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– Vous la connaissez ? demanda Erlendur, tout étonné.

– Vous savez que, si elle n’avait pas été autopsiée et son cerveau prélevé, vous n’auriez probablement jamais été en mesure de découvrir la cause de son décès. Vous le savez. Il y a trop longtemps qu’elle est dans la terre. Il aurait été impossible d’examiner le cerveau pour en tirer quoi que ce soit de concluant après plus de trente ans sous terre. Ainsi, la chose qui a provoqué en vous un tel dégoût est celle qui vient en réalité à votre secours. J’espère bien que vous en avez conscience.

Le médecin s’accorda un moment de réflexion.

– Avez-vous entendu parler de Louis XVII ? Le fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Emprisonné pendant la Révolution française, exécuté à l’âge de dix ans.

– De qui ça ?

– De Louis XVII.

– Louis ?

– Ils en ont parlé au journal télévisé, il y a environ un an ou peut-être un peu plus, les chercheurs français ont découvert qu’il était mort et ne s’était pas échappé de prison comme certains le prétendaient. Savez-vous comment ils ont découvert cela ?

– Je ne sais absolument pas de quoi vous me parlez, dit Erlendur.

– Son cœur a été enlevé à cette époque et conservé dans du formol. Ils ont pu pratiquer une analyse d’ADN et d’autres examens qui ont montré que certaines personnes prétendant descendre de la famille royale française établissaient cette filiation sur un mensonge. Ils n’étaient en rien parents avec le prince. Savez-vous à quelle date ce Louis est mort, alors qu’il était encore enfant ?

– Non.

– Il y a plus de deux cents ans. En l’an 1795. Le formol est un liquide aux propriétés surprenantes.

Erlendur médita les paroles du médecin.

– Que savez-vous sur Audur ? demanda-t-il.

– Diverses choses.

– Comment l’échantillon a-t-il atterri entre vos mains ?

– Par le biais d’une tierce personne, répondit le médecin. Je pense que je n’ai pas envie de m’étendre là-dessus.

– Par la Cité des Jarres ?

– Oui.

– C’est vous qui avez récupéré la Cité des Jarres ?

– Oui, une partie de ce qui la constituait. Il est inutile de me faire subir un interrogatoire comme si j’étais un criminel.

Erlendur réfléchit aux paroles du médecin.

– Vous avez découvert la cause du décès ?

Le médecin regarda Erlendur et but à nouveau une gorgée de xérès.

– En réalité, oui, reprit-il. Je me suis toujours plus intéressé à la recherche qu’aux soins médicaux. Avec ma passion de collectionneur, j’ai pu conjuguer les deux, bien que cela reste évidemment à petite échelle.

– Le rapport du médecin légiste de Keflavik ne mentionne qu’une tumeur au cerveau mais ne donne aucune précision.

– J’ai vu ce rapport. Il est très imparfait, ce n’était rien de plus qu’un rapport d’urgence. Comme je vous le dis, j’ai examiné cela d’un peu plus près, et je crois avoir obtenu des réponses à certaines de vos questions.

Erlendur se pencha en avant sur son fauteuil.

– Il s’agit d’une maladie héréditaire. Elle est présente dans quelques familles islandaises. Le cas qui nous intéresse était terriblement complexe et malgré des examens poussés, je n’ai pas eu de certitude pendant assez longtemps. Pour finir, le plus probable m’a semblé être que la tumeur soit liée à une maladie héréditaire, une neurofibromatose. Je suppose qu’on ne vous a pas mentionné ce terme jusque-là. Les symptômes de la maladie ne sont pas forcément évidents. Dans certains cas, les gens peuvent probablement mourir sans même que la maladie se soit déclarée. Ce sont les porteurs asymptomatiques. Cependant, il est plus fréquent que les symptômes se manifestent tôt, principalement par des taches disséminées sur tout le corps et des tumeurs cutanées.

Le médecin avala à nouveau une gorgée d’alcool.

– Les docteurs de Keflavik n’ont rien décrit de tel dans leur rapport et je ne suis d’ailleurs pas certain qu’ils aient su ce qu’ils devaient rechercher.

– Ils ont parlé aux proches de taches cutanées.

– Ah bon ? Les diagnostics des maladies sont parfois aléatoires.

– Cette maladie se transmet du père à la fille ?

– Il se peut que ce soit le cas. Mais sa transmission héréditaire n’est pas limitée par ce genre de chose. Les deux sexes peuvent la porter et la déclarer. On affirme que l’une de ses formes s’est manifestée chez celui qu’on appelait Elephant Man. Avez-vous vu ce film ?

– Non, répondit Erlendur.

– Elle entraîne parfois une croissance excessive des os qui cause une déformation comme dans le cas d’Elephant Man. D’autres affirment, en réalité, que la maladie n’a rien à voir avec Elephant Man. Mais c’est une autre histoire.

– Pourquoi est-ce que vous vous êtes mis à sa recherche ? demanda Erlendur, interrompant le médecin.

– Les maladies du cerveau sont ma spécialité, répondit-il. Cette fillette est l’un de mes cas les plus intéressants. J’ai lu tous les rapports à son sujet. Ils n’étaient pas très précis. Le médecin qui la suivait était un mauvais médecin de famille et, à ce que je sais, il buvait à cette époque-là. Je me suis procuré des renseignements sur la question mais, quoi qu’il en soit, il a noté quelque part qu’il s’agissait d’une tuberculose méningée et c’est ainsi qu’on la décrivait parfois quand la maladie se manifestait dans le passé. C’est sur cela que je me suis basé. Le rapport du légiste de Keflavik n’était pas non plus très précis comme nous l’avons déjà dit. Ils ont trouvé la tumeur et se sont arrêtés là.

Le médecin se leva et alla jusqu’à une grande bibliothèque du salon. Il en sortit une revue qu’il tendit à Erlendur.

– Je ne suis pas sûr que vous saisissiez tout ce qui se trouve là-dedans, mais j’ai publié un petit article scientifique sur mes recherches dans cette revue américaine tout à fait reconnue.

– Avez-vous publié un article scientifique sur le cas d’Audur ? demanda Erlendur.

– Audur nous a beaucoup aidés à comprendre la maladie. Son importance a été capitale pour moi comme pour la médecine. J’espère que cela ne vous cause pas de déception.

– Le père de la fillette peut être porteur du gène, dit Erlendur qui essayait encore de comprendre les implications de ce que le médecin lui avait dit. Il transmet le gène à sa fille. S’il avait eu un fils, celui-ci n’aurait pas eu la maladie, si je comprends bien.

– Il ne l’aurait pas forcément déclarée, répondit le médecin, mais il aurait pu en être porteur comme son père.

– C’est-à-dire ?

– S’il avait un enfant, celui-ci pourrait l’avoir.

Erlendur réfléchit aux paroles du médecin.

– Du reste, vous devriez aller en parler au Centre d’étude du génome, conseilla le médecin. Ce sont eux qui ont les réponses à vos questions.

– Comment ? fit Erlendur.

– Allez voir les gens au Centre d’étude du génome. C’est notre nouvelle Cité des Jarres. Ils ont les réponses. Qu’y a-t-il ? Qu’est-ce qui vous fait réagir ainsi ? Vous connaissez quelqu’un là-bas ?

– Non, répondit Erlendur, mais ça ne va pas tarder.

– Vous souhaitez voir Audur ? demanda le médecin.

Erlendur ne comprit pas immédiatement où le médecin voulait en venir.

– Vous voulez dire… ?

– Je possède un petit laboratoire juste en bas. Je vous invite à y jeter un coup d’œil.

Erlendur hésita.

Ils se levèrent et Erlendur le suivit par un escalier étroit. Le médecin alluma et un petit laboratoire blanc immaculé apparut, équipé de microscopes, d’ordinateurs, de tubes à essais et d’appareils dont Erlendur ignorait totalement l’usage.

Il lui revint en mémoire une observation sur laquelle il était tombé dans un livre à propos des collectionneurs. Les collectionneurs se créent leur monde. Ils créent un petit univers autour d’eux, choisissent des signes précis à l’intérieur de la réalité et en font les habitants principaux de l’univers qu’ils créent. Holberg aussi était un collectionneur. Mais sa manie concernait la pornographie. C’était à partir de celle-ci qu’il créait son petit univers privé, comme le médecin le faisait à partir des organes.