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Ils discutèrent ainsi tout au long de la soirée pendant que la pluie cinglait les vitres et que le vent d’automne hurlait. Elle lui demanda pourquoi il se passait ainsi la main sur la poitrine, d’un geste machinal. Erlendur lui parla de la douleur qu’il ressentait au thorax. Il la mettait sur le compte de son vieux matelas, mais Eva Lind lui ordonna d’aller consulter un médecin. Il ne se montra pas très enthousiaste.

– Comment ça, tu n’iras pas chez le docteur ? demanda-t-elle et Erlendur regretta aussitôt d’avoir mentionné la douleur.

– Ce n’est rien, plaida-t-il.

– Combien de cigarettes est-ce que tu as fumées aujourd’hui ?

– Non, mais, qu’est-ce que c’est que ça ?

– Attends un peu, tu as une douleur à la poitrine, tu fumes comme un pompier, tu ne te déplaces qu’en voiture, tu te nourris de saloperies frites à l’huile et tu refuses de te laisser examiner ! Qui plus est, tu es capable de me sermonner si vertement que n’importe qui se mettrait à pleurnicher comme une petite fille sous tes attaques. Est-ce que tu trouves ça normal ? Tu ne serais pas un peu malade ?

Eva Lind s’était levée, tel un dieu de la foudre, elle surplombait son père qui osait à peine lever les yeux vers elle mais regardait droit devant lui avec un air de chien battu.

Oh, Seigneur Dieu, pensa-t-il en lui-même.

– Je vais faire voir ça, annonça-t-il ensuite.

– Faire voir ça ! Un peu, que tu vas faire voir ça ! cria Eva Lind. Et il y a longtemps que tu aurais dû le faire. Pauvre imbécile !

– Dès demain matin, dit-il en regardant sa fille.

– Il vaudrait mieux, conclut-elle.

Erlendur s’était mis au lit quand le téléphone sonna. C’était Sigurdur Oli qui l’informait que la police venait de recevoir une déclaration d’effraction à la morgue de Baronsstigur.

– La morgue de Baronsstigur, répéta Sigurdur Oli, voyant qu’il n’obtenait aucune réaction d’Erlendur.

– Nom de Dieu, soupira Erlendur. Et alors ?

– Je ne sais pas, répondit Sigurdur Oli. On vient juste de recevoir la déclaration. Ils m’ont téléphoné et je leur ai dit que j’allais te contacter. Ils n’ont aucune idée du mobile de l’effraction. Est-ce qu’il y a autre chose que des cadavres là-dedans ?

– Je te retrouve là-bas, répondit Erlendur. Fais aussi venir le médecin légiste, ajouta-t-il, puis il raccrocha.

Eva Lind s’était déjà endormie dans le salon au moment où il enfila son imperméable et mit son chapeau. Il regarda l’heure. Il était minuit. Il referma doucement la porte derrière lui, de manière à ne pas réveiller sa fille, se précipita en bas de l’escalier et s’engouffra dans sa voiture.

Quand il arriva à la morgue, trois voitures de police se trouvaient devant avec leurs gyrophares. Il reconnut le véhicule de Sigurdur Oli et, alors qu’il allait entrer dans le bâtiment, il vit le médecin légiste tourner au coin, ce qui fit crisser les pneus sur le goudron mouillé. Le médecin avait l’air de méchante humeur. Erlendur traversa rapidement un long couloir au bout duquel se trouvaient des policiers, ainsi que Sigurdur Oli qui sortait de la salle d’autopsie.

– A première vue, rien ne manque, annonça Sigurdur Oli en voyant Erlendur arriver à toutes jambes dans le couloir.

– Raconte-moi ce qui s’est passé, demanda Erlendur en pénétrant avec lui dans la salle. Les tables de dissection étaient désertes, tous les placards fermés, et rien, à l’intérieur, n’indiquait qu’il y ait eu effraction.

– Le sol de la pièce était couvert de traces de pas, elles sont pratiquement sèches, expliqua Sigurdur Oli. Le bâtiment est équipé d’un système d’alarme relié à un central de sécurité et c’est de là qu’on nous a contactés, il y a une quinzaine de minutes. Il semble que celui qui s’est introduit dans le bâtiment ait cassé une vitre, ici, à l’arrière, et qu’il ait atteint le verrou. Pas très compliqué. Dès qu’il est entré, les détecteurs se sont déclenchés. Il n’a pas eu beaucoup de temps pour commettre son forfait.

– Sûrement assez, répondit Erlendur. Le médecin légiste était arrivé, il avait l’air complètement retourné.

– Qui diable irait cambrioler une morgue ? soupira-t-il.

– Où sont les corps de Holberg et d’Audur ? demanda Erlendur.

Le légiste regarda Erlendur.

– Cela est lié au meurtre de Holberg ? demanda-t-il.

– Ça se pourrait, répondit Erlendur. Allez, pressons, pressons.

– C’est ici que l’on entrepose les cadavres, dit le médecin en ouvrant une porte par laquelle ils le suivirent.

– Cette porte n’est jamais verrouillée ? demanda Sigurdur Oli.

– Qui donc volerait des cadavres ? éructa le médecin, cependant il s’arrêta net, interloqué, en regardant dans la salle.

– Que se passe-t-il donc ? demanda Erlendur.

– La fillette a disparu, dit le médecin, comme s’il n’en croyait pas ses yeux. Il traversa rapidement la pièce, ouvrit un cagibi dans le fond et y alluma la lumière.

– Quoi encore ? demanda Erlendur.

– Son cercueil a également disparu, annonça le médecin. Il regardait Erlendur et Sigurdur Oli à tour de rôle. Nous venions de recevoir un cercueil neuf qui lui était destiné. Qui donc ferait une telle chose ? Quel esprit pourrait enfanter une telle monstruosité ?

– Il s’appelle Einar, répondit Erlendur. Et il n’a absolument rien de monstrueux !

Il tourna les talons. Sigurdur Oli le suivit de près et ils quittèrent la morgue à toute vitesse.

43

Il y avait peu de circulation sur la route de Keflavik cette nuit-là et Erlendur roulait aussi vite que sa petite voiture japonaise âgée de dix ans le lui permettait. La pluie cinglait le pare-brise, les essuie-glaces parvenaient à peine à la chasser ; Erlendur se rappela la première fois où il s’y était rendu pour rencontrer Elin, quelques jours auparavant. On aurait dit que cette pluie n’allait jamais prendre fin.

Il avait ordonné à Sigurdur Oli de demander à la police de Keflavik de se tenir en état d’alerte et de leur envoyer des renforts de Reykjavik. Il fallait également qu’il prenne contact avec Katrin, la mère d’Einar, pour l’informer des développements de l’affaire. De son côté, il avait l’intention de se rendre directement au cimetière dans l’espoir qu’Einar s’y trouverait, avec les restes d’Audur. Il ne pouvait envisager d’autre hypothèse : Einar avait l’intention de rendre sa sœur à la terre.

Quand Erlendur eut gravi la colline et fut arrivé devant la grille du cimetière de Sandgerdi, il vit le véhicule d’Einar, la portière du conducteur et l’une des portes arrière ouvertes. Erlendur éteignit le moteur, sortit sous la pluie et examina la voiture d’Einar. Il se releva et prêta l’oreille mais n’entendit que la pluie qui tombait verticalement sur la terre. Il n’y avait pas de vent, il plongea le regard dans la noirceur du ciel. Dans le lointain, il distingua une lumière à l’entrée de l’église et, en parcourant le cimetière du regard, il vit une faible lueur à l’emplacement de la tombe d’Audur.

Il lui sembla déceler un mouvement aux abords de la sépulture.

Ainsi que le petit cercueil blanc.

Il se mit tranquillement en route et se faufila en silence vers l’homme qu’il croyait être Einar. La lueur provenait d’une puissante lampe-tempête que l’homme avait apportée avec lui et posée à terre à côté du cercueil. Erlendur entra lentement dans la lumière et l’homme s’aperçut de sa présence. Il abandonna la tâche qui l’occupait et regarda Erlendur droit dans les yeux.