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— « Laquelle ? Qui peut me le dire ? »

— « Ce qu’on nous cache et ce qu’on t’a volé, c’est chez les Shing qu’il faut le chercher. Tu peux en être sûr ! »

Il y avait dans la voix de Zove une amertume douloureuse et mordante tout à fait inhabituelle.

— « Comment connaîtrai-je la vérité de la bouche de ceux qui ne la disent jamais ? Ce n’est pas si simple. Et si je trouve ce que je cherche, comment le reconnaîtrai-je ? »

Zove se tut un moment, puis reprit avec son aisance et son sang-froid habituels : « J’ai la conviction intime, mon fils, qu’il y a en toi quelque espérance pour l’homme. Et je serais navré de renoncer à cette conviction. Mais c’est toi seul qui peux chercher ta propre vérité ; et s’il te semble que ta route se termine ici, eh bien, c’est peut-être effectivement la vérité. »

— « Si je pars, » dit Falk tout de go, « permettrez-vous à Parth de m’accompagner ? »

— « Non, mon fils. »

Un enfant chantait dans le jardin – le fils de Garra, un bonhomme de quatre ans qui faisait des galipettes comme un pitre sur le sentier tout en chantant d’une voix aiguë des choses charmantes sans queue ni tête. Haut dans le ciel, formant de longs V aux lignes flottantes, se succédaient les vols d’oies sauvages de la grande migration vers le sud.

— « J’étais convenu d’aller avec Metock et Thurro lorsque Thurro irait chercher sa fiancée, » dit Falk. « Nous avions l’intention de partir bientôt, avant que le temps change. Si je pars, je pourrai les quitter en arrivant chez les Ransifel. »

— « En plein hiver ? »

— « Il doit bien y avoir des maisons à l’ouest des Ransifel où je pourrai, au besoin, demander asile. »

Pourquoi prendrait-il la direction de l’ouest ? Falk ne le dit pas et Zove s’abstint de le lui demander.

— « C’est possible ; je ne sais pas. Je ne sais pas si les gens donneraient asile à un étranger comme nous le faisons. Si tu pars, tu seras seul, et il faut que tu sois seul. En dehors de cette maison, il n’est aucun endroit sur Terre où tu sois en sécurité. »

Comme toujours, la vérité parlait par sa bouche… mais il n’était pas sans le payer d’un douloureux effort pour garder sa maîtrise de soi. Falk lui dit promptement pour le rassurer : « Je le sais, Maître. Ce n’est pas la sécurité que je regretterai…»

— « Je vais te dire ce que je pense de toi. Je pense que tu viens d’un monde perdu ; je pense que tu n’es pas né sur la Terre. Je pense que tu es le premier, après mille ans ou davantage, à venir ici d’un autre monde, et que tu nous apportes un message ou un présage. Les Shing t’ont fermé la bouche et t’ont lâché dans la Forêt pour que nul ne puisse dire qu’ils t’avaient tué. Tu es venu à nous. Si tu pars, j’en serai peiné et inquiet pour toi, sachant combien tu seras seul. Mais je formerai pour toi et pour nous-mêmes des espérances. Si tu avais un message pour les hommes, il finira par te revenir à la mémoire. Il doit bien y avoir pour nous un espoir, un indice : nous ne pouvons vivre ainsi éternellement. »

— « Peut-être suis-je d’une race qui n’a jamais été amie de l’humanité, » dit Falk, regardant Zove de ses yeux jaunes. « Qui peut savoir ce que je suis venu faire ici ? »

— « Il y a des hommes qui le savent, et tu les trouveras. Et alors tu agiras. Je suis sans crainte. Qu’importe si tu es au service de l’Ennemi puisque nous sommes tous à son service. Dans ce cas tout est perdu et nous n’avons rien à regretter. Sinon, tu as alors ce que nous autres hommes n’avons plus : une destinée ; et, en la remplissant, il se peut qu’à nous tous tu apportes l’espoir…»

2

Zove avait vécu soixante ans, et Parth vingt ans ; mais en cette froide après-midi d’automne elle paraissait plus vieille qu’aucun être humain, sans âge. Les idées de son père – triomphe final surgi d’une étoile lointaine, règne de la vérité – ne lui apportaient aucune consolation. Au don prophétique de Zove, elle répondait par une totale absence d’illusions.

Elle était avec Falk aux Longs Prés ; elle savait qu’il allait partir.

— « Tu ne reviendras pas, » lui dit-elle simplement.

— « Je reviendrai, Parth. »

Il essaya de lui parler en esprit, si peu doué qu’il fût pour la communication télépathique. Il existait une seule percipiente dans la maison, la jeune aveugle Kretyan, et nul de ses habitants n’était versé dans l’art de la communication paraverbale. Sa technique ne s’était pas perdue, mais elle n’était guère pratiquée. Ce qui faisait toute la vertu de cette forme de communication, la plus intense et la plus parfaite, en était devenu le danger pour les hommes.

Le langage télépathique entre deux intelligences pouvait être incohérent ou insensé, et il pouvait véhiculer des opinions erronées ; mais on ne pouvait en faire un mauvais usage. Entre la pensée et la parole s’ouvre une brèche par laquelle peut s’introduire une intention qui dénature le message – un mensonge, pour tout dire. Tandis qu’entre la pensée et son expression télépathique il n’y a pas de brèche ; ils ne font qu’un. Il n’y a pas place pour le mensonge.

Il semble que dans les dernières années de la Ligue, d’après les contes et les récits fragmentaires que Falk avait étudiés, l’usage du langage paraverbal s’était répandu et que la télépathie avait connu un grand essor. La Terre était venue tard à cette science car c’était une race d’un autre monde qui lui en avait enseigné la technique – l’Art Ultime, ainsi était-elle désignée dans un certain livre. On trouvait des allusions à des troubles et à des soulèvements sous le règne de la Ligue de Tous les Mondes, et il fallait peut-être les attribuer à cette prédominance d’une forme de communication qui excluait le mensonge. Mais tout cela était vague et légendaire, comme toute l’histoire de l’homme. Ce qui paraissait certain, c’est que depuis la venue des Shing et la chute de la Ligue, les restes dispersés de la communauté humaine, n’ayant plus que méfiance envers des rapports fondés sur la confiance, étaient revenus au langage parlé. Un homme libre peut s’exprimer librement, mais un esclave ou un fugitif doit pouvoir cacher la vérité et mentir. Voilà ce que Falk avait appris chez Zove, et voilà pourquoi il était si peu entraîné à cette mise en résonance des esprits. Pourtant il essaya alors de parler à Parth en esprit afin qu’elle sût qu’il ne mentait pas : « Crois-moi, Parth, je reviendrai ! »

Mais elle ne voulait pas l’entendre. « Non, je ne veux pas parler en esprit, » dit-elle tout haut.

— « Alors, tu me caches tes pensées ! »

— « Oui. Pourquoi te donnerais-je mon chagrin ? À quoi bon dire la vérité ? Si tu m’avais menti hier, je croirais encore que tu vas seulement chez les Ransifel et que tu seras de retour dans dix jours. Alors il me resterait dix jours et dix nuits. Mais maintenant, il ne me reste rien, pas un jour, pas une heure. Tu m’as tout pris, tout est fini. À quoi sert la vérité ? »

— « Parth, voudras-tu m’attendre une année ? »

— « Non. »

— « Une année seulement…»

— « Dans un an et un jour tu reviendras sur un coursier argenté pour m’emmener en ton royaume dont je serai la reine. Non, je ne t’attendrai pas, Falk. Pourquoi faudrait-il que j’attende un homme qui trouvera la mort dans la Forêt, ou bien sera tué par des nomades dans la Prairie, ou décervelé dans la Cité des Shing, ou en route pendant cent ans vers une étoile lointaine. Attendre quoi ? Ne crois pas que je prendrai un autre homme. Je n’en ferai rien. Je resterai ici chez mon père. Je teindrai des fils en noir pour m’en tisser des vêtements noirs que je porterai jusqu’à ma mort. Mais je n’attendrai personne, rien ni personne. Jamais ! »

— « Je n’avais pas le droit de te demander cela, » dit-il avec l’humilité que donne la souffrance.

— « Ô Falk, je ne te reproche rien ! » cria Parth.

Ils étaient assis sur la pente douce s’élevant au-dessus des Longs Prés. Chèvres et moutons broutaient dans l’enclos qui, sur quinze cents mètres, les séparait de la Forêt. Des poulains d’un an caracolaient autour des juments à poils rudes. Il soufflait un vent gris de novembre.

Leurs mains se touchaient. Parth sentit la bague d’or sur l’annulaire gauche de Falk. « Une bague, cela se donne, » dit-elle. « Il m’est arrivé de penser que tu as peut-être été marié. Et toi ? Songe donc, il se peut qu’elle t’attende…» Elle frissonna.

— « Qu’est-ce que ça peut faire ? » dit-il. « Que m’importe ce que j’ai pu être, ce que je fus jadis. Pourquoi partirais-je d’ici ? Tout ce que j’ai maintenant t’appartient, Parth, tout me vient de toi, tu m’as tout donné…»

— « Librement, » dit la jeune fille, en larmes. « Prends-le et va. Va ton chemin…» Ils restaient serrés l’un contre l’autre, et ils ne voulaient ni l’un ni l’autre rompre cette étreinte.