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Elle se tut un instant et regarda sa montre-bracelet. Elle se leva, alla jusqu’à son bureau et contacta sa secrétaire. Elle repoussa sa réunion de dix minutes et revint s’asseoir à côté d’Erlendur.

– Le process utilisé jusqu’à maintenant a été le suivant, expliqua-t-elle.

– Le process ? demanda Erlendur.

Karitas le regarda, étonnée. Le téléphone se mit à sonner dans la poche d’Erlendur, il s’excusa et décrocha. Sigurdur Oli était en ligne.

– La police scientifique est en train de fouiller l’appartement d’Einar à Storgerdi, annonça-t-il. Je les ai appelés et ils n’ont rien trouvé à part ceci : Einar s’est procuré un port d’arme, il y a environ deux ans.

– Un port d’arme ? reprit Erlendur.

– Il est enregistré chez nous. Mais ce n’est pas tout. Il possède un fusil de chasse et, sous le lit dans sa chambre, nous avons retrouvé le canon scié.

– Le canon ?

– Il a scié le canon.

– Tu veux dire que… ?

– Ils font ça, parfois. Ça leur facilite la tâche pour se suicider.

– Tu crois qu’il pourrait être dangereux ?

– Quand nous le trouverons, dit Sigurdur Oli, il faudra y aller doucement. Il est impossible de savoir ce qu’il a l’intention de faire, armé d’un fusil.

– Il y a peu de chances qu’il s’en serve pour tuer quelqu’un, observa Erlendur qui s’était levé et tournait maintenant le dos à Karitas afin d’être plus tranquille.

– Et pourquoi pas ?

– Si tel était le cas, il s’en serait déjà servi, dit Erlendur à voix basse. Sur Holberg. Tu ne crois pas ?

– Je n’en sais rien.

– A plus tard, conclut Erlendur en éteignant le téléphone. Il présenta à nouveau ses excuses avant de se rasseoir.

– Le protocole utilisé jusqu’à présent est le suivant, reprit Karitas comme si de rien n’était. Nous sollicitons une autorisation auprès de ces organismes pour entreprendre un projet de recherche, par exemple, dans le cas d’Einar, il s’agissait d’un projet sur le mode de transmission génétique d’une maladie précise. On nous remet une liste codée des noms de ceux qui sont atteints de la maladie ou en sont potentiellement porteurs, puis nous comparons cette liste avec le fichier généalogique également encodé. Le résultat obtenu est un arbre généalogique codé.

– Comme un arbre à messages, observa Erlendur.

– Pardon ?

– Rien, poursuivez.

– La commission informatique décode la liste des noms de ceux que nous voulons prendre comme sujets de recherche, ce qu’on appelle le groupe témoin, constitué de malades et de membres de leur famille, ensuite elle constitue une liste des participants sous la forme de numéros de sécurité sociale. Vous comprenez ?

– Et c’est donc ainsi qu’Einar a obtenu les noms et les numéros de sécurité sociale de tous ceux qui avaient eu cette maladie au fil des générations.

Elle hocha la tête.

– Est-ce que tout cela passe par la Commission informatique et libertés ?

– Je ne sais pas dans quelle mesure vous souhaitez avoir des détails. Nous travaillons en collaboration avec des médecins de diverses institutions. Ils communiquent l’identité des malades à la Commission informatique, celle-ci encode leurs noms et leurs numéros de sécurité sociale, puis elle les transmet au Centre d’étude du génome. Nous avons un programme spécifique qui permet de classer les malades en groupes en fonction de leur degré de parenté. Grâce à ce programme, nous pouvons sélectionner les patients qui apportent le plus de renseignements chiffrés en rapport avec les gènes malades. On demande ensuite aux individus de ce groupe de prendre part au projet de recherche. L’intérêt de la généalogie réside dans le fait qu’il est possible de savoir si nous sommes en présence d’une maladie génétique en constituant un groupe fiable de cobayes ; la généalogie est un auxiliaire puissant dans la recherche des gènes malades.

– Il a suffi à Einar de faire semblant de constituer un groupe de cobayes pour que le secret des noms soit levé, tout cela, avec l’aide de la Commission informatique et libertés.

– Il a menti, trahi et abusé son monde et s’en est tiré comme ça.

– Je comprends bien que cela pourrait être problématique pour vous.

– Einar est l’un des plus hauts responsables de l’entreprise, ainsi que l’un de nos scientifiques les plus compétents. Un homme de qualité. Pourquoi a-t-il fait cela ? demanda la directrice.

– Il a perdu sa fille, répondit Erlendur. Vous ne le saviez pas ?

– Non, dit-elle en dévisageant Erlendur.

– Depuis combien de temps travaille-t-il ici ?

– Deux ans.

– Cela s’est passé un peu avant.

– Comment a-t-il perdu sa fille ?

– Des suites d’une maladie héréditaire du système nerveux. Il en était porteur mais ne connaissait pas l’existence de la maladie parmi les membres de sa famille.

– Un cas de filiation erronée ? demanda-t-elle.

Erlendur ne répondit pas. Il avait le sentiment d’en avoir assez dit.

– C’est l’un des problèmes qui se posent quand on essaie de constituer une base de données généalogiques de ce type, observa-t-elle. Les maladies ont la caractéristique de se propager au hasard dans l’arbre généalogique et elles ressortent là où on s’y attend le moins.

Erlendur se leva.

– Et vous êtes les dépositaires de tous ces secrets-là, dit-il. Les vieux secrets de famille. Les tragédies, les deuils et les morts, tout cela parfaitement classé dans les ordinateurs. Des histoires familiales et individuelles. Mon histoire et la vôtre. Vous conservez tous ces secrets et pouvez les ressortir à volonté. Une Cité des jarres qui englobe toute la population.

– Je ne vois pas du tout de quoi vous parlez, répondit Karitas. Une Cité des jarres ?

– Non, bien sûr que non, conclut Erlendur. Sur quoi, il prit congé.

42

Quand Erlendur rentra chez lui dans la soirée, on était encore sans aucune nouvelle d’Einar. Sa famille s’était réunie dans la maison des parents. Albert avait quitté l’hôtel en fin d’après-midi et était rentré chez lui après une conversation chargée d’émotion avec Katrin. Il y avait là les fils aînés du couple avec leurs épouses et l’ex-femme d’Einar s’ajouta bientôt au groupe. Elinborg et Sigurdur Oli l’avaient interrogée plus tôt dans la journée et elle avait affirmé ne pouvoir imaginer l’endroit où Einar se terrait. Il n’avait aucun contact avec elle depuis six mois.

Eva Lind rentra peu après Erlendur et il lui raconta l’enquête de long en large. Les empreintes retrouvées chez Holberg concordaient avec celles relevées au domicile d’Einar, à Storagerdi.

Il était finalement allé voir son père et il semblait bien qu’il l’ait assassiné.

Erlendur parla également à Eva Lind de Grétar. La seule théorie plausible expliquant sa disparition et son décès était que Grétar avait fait chanter Holberg d’une manière ou d’une autre, probablement avec des photos. On n’avait pas de certitude sur ce qu’elles montraient précisément mais, d’après les éléments que la police avait en main, Erlendur considérait qu’il n’était pas improbable que Grétar ait pris des clichés des agressions perpétrées par Holberg, voire de viols dont ils n’avaient pas connaissance et qui ne seraient certainement jamais dévoilés au grand jour après tout cela. La photo de la pierre tombale d’Audur indiquait que Grétar savait ce qui s’était passé, qu’il aurait même pu en témoigner et qu’il avait collecté des informations sur Holberg, peut-être dans le but de lui extorquer de l’argent.