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— « Si, je vais vous tuer ! » hurla Falk, et les souris se tinrent coites.

Il eut du mal à se rendormir ; mais peut-être le plus difficile était-il pour lui de savoir s’il était endormi ou éveillé. Il se posait des questions sans fin : faisait-il jour ou nuit ? Combien de temps le laisserait-on là ? Voulait-on le tuer, ou le droguer encore jusqu’à détruire son esprit, non content de le violer ? Combien de temps fallait-il à la soif pour devenir un supplice au lieu d’une gêne ? Comment s’y prendre pour attraper des souris dans le noir sans piège ni appât ? Combien de temps pouvait-on subsister avec un régime de souris crues ?

Plusieurs fois, pour échapper à ses pensées, il reprit ses explorations. Il trouva une grande cuve, ou un fût, en position verticale ; l’espoir jaillit en son cœur, mais ce récipient sonnait le creux ; tandis que ses mains en tâtaient la surface près du fond, elles furent égratignées par des éclats de bois. Il ne trouva pas d’autre porte ou d’escalier dans son exploration aveugle des murs invisibles et sans fin.

Il finit par se perdre : Il ne pouvait retrouver l’escalier d’où il était parti. Il s’assit par terre dans le noir et laissa errer son imagination ; il voyait tomber la pluie dans la forêt où il voyageait en solitaire – lumière grise, bruit de pluie. Il récita mentalement tout ce qu’il pouvait se rappeler de l’Ancien Canon, en partant du commencement :

La voie que l’on peut suivre n’est pas la Voie éternelle.

Il avait la gorge sèche, à tel point qu’au bout d’un moment il essaya de lécher le plancher de terre humide pour se rafraîchir ; mais sa langue n’y trouva qu’une poussière toute sèche. Les souris trottinaient alentour et parfois venaient tout près de lui en murmurant.

En de lointaines ténèbres parcourues de corridors, il entendit cliqueter des verrous, résonner du métal, et vit percer un brillant éclat, lui aussi métallique. La lumière…

Tout autour de lui, des formes vagues, des ombres, des voûtes, des arcades, des cuves, des poutres, des ouvertures prirent du volume, une réalité floue. Il se leva non sans effort et se dirigea, en une course chancelante, vers la lumière.

Elle venait d’une porte basse, par laquelle Falk put voir, lorsqu’il s’en approcha, une élévation de terrain, des cimes d’arbres et le ciel rose du soir ou du matin, qui paraissait aussi aveuglant qu’un ciel d’été en plein midi. Il s’arrêta à la porte non seulement parce qu’il était ébloui mais parce qu’une silhouette immobile était là sur son seuil.

— « Sors de là ! » dit la voix faible et rauque de l’homme de grande taille, Argerd.

— « Attendez. Je n’y vois rien encore. »

— « Sors de là ! Et file tout droit ! Ne tourne pas la tête, ou je te brûle la cervelle ! »

Falk fit un pas, hésita. Les réflexions qu’il s’était faites dans le noir trouvaient maintenant leur utilité. S’ils le laissaient partir, avait-il pensé, ce serait parce qu’ils avaient peur de le tuer.

— « Plus vite que ça ! »

Il risqua sa chance. « Je ne partirai pas sans mon sac, » dit-il d’une voix affaiblie dans sa gorge sèche.

— « Attention, ceci est un laser ! »

— « Eh bien, tue-moi ! De toute façon, je ne pourrai pas traverser le continent sans être armé moi-même. »

Ce fut au tour d’Argerd d’hésiter. Enfin, il hurla, sa voix montant dans l’aigu : « Gretten ! Gretten ! Apporte ici les affaires de l’étranger ! »

L’attente parut bien longue à Falk ; il était dans l’obscurité, derrière la porte, Argerd immobile devant elle. Un garçon descendit en courant la pente gazonneuse visible de la porte, jeta à terre le sac de Falk et disparut.

— « Ramasse-le ! » ordonna Argerd. Falk sortit de sa cave et obéit. « Et maintenant, file ! »

— « Une minute, » dit Falk d’une voix sourde tandis qu’il s’agenouillait pour faire un rapide inventaire de son sac, dont les sangles étaient défaites, le contenu en désordre. « Où est mon livre ? »

— « Ton livre ? »

— « L’Ancien Canon. Un livre imprimé, pas une édition électronique. »

— « Tu t’imagines que nous allons te laisser partir avec ça ? »

Falk ouvrit de grands yeux. « Vous ne savez donc pas, vous autres, reconnaître les Canons de l’Homme au premier coup d’œil ? Pour quoi prenez-vous ce livre ? »

— « Tu ne sais pas et tu ne sauras jamais ce que nous savons, et, si tu ne vides pas les lieux immédiatement, je tire et tu n’auras plus de mains ! Allez, ouste ! lève-toi et va-t-en ! File tout droit… En avant ! » La voix d’Argerd recommençait à monter dans l’aigu, et Falk se rendit compte qu’il risquait de le pousser à bout. Lorsqu’il vit le visage lourd et intelligent d’Argerd exhaler la haine et la peur, il subit la contagion de ces sentiments ; il se hâta de boucler son sac et de le charger sur ses épaules, passa à côté d’Argerd et se mit à grimper l’élévation de terrain partant de la porte des celliers. D’après l’éclairage, c’était le soir un peu après le coucher du soleil, dont le rougeoiement lui indiquait la route à suivre. Il connut un long moment d’incertitude angoissée, et c’était comme un fil élastique qui lui semblait, tandis qu’il marchait, s’étirer sans fin entre sa nuque et le canon du pistolet-laser braqué sur lui. Il franchit une pelouse mal entretenue, passa sur un pont de planches branlantes enjambant la rivière, monta un sentier traversant des pâturages, puis des vergers. Il atteignit la crête. Il jeta un bref coup d’œil en arrière et vit la vallée cachée telle qu’il l’avait naguère découverte, baignant dans un crépuscule doré, suave et paisible, avec de hautes cheminées dominant la rivière dont les eaux reflétaient le ciel. Il hâta le pas pour pénétrer dans l’obscurité de la Forêt, où il faisait déjà nuit.

Assoiffé, affamé, meurtri, déprimé, Falk vit son voyage aventureux dans la Forêt orientale s’allonger devant lui sans le moindre espoir, désormais, d’un foyer amical en un point quelconque du trajet pour en rompre la dure et sauvage monotonie. Il devait s’abstenir de chercher une route, éviter au contraire toutes les routes, se cacher des hommes et de leurs habitations comme un quelconque animal sauvage. Il y avait une chose pour lui remonter quelque peu le moral, sans parler de la crique où il put boire et de la ration alimentaire qu’il tira de son sac, c’était de penser que s’il avait commis une faute qui aurait pu lui être fatale, du moins il n’avait pas flanché. Il avait défié sur leur propre terrain et le sanglier moralisateur et la brute humaine, et son bluff avait réussi. Cela lui mit du baume au cœur ; il se connaissait si peu que tous ses actes contribuaient à sa découverte de soi, comme ceux d’un enfant, et, se sachant si démuni, il était heureux d’apprendre qu’à tout le moins il n’était pas sans courage.

Après avoir bu, mangé et bu de nouveau, il poursuivit sa route dans un clair de lune intermittent qui suffisait à ses yeux ; il voulait mettre un kilomètre ou deux entre lui et « la maison de la Peur ». Quand ce fut chose faite, il se laissa tomber, épuisé, au bord d’une petite clairière où il dormit sans feu, sans abri, après avoir fixé le ciel d’hiver baigné de lune. Le silence n’était rompu, de temps à autre, que par le doux cri interrogateur d’une chouette en train de chasser. Et cette désolation lui paraissait reposante, une vraie bénédiction, en comparaison du cellier où il avait été emprisonné dans la maison de la Peur, avec ses bruits de pas précipités, ses ténèbres, les voix qui la hantaient.