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Lorsqu’il fut confortablement installé devant l’écran, Alvin chercha des yeux le robot. À sa grande surprise, il avait disparu ; et puis le jeune homme le repéra, adroitement arrimé dans une niche sous le plafond voûté. Il avait mené le Maître à travers l’espace jusqu’à la Terre, puis il l’avait suivi en Lys pour le servir. Il était prêt maintenant, comme si les siècles n’avaient pas passé, à reprendre ses anciennes fonctions.

À titre d’expérience, Alvin lança un ordre et le grand écran s’éveilla à la vie. Devant le jeune homme se dressait la tour de Loranne, curieusement raccourcie et apparemment couchée sur le côté. D’autres expériences amenèrent des images du ciel, de la ville et de grandes étendues de désert. La définition en était d’une netteté éclatante, presque anormale, bien que sans grossissement apparent. Alvin poursuivit ses essais pendant un moment, jusqu’à ce qu’il sût obtenir toutes les vues qu’il voulait. Maintenant, il était prêt à partir.

« Mène-moi en Lys ! »

L’ordre était simple, mais comment le vaisseau pouvait-il y obéir, lorsque Alvin lui-même n’avait aucune idée de la direction ? Alvin n’y avait pas songé et lorsqu’il y songea, la machine était déjà au-dessus du désert, avançant à une vitesse extraordinaire. Il haussa les épaules, acceptant avec reconnaissance d’avoir des serviteurs plus avisés que lui-même.

Il était difficile de juger de l’échelle des images défilant sur l’écran, mais bien des kilomètres devaient s’enfuir par minute. Non loin de la ville, la couleur du sol s’était faite brusquement gris sale, et Alvin comprit qu’il survolait le lit d’un des océans disparus. Jadis, Diaspar avait dû être très proche de la mer, bien qu’on ne trouvât aucune allusion à ce fait même dans les plus anciennes archives. Si vieille que fût la cité, les océans avaient dû disparaître bien avant sa construction.

À des centaines de kilomètres plus loin, le sol reparut abrupt, puis le désert. Alvin arrêta son vaisseau une fois au-dessus d’un étrange diagramme de lignes entrecroisées faiblement visibles sous le voile du sable. Un instant, Alvin demeura intrigué, puis il comprit qu’il contemplait les ruines de quelque ville oubliée. Il ne resta pas longtemps ; cela brisait le cœur de penser que des millions d’hommes n’avaient laissé d’autre trace de leur existence que ces sillons dans le sable.

La douce courbe de l’horizon se rompit enfin, se plissant en montagnes qu’Alvin survola presque aussitôt aperçues. La machine ralentissait maintenant, descendant vers la Terre en un grand arc de plus de cent cinquante kilomètres de long. Et au-dessous d’Alvin s’étendirent Lys, ses forêts et des cours d’eau sans fin offrant un panorama d’une beauté telle que, pendant un instant, le jeune homme n’alla pas plus loin. À l’est, la Terre était plus sombre, et les grands lacs y dessinaient comme des taches de nuit plus obscures. Mais vers le soleil couchant, les eaux dansaient et étincelaient de lumière, renvoyant aux yeux d’Alvin des couleurs comme il n’en avait jamais imaginé.

Il ne fut pas difficile de situer Airlee, par bonheur, car le robot ne pouvait guider Alvin plus loin. Le jeune homme s’y était attendu, et il éprouvait une légère satisfaction à découvrir quelques limites au pouvoir de la machine. Il était peu vraisemblable qu’elle eût jamais entendu parler d’Airlee, aussi la position du village n’avait-elle jamais été enregistrée dans les cellules à mémoire.

Après quelques manœuvres, Alvin fit atterrir son vaisseau sur la colline qui lui avait offert sa première vue de Lys. Il était très facile de contrôler la machine ; Alvin n’avait qu’à exprimer ses désirs d’une façon générale, et le robot veillait aux détails. Il n’aurait pas tenu compte, supposait Alvin, d’ordres dangereux ou impossibles à exécuter, mais le jeune homme n’avait aucune intention d’en donner de ce genre. Alvin était absolument certain que nul n’avait pu surprendre son arrivée. Il jugeait la chose importante, car il n’avait aucun désir d’engager un nouveau combat spirituel avec Seranis. Ses plans étaient encore vagues, mais il ne voulait courir aucun danger avant d’avoir établi des relations amicales. Le robot allait donc lui servir d’ambassadeur, tandis que lui resterait en sécurité dans le vaisseau.

Il ne rencontra personne sur le chemin qui menait à Airlee. C’était chose bizarre, pour Alvin, d’être assis dans le vaisseau, tandis que ses yeux percevaient de loin sans effort le sentier familier, et qu’à ses oreilles montait le murmure de la forêt. Malgré cela, Alvin était jusqu’à présent incapable de s’identifier totalement avec le robot, et la difficulté qu’il éprouvait encore à le diriger était considérable.

Il faisait presque nuit lorsqu’ils atteignirent Airlee, dont les petites maisons ressemblaient à des flaques de lumière. Alvin-robot demeura dans l’ombre, et il avait presque atteint la demeure de Seranis sans avoir été découvert, quand tout à coup s’éleva un bourdonnement aigu, irrité, tandis que la vision d’Alvin était obstruée par un tourbillon d’ailes. Il se recula involontairement sous l’attaque, puis comprit ce qui se passait. Krif, une fois de plus, manifestait son ressentiment contre tout ce qui volait sans ailes.

Ne voulant pas blesser la belle mais stupide créature, Alvin arrêta le robot et supporta du mieux qu’il pût les coups qui lui semblaient pleuvoir sur lui-même. Bien qu’il se trouvât confortablement assis à plus d’un kilomètre de là, il ne pouvait s’empêcher de broncher, et il fut heureux quand Hilvar sortit voir ce qui se passait.

À l’approche de son maître, Krif s’en alla, bourdonnant toujours sur une note sinistre. Dans le silence qui suivit, Hilvar resta là, le regard un instant fixé sur le robot. Puis il sourit :

« Bonjour, Alvin, dit-il. Je suis heureux que vous soyez de retour. Ou êtes-vous encore à Diaspar ? »

Comme naguère, Alvin ressentit une admiration jalouse pour la rapidité et la précision d’esprit d’Hilvar.

« Non », répondit-il, se demandant en même temps dans quelle mesure le robot faisait clairement écho à sa voix.

« Je suis à Airlee, pas très loin. Mais j’y reste, pour l’instant. »

Hilvar se mit à rire.

« C’est aussi bien, je pense. Seranis vous a pardonné, mais quant à l’assemblée, eh bien, c’est une autre affaire. Une conférence se tient en ce moment, la première que nous ayons jamais eue à Airlee.

— Voulez-vous dire, demanda Alvin, que vos conseillers sont en ce moment ici ? Avec vos dons de télépathes, je n’aurais pas cru ces réunions nécessaires.

— Elles sont rares, mais il arrive qu’elles soient jugées indispensables. Je ne connais pas la nature exacte de la crise, mais trois sénateurs sont déjà ici, et on attend les autres pour bientôt. »

Alvin ne put s’empêcher de sourire de la façon dont les événements de Diaspar s’étaient reflétés ici. Partout où il allait, il semblait laisser derrière lui un sillage de consternation et d’inquiétude.

« Je pense que ce serait une bonne chose de m’adresser à votre assemblée, dans la mesure où je pourrai le faire en toute sécurité.

— Vous pourriez venir ici en personne et en toute sécurité, répondit Hilvar, si l’assemblée promet de ne pas essayer de contrôler de nouveau votre esprit. Sinon, restez où vous êtes. Je vais conduire votre robot auprès des sénateurs, ils vont être plutôt ennuyés de le voir. »

Et derechef, Alvin éprouva cette sensation aiguë et dangereuse de joie et d’exaltation, tandis qu’il suivait Hilvar dans la maison. Il allait rencontrer les chefs de Lys sur des bases plus égales, maintenant ; bien qu’il n’éprouvât aucune rancune à leur endroit, il lui était très agréable de se savoir maître de la situation, et en possession de pouvoirs que même à cette heure il n’avait pas encore complètement jetés dans la balance.