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La petite n’avait que quatre ans au moment de sa mort.

Erlendur leva les yeux à cause des hurlements du vent. C’était la mi-journée mais le ciel était noir, d’une obscurité hivernale, et la pluie de l’automne fouettait les parois de l’immeuble.

6

Le gros camion se dandinait dans la tempête, semblable à un animal préhistorique sous une pluie battante. La police avait mis un certain temps à le localiser car il n’était pas garé dans les environs du domicile de Holberg, mais à côté du dispensaire de Domus Medica, situé à quelques minutes de marche de chez lui. Finalement, on avait dû rechercher le véhicule en passant des annonces à la radio. Une patrouille de policiers trouva le camion au moment où Erlendur et Sigurdur Oli quittaient l’appartement de Holberg munis de la photo. On fit appel à la police scientifique pour passer le véhicule au peigne fin à la recherche d’indices susceptibles de faire progresser l’enquête. C’était un camion de type MAN équipé d’une cabine de couleur rouge. La seule chose que l’on trouva au bout d’une recherche rapide était une pile de revues pornographiques bon marché. On décida de transférer le camion dans les locaux de la police pour un examen plus poussé.

Pendant ce temps-là, la police scientifique travaillait sur la photographie. Il apparut qu’elle avait été imprimée sur du papier de marque Ilford, très utilisé dans les années 70, mais qui n’était plus fabriqué. Il était probable que le cliché avait été développé par son auteur ou par un amateur, il avait pâli comme si le travail n’avait pas été spécialement soigné. Aucune inscription n’avait été notée derrière et il était difficile de dire dans quel cimetière la photo avait été prise. Cela pouvait être n’importe où en Islande.

Le photographe s’était tenu à une distance d’environ trois mètres de la stèle. La photo avait été prise juste en face ; le photographe s’était sans doute accroupi, à moins qu’il n’ait été bien plus petit que la stèle. En dépit de la distance, l’angle de vue était très étroit. On ne voyait aucune végétation. Une fine couche de neige recouvrait la terre. On ne voyait aucune autre stèle. De l’autre côté de la tombe, on ne distinguait rien de plus qu’un nuage de buée blanchâtre.

Les enquêteurs de la scientifique se concentrèrent sur l’épitaphe, très floue à cause de la distance à laquelle la photo avait été prise. Ils tirèrent un grand nombre d’agrandissements de la photo jusqu’à ce que chacune des lettres soit imprimée sur du papier A5, on les numérota et plaça dans l’ordre de leur apparition sur la pierre. Les clichés, d’un grain très grossier, formaient à peine plus qu’une alternance de points noirs et blancs dessinant des nuances de lumière et d’ombre mais, une fois qu’elles eurent été scannées à l’ordinateur, il fut possible de travailler les ombres et la définition de la trame. Certaines lettres apparaissaient avec plus de netteté que d’autres, ce qui aida la police scientifique à compléter les blancs. On déchiffra sans difficulté les caractères O, T et M. Les autres donnèrent plus de fils à retordre.

Erlendur téléphona au domicile de l’un des chefs de service de l’état civil vers l’heure du repas du soir et obtint de l’homme, jurant et grommelant, qu’il vienne le retrouver devant le bâtiment de l’état civil dans le quartier de Skuggahverfi, le quartier des Ombres. Erlendur savait qu’on conservait là tous les actes de décès édités depuis 1916. Il n’y avait pas âme qui vive dans les lieux du reste, les employés avaient fini leur journée depuis un certain temps. Environ une demi-heure plus tard, le chef de service approcha sa voiture du bâtiment et serra la main d’Erlendur avec précipitation. Il entra un code dans l’alarme antivol et ils s’introduisirent dans le bâtiment à l’aide d’une carte spéciale. Erlendur lui expliqua l’affaire, mais ne l’informa toutefois que du strict nécessaire.

Ils examinèrent tous les actes de décès de l’année 1968. Ils trouvèrent deux Audur. L’une d’elles était dans sa quatrième année. Elle était décédée en février. Le certificat de décès avait été établi par un médecin dont ils trouvèrent immédiatement le nom dans le registre de la population. Il habitait à Reykjavik. Le document mentionnait le nom de la mère de l’enfant. Ils retrouvèrent sa trace sans le moindre problème. Son dernier domicile officiel était à Keflavik au début des années 70. Elle s’appelait Kolbrun. Ils recherchèrent son nom parmi les actes de décès. Elle était morte en 1971, trois ans après sa fille.

La petite fille avait été emportée par une tumeur cérébrale maligne.

Quant à la mère, elle avait mis fin à ses jours.

7

Le marié reçut Erlendur dans son bureau. Il était responsable du contrôle qualité et du marketing chez un grossiste importateur de céréales américaines pour le petit-déjeuner et Erlendur, qui n’en avait jamais, de toute sa vie, goûté, se demandait, au moment où il pénétrait dans le bureau sur la pointe des pieds, quel pouvait bien être le rôle d’un responsable qualité et marketing chez un grossiste. Il ne daigna pas poser la question. Le marié portait une chemise blanche repassée avec d’épaisses bretelles et il s’était retroussé les manches, comme si le contrôle de la qualité exigeait qu’il fasse appel à toute son énergie. Il était de taille moyenne, un peu enveloppé et portait un collier de barbe autour d’une bouche lippue. Il répondait au nom de Viggo.

– Je n’ai aucune nouvelle de Disa, déclara Viggo avec précipitation en s’asseyant face à Erlendur.

– Y a-t-il quelque chose que vous lui auriez dit et qui…

– C’est ce que tout le monde croit, répondit le marié. Ils pensent tous que c’est ma faute. C’est le pire. Voilà bien le pire dans toute cette histoire. C’est insupportable !

– Avez-vous remarqué quelque chose d’étrange dans son comportement avant qu’elle ne s’enfuie ? Ou bien quelque chose qui aurait pu la choquer violemment ?

– Tout le monde était en train de s’amuser. Vous savez, les mariages, enfin vous voyez ce que je veux dire.

– Non.

– Vous êtes déjà allé à un mariage, non ?

– Oui, une fois, il y a longtemps.

– Nous devions ouvrir le bal. Les discours avaient déjà été prononcés et ses amies avaient toutes fait le numéro qu’elles avaient préparé, l’accordéoniste venait d’arriver et nous devions commencer à danser. J’étais assis à notre table et tout le monde s’est mis à chercher Disa, mais elle avait disparu.

– A quel endroit l’avez-vous vue pour la dernière fois ?

– Elle était assise à côté de moi et m’a dit qu’elle devait faire un tour aux toilettes.

– Et lui avez-vous dit quelque chose qui l’aurait vexée ?

– Absolument pas, je l’ai embrassée et lui ai dit de se dépêcher.

– Combien de temps s’est écoulé entre le moment où elle est partie et celui où vous avez commencé à la chercher ?

– Pff, je n’en sais rien. Je suis allé m’asseoir avec mes amis et suis sorti allumer une cigarette – tous les fumeurs allaient fumer dehors –, j’ai discuté avec des gens à l’extérieur et aussi en sortant et en revenant, je me suis rassis et l’accordéoniste m’a parlé de la danse et de la musique. J’ai discuté avec d’autres personnes, peut-être bien pendant une demi-heure, enfin, quelque chose comme ça, je ne suis pas sûr.

– Et vous ne l’avez pas vue pendant tout ce temps-là ?

– Non. C’était une vraie catastrophe ! Tout le monde me regardait ébahi, comme si c’était de ma faute.

– Que croyez-vous qu’il lui soit arrivé ?

– J’ai cherché partout. Parlé à toutes ses copines, ses amis, sa famille mais personne ne sait rien, en tout cas, c’est ce qu’ils disent.