue et Kolbrun s’est agrippée à moi comme si elle était en train de se noyer. Elle n’arrivait pas à respirer. Holberg a éclaté de rire et elle a eu des convulsions. Ses yeux se sont révulsés, sa bouche s’est mise à écumer et elle est tombée à terre. Marion a fait ressortir Holberg de la pièce et c’est là que j’ai vu le monstre pour la première et la dernière fois, je ne suis pas prête d’oublier sa sale gueule.

– Et c’est ce visage que vous avez revu ce soir derrière votre fenêtre ?

Elin hocha la tête.

– Je reconnais que j’ai mal réagi et, évidemment, ce n’était pas Holberg lui-même, cependant cet homme lui ressemblait parfaitement.

Erlendur se demanda s’il devait raconter à Elin ce qu’il soupçonnait depuis quelques jours. Il se demandait ce qu’il pouvait lui dire et si ce qu’il lui raconterait correspondrait à quelque chose dans la réalité. Ils restèrent assis en silence pendant qu’il réfléchissait. C’était le soir et Erlendur pensa à Eva Lind. Il sentit à nouveau sa douleur dans la poitrine et se mit à se gratter comme s’il pouvait la faire disparaître ainsi.

– Quelque chose ne va pas ? demanda Elin

– Nous sommes en train de travailler sur une piste depuis quelques jours mais je ne sais pas si elle va nous mener quelque part, dit Erlendur. Cependant, l’événement qui vient de se produire corrobore cette thèse. Si Holberg a fait d’autres victimes, s’il a violé une autre femme, alors il n’est pas exclu que cette femme ait eu un enfant de lui, tout comme Kolbrun. J’ai réfléchi à cette possibilité à cause du message que nous avons retrouvé sur le cadavre. Il n’est pas impensable qu’elle ait eu un fils. Celui-ci pourrait aujourd’hui avoir la quarantaine si tant est que le viol ait eu lieu avant 1964. Et il est donc possible que ce soit lui qui était là ce soir, devant votre domicile.

Elin regarda Erlendur, abasourdie.

– Le fils de Holberg ? Est-ce possible ?

– Vous me dites que la ressemblance était parfaite.

– Oui, mais…

– Je ne fais que considérer cette éventualité. Quelque part dans toute cette affaire, il y a un chaînon manquant et ce pourrait bien être cet homme.

– Mais enfin, pourquoi ? Et qu’est-ce qu’il vient faire ici ?

– Cela ne vous semble pas évident ?

– Qu’y a-t-il d’évident là-dedans ?

– Vous êtes la tante de sa sœur, expliqua Erlendur et il vit une expression d’étonnement se dessiner sur le visage d’Elin au fur et à mesure que son esprit saisissait où il voulait en venir.

– Audur était sa sœur, soupira-t-elle. Mais comment a-t-il eu connaissance de mon existence ? Comment sait-il où j’habite ? Comment peut-il me relier à Holberg ? Les journaux n’ont absolument pas parlé de son passé, rien dit des viols qu’il a commis ni mentionné qu’il avait une fille. Personne ne connaissait l’existence d’Audur. Comment est-ce que cet homme sait qui je suis ?

– Il répondra peut-être à ces questions quand nous le retrouverons.

– Pensez-vous que ce soit lui, l’assassin de Holberg ?

– Maintenant, voilà que vous me demandez s’il a tué son propre père, observa Erlendur.

Elin réfléchit.

– Seigneur Dieu, dit-elle ensuite.

– Je n’en sais rien, poursuivit Erlendur. Si jamais vous le voyez à nouveau ici devant la maison, alors, téléphonez-moi tout de suite.

Elin s’était levée, elle alla à la fenêtre donnant sur l’allée et jeta un regard à l’extérieur comme si elle s’attendait à y revoir l’homme.

– Je sais que j’ai été un peu hystérique quand je vous ai appelé pour vous parler de Holberg, parce que j’ai cru, un moment, qu’il pouvait s’agir de lui. Ça m’a causé un tel choc de le voir. Je n’ai ressenti aucune peur. C’était plutôt de la colère mais il y avait quelque chose dans l’attitude de cet homme, la façon dont il se tenait, l’inclinaison de sa tête. Il se dégageait de lui une sorte de mélancolie : on pouvait lire une grande tristesse sur son visage. Je me suis fait la réflexion qu’il était impossible que cet homme se sente bien. Est-ce qu’il avait des contacts avec son père ? Vous le savez ?

– En soi, je ne suis même pas sûr que cet individu-là existe réellement, dit Erlendur. Ce que vous avez vu renforce une théorie précise. Nous ne disposons d’aucun indice sur cet homme. On n’a pas trouvé de photo de lui en communiant chez Holberg si c’est le sens de votre question. En revanche, Holberg a reçu des coups de téléphone chez lui peu avant d’être assassiné et ces coups de fil l’ont secoué. Nous n’en savons pas plus.

Erlendur avait pris son portable et il demanda à Elin de bien vouloir l’excuser un instant.

– Quoi de neuf ? demanda Erlendur dès que Sigurdur Oli eut décroché.

– Dans quel pétrin tu nous as collés ? cria Sigurdur Oli sans rien cacher de sa colère. Ils sont allés jusqu’au tuyau à merde et ça grouillait de bestioles dégueulasses, il y avait des millions de petites bestioles dégoûtantes sous cette putain de dalle. C’est répugnant. Où diable est-ce que tu peux bien être ?

– A Keflavik. Des signes de Grétar ?

– Non, pas de putains de signes de ce putain de Grétar, répondit Sigurdur Oli en éteignant le téléphone.

– Une dernière chose, Erlendur, reprit Elin, qui vient juste de me venir à l’esprit, quand vous parlez de parenté avec Audur. Je vois maintenant que je ne me suis pas trompée. Je ne l’ai pas compris sur le moment mais il y avait aussi une autre expression sur le visage de l’homme, une expression que je pensais bien ne plus jamais revoir. C’était une expression sortie du passé que je n’ai pourtant jamais oubliée.