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– Non mais, qu’est-ce que c’est que ces blagues à tout bout de champ ? demanda Erlendur en haussant le ton. Y’aurait pas moyen de vous entendre dire autre chose que des plaisanteries ?

– Peut-être que Grétar ne se trouve pas dans les fondations, dit Elinborg.

– Comment ça ? demanda Erlendur.

– Tu veux dire qu’il est peut-être encore en vie ? continua Sigurdur Oli.

– Il savait tout à propos de Holberg, enfin, j’imagine, dit Elinborg. Il savait qu’il avait une fille, sinon il n’aurait pas pris sa tombe en photo. Il savait certainement aussi comment elle avait été conçue. Si Holberg a eu un autre enfant, un fils, il était sûrement également au courant.

Erlendur et Sigurdur Oli la regardait avec une attention de plus en plus soutenue.

– Peut-être que Grétar est encore parmi nous, continua-t-elle, et qu’il est en contact avec le fils. Cela expliquerait comment le fils connaît l’existence d’Elin et d’Audur.

– Mais il y a vingt-cinq ans que Grétar a disparu et on n’a aucune nouvelle de lui depuis, objecta Sigurdur Oli.

– Le fait qu’il ait disparu ne signifie pas obligatoirement qu’il soit mort, répondit Elinborg.

– Et donc… commença Erlendur, aussitôt interrompu par Elinborg.

– Je pense qu’il ne faut pas exclure Grétar. Pourquoi ne pas considérer l’éventualité qu’il soit encore de ce monde ? On n’a jamais retrouvé son cadavre. Il se peut qu’il ait quitté le pays. Il lui a peut-être même suffi de s’exiler à la campagne. Personne ne s’occupait de lui. Personne ne le réclamait.

– Je ne me rappelle aucun exemple de ce genre, dit Erlendur.

– De quel genre ? demanda Sigurdur Oli.

– D’un homme qui refasse surface après toute une vie. Quand quelqu’un disparaît en Islande, c’est pour toujours. Il n’y a jamais personne qui revienne des dizaines d’années plus tard.

Jamais.

31

Erlendur les laissa à Nordurmyri et se rendit à Baronstigur pour voir le médecin légiste. Celui-ci terminait l’autopsie de Holberg au moment de l’arrivée d’Erlendur, il recouvrit le cadavre d’un drap. Aucune trace des restes d’Audur.

– Vous avez retrouvé le cerveau de la petite fille ? demanda le médecin sans ambages quand Erlendur entra dans la pièce.

– Non, répondit Erlendur.

– J’en ai discuté avec une vieille copine à moi, professeur à l’Université d’Islande et je lui ai expliqué la situation, j’espère que je n’ai pas fait une bêtise, en tout cas, elle n’a pas été du tout étonnée de notre petite découverte. Est-ce que vous avez lu cette nouvelle de Halldor Laxness ?

– Du Nabuchodonosor ? Elle m’est revenue en mémoire au cours des derniers jours, répondit Erlendur.

– Lilja, c’est bien le titre, n’est-ce pas ? Il y a longtemps que je l’ai lue, mais elle raconte l’histoire d’étudiants en médecine qui volaient des cadavres et remplissaient les cercueils avec des pierres. Voilà, pour faire simple, ce qui s’est produit. Autrefois, il n’y avait aucun suivi dans ce domaine, exactement comme il est décrit dans l’histoire. Les gens qui mouraient à l’hôpital étaient autopsiés, sauf en cas d’interdiction, et l’autopsie servait évidemment à l’enseignement. Il arrivait que des prélèvements soient effectués, il pouvait s’agir de n’importe quoi, cela allait d’organes entiers à des prélèvements tissulaires. Ensuite, on remballait le tout et le défunt était enterré honorablement. Aujourd’hui, les choses se passent quelque peu différemment. On ne pratique plus d’autopsie à moins d’avoir obtenu l’accord des proches et l’on ne prélève plus d’organes à des fins de recherche ou d’enseignement sauf quand certaines conditions sont réunies. Je ne crois pas qu’on vole quoi que ce soit.

– Vous ne croyez pas ?

Le médecin haussa les épaules.

– Nous ne parlons pas des greffes d’organes, n’est-ce pas ? dit Erlendur.

– Ça n’a rien à voir. Les gens sont disposés à venir en aide aux autres quand c’est une question de vie ou de mort.

– Et où se trouve la banque d’organes ?

– Ce bâtiment-ci abrite des milliers de prélèvements, dit le médecin. Ici, à Baronstigur. La plus importante s’appelle le fonds Dungal, c’est la plus grande banque de prélèvements d’Islande.

– Vous pouvez me la montrer ? demanda Erlendur. Vous avez un relevé indiquant la provenance de chacun des prélèvements ?

– Tout cela est consciencieusement répertorié. Je me suis permis de consulter le relevé à la recherche de l’organe qui nous intéresse mais je ne l’ai pas trouvé.

– Alors, où est-ce qu’il est ?

– Vous devriez aller voir ce professeur et écouter ce qu’elle a à vous dire. Je crois que certains relevés sont conservés à l’université.

– Pourquoi vous ne me l’avez pas dit plus tôt ? demanda Erlendur. Quand vous avez découvert qu’on avait enlevé le cerveau. Vous le saviez, non ?

– Allez voir ce professeur et revenez me voir ensuite. Je vous en ai probablement déjà trop dit.

– Est-ce qu’il existe des relevés pour la banque d’organes de l’université ?

– Je n’en sais pas plus, dit le médecin. Sur ce, il lui communiqua le nom du professeur et le pria de le laisser tranquille.

– Donc, vous connaissez la Cité des Jarres, demanda Erlendur.

– C’est le surnom qu’ils donnaient à l’une des salles de ce bâtiment, répondit le médecin. Elle a été fermée. Ne me demandez pas ce qu’il est advenu des bocaux car je n’en ai pas la moindre idée.

– Ça vous met mal à l’aise d’aborder le sujet ?

– Je vous prie d’arrêter ça.

– Quoi donc ?

– Arrêtez.

Le professeur, directrice de la faculté de médecine de l’Université d’Islande, s’appelait Hanna et regardait Erlendur par-dessus son bureau comme une tumeur maligne qu’il lui fallait extraire au plus vite. Un peu plus jeune que lui, elle était extrêmement directe, s’exprimait à toute vitesse et répondait du tac au tac, elle donnait l’impression de ne pas supporter les discussions stériles ni les palabres inutiles. Elle lui demanda d’une manière presque grossière d’en venir au fait alors qu’il avait entamé un long discours expliquant les raisons de sa présence dans son bureau. Erlendur sourit en son for intérieur. Elle lui plut immédiatement et il était convaincu qu’ils allaient se chamailler comme chien et chat avant la fin de leur entretien. Elle portait un tailleur de couleur sombre, c’était une femme enveloppée, sans la moindre trace de maquillage, des cheveux blonds coupés court, des mains travailleuses, un air à la fois sérieux et malicieux. Erlendur aurait bien voulu la voir sourire mais son souhait ne fut pas exaucé.

Il l’avait dérangée au beau milieu d’une heure de cours.

Il avait frappé à la porte de la salle de classe comme un imbécile pour la faire demander. Elle était venue et l’avait prié de bien vouloir attendre la fin du cours. Erlendur fit le planton dans le couloir comme un cancre pendant un quart d’heure jusqu’à ce que la porte s’ouvre violemment. Hanna se précipita dans le couloir, doubla Erlendur et lui ordonna de la suivre, ce qui n’alla pas sans difficulté. On aurait dit qu’elle faisait deux pas à chaque fois qu’il en faisait un.

– Je ne comprends pas ce que me veut la police criminelle, annonça-t-elle chemin faisant en tournant la tête, comme pour s’assurer qu’Erlendur était bien derrière elle.

– Vous verrez bien, répondit Erlendur, à bout de souffle.

– Eh bien, j’espère, rétorqua Hanna en l’invitant à entrer dans son bureau.

Pendant qu’Erlendur lui exposait le motif de sa visite, elle demeura assise et réfléchit un bon moment. Erlendur parvint à la calmer quelque peu quand il lui raconta l’histoire d’Audur, de sa mère, de l’autopsie, du diagnostic et qu’il lui dit que le cerveau avait été enlevé.