Выбрать главу

« Ces édifices ont l’air dangereux. Regardez là-bas toutes ces pierres tombées ; c’est un miracle qu’ils tiennent encore debout. S’il y avait jamais eu des tempêtes sur cette planète, ces constructions auraient croulé depuis des éternités. Je ne crois pas prudent de pénétrer dans aucune d’elles.

— Je ne vais pas le faire ; j’y enverrai le robot — il peut se déplacer beaucoup plus vite que nous, et il ne commettra aucune maladresse susceptible de faire s’écrouler le toit sur sa tête. »

Hilvar approuva cette précaution, mais il insista également sur une autre qu’avait négligée Alvin. Avant que le robot partît en reconnaissance, Alvin lui fit passer une série d’instructions au cerveau du vaisseau — presque aussi intelligent que le sien — en sorte que, quoi qu’il arrivât à leur pilote, les deux jeunes gens pussent du moins regagner la Terre, sains et saufs.

Il leur fallut peu de temps pour se convaincre tous deux qu’il n’y avait rien à tirer de ce monde. Ils regardèrent ensemble les kilomètres de couloirs et de passages vides du tapis de poussière défiler sur l’écran, tandis que le robot explorait ces labyrinthes déserts. Tous les édifices conçus par des créatures intelligentes, quelle que soit la forme de leur corps, doivent respecter certaines lois fondamentales, et au bout d’un moment, même les formes d’architecture les plus inhabituelles ne surprennent plus. L’esprit, hypnotisé par leur pure répétition, se trouve incapable d’assimiler aucune impression nouvelle. Ces constructions, semblait-il, avaient été purement résidentielles, et les êtres qui y vivaient étaient approximativement de la taille d’un homme. Peut-être étaient-ce des hommes, malgré le nombre surprenant de pièces et d’enceintes où pouvaient seulement pénétrer des créatures capables de voler, mais cela ne voulait pas dire que les bâtisseurs de cette cité étaient ailés. Ils avaient peut-être utilisé les systèmes individuels d’antigravitation qui avaient jadis été d’usage courant, mais dont il ne restait actuellement nul vestige à Diaspar.

« Alvin, dit enfin Hilvar, nous pourrions consacrer un million d’années à explorer ces édifices. Il est évident qu’ils n’ont pas été simplement abandonnés, ils ont été soigneusement dépouillés de tous les objets de valeur qui pouvaient s’y trouver. Nous perdons notre temps.

— Alors que suggérez-vous ? demanda Alvin.

— Nous devrions jeter un coup d’œil sur deux ou trois autres points de cette planète et voir s’ils sont du même genre, comme je le pense. Ensuite nous devrions faire aussi une étude rapide des autres planètes, en ne nous y posant que si elles semblent fondamentalement différentes, ou si nous y remarquons quelque chose d’anormal. C’est tout ce que nous pouvons espérer faire, à moins de passer ici le restant de notre vie. »

C’était assez vrai. Ils essayaient de contacter quelque intelligence, et non d’effectuer des recherches archéologiques. La première de ces tâches pouvait se terminer en quelques jours, s’il y avait lieu du moins de la commencer. L’autre demanderait à des armées d’hommes et de robots des siècles de labeur.

Les jeunes gens quittèrent la planète deux heures plus tard, passablement contents de s’en éloigner. Même grouillant de vie, estima Alvin, ce monde de constructions sans fin devait avoir été très déprimant. Il n’y avait pas trace de parcs ou d’espaces libres où aurait pu croître quelque végétation. Ç’avait été un monde au plus haut point stérile, et il était difficile d’imaginer la mentalité des êtres qui avaient vécu là. Si la planète suivante était identique, décida Alvin, alors il abandonnerait sans doute ses recherches sur l’heure.

Elle ne l’était pas ; en fait, impossible d’imaginer plus grand contraste.

Cette planète était plus proche du Soleil, et même vue de l’espace, elle paraissait chaude. Elle était partiellement couverte de nuages bas indiquant qu’on y trouvait de l’eau en abondance, mais il n’y avait pas trace d’océans. Et pas davantage trace d’intelligence : Alvin et Hilvar en firent deux fois le tour sans apercevoir les vestiges d’aucune construction. Le globe tout entier, des pôles à l’équateur, était enfoui sous une couverture d’un vert virulent.

« Je pense que nous devrons être très prudents ici, dit Hilvar. Ce monde est vivant, et je n’aime pas la couleur de cette végétation. Il vaudrait mieux rester à bord du vaisseau et ne pas ouvrir du tout la porte pneumatique.

— Pas même envoyer le robot en reconnaissance ?

— Non, pas même cela. Vous avez oublié ce qu’est la maladie, et bien que mon peuple sache comment la vaincre, nous sommes loin de mon pays et il peut y avoir ici des dangers que nous ne voyons pas. Je pense que ce monde est devenu fou. Jadis, c’était peut-être un seul grand jardin ou grand parc, mais une fois abandonné, la nature a repris le dessus. Il n’en aurait jamais été ainsi du temps que le système était habité. »

Alvin ne doutait pas qu’Hilvar eût raison. Il y avait quelque chose de mauvais, quelque chose d’hostile à l’ordre et à la régularité sur lesquels tant Lys que Diaspar étaient basées, dans l’anarchie biologique qui régnait au-dessous d’eux. Une bataille incessante y avait fait rage pendant un milliard d’années ; mieux vaudrait se méfier des survivants.

Ils descendirent prudemment au-dessus d’une vaste plaine, si uniforme que sa platitude posa un problème immédiat. La plaine était bordée d’un terrain plus élevé, complètement recouvert d’arbres dont on ne pouvait que deviner la taille, tant ils étaient étroitement tassés, et si emmaillotés de broussailles que leurs troncs y étaient virtuellement ensevelis. De nombreuses créatures ailées volaient parmi les branches élevées, mais à une telle vitesse, qu’il était impossible de dire s’il s’agissait d’oiseaux ou d’insectes… ou de… ni les uns ni les autres.

Çà et là, un géant de la forêt avait réussi à dépasser de quelques vingtaines de mètres ses voisins de combat, qui avaient conclu une brève alliance pour le détruire et supprimer l’avantage qu’il avait conquis. Bien que ce fût une guerre silencieuse trop lentement menée pour que l’œil pût la suivre, il s’en dégageait une impression de conflit implacable, impitoyable.

Par comparaison, la plaine semblait morne et placide. Elle était, à quelques centimètres près, plate jusqu’à l’horizon, et paraissait toute couverte d’une herbe courte et roide. Descendus à trente mètres au-dessus, ils ne virent aucun signe de vie animale, ce qui parut quelque peu surprenant à Hilvar. Peut-être, conclut-il, les bêtes s’étaient-elles réfugiées sous terre à leur approche.

Ils flânèrent au-dessus de la plaine tandis qu’Alvin tentait de convaincre Hilvar qu’il n’y aurait pas de danger à ouvrir le sas, et que l’autre lui expliquait patiemment ce qu’étaient les bactéries, les champignons, les virus et les microbes — autant de choses qu’Alvin se représentait difficilement et dont il voyait encore plus mal le rapport avec sa personne. La discussion se poursuivait depuis quelques minutes, lorsqu’ils remarquèrent un fait singulier. L’écran, qui un instant plus tôt leur montrait la forêt devant eux, ne montrait plus rien.

« L’avez-vous débranché ? demanda Hilvar, plus prompt d’esprit qu’Alvin, comme d’ordinaire.

— Non », répliqua Alvin, et un frisson lui courut le long de la colonne vertébrale, en pensant à la seule autre explication possible. « As-tu éteint ? demanda-t-il au robot.

— Non », fut-il répondu en écho à sa propre réponse.

Avec un soupir de soulagement, Alvin chassa l’idée que le robot aurait pu se mettre à agir de son propre chef, lui mettant une mutinerie mécanique sur les bras.