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Jeserac fit une pause, et jeta un coup d’œil le long des tables. Ses paroles n’avaient fait plaisir à personne, et il ne s’était pas attendu qu’elles le fissent.

« Cependant, je ne vois pas pourquoi nous serions inquiets. La Terre ne se trouve pas dans un danger plus grand que précédemment. Pourquoi deux hommes, à bord d’un seul petit vaisseau, attireraient-ils de nouveau sur nous le courroux dès Envahisseurs ? Si nous sommes honnêtes avec nous-mêmes, nous devons admettre que les Envahisseurs auraient pu détruire notre monde depuis des siècles. »

Il y eut un silence réprobateur. C’était là une hérésie, et Jeserac l’eût jadis lui-même condamnée comme telle.

Le Président l’interrompit, les sourcils froncés.

« N’y a-t-il pas une légende qui dit que les Envahisseurs épargnèrent la Terre à la seule condition que l’homme ne retournerait jamais dans l’espace ? Et n’avons-nous pas maintenant failli à nos engagements ?

— Une légende, oui, reprit Jeserac. Nous acceptons beaucoup de choses sans les discuter, et celle-ci en est un exemple. Cependant, il n’en existe aucune preuve. Je trouve difficile de croire que des faits aussi importants ne soient pas enregistrés dans les souvenirs de la Calculatrice, et cependant elle ne sait rien de ce pacte. Je le lui ai demandé, toutefois, uniquement par l’intermédiaire des machines à renseignements. Le Conseil peut prendre le soin de poser la question directement. »

Jeserac ne voulait pas risquer une seconde réprimande en s’aventurant sur un terrain interdit, et il attendit la réponse du Président.

Elle ne vint jamais, car à cet instant les délégués de Lys sursautèrent dans leurs fauteuils, et leurs visages se figèrent, exprimant à la fois l’incrédulité et l’inquiétude. Ils semblaient écouter quelque voix lointaine déversant son message dans leurs oreilles.

Les Conseillers attendaient, leur appréhension grandissant de minute en minute au fur et à mesure que se déroulait la conversation silencieuse. Puis le chef de la délégation sortit de son hypnose et se tourna vers le Président pour s’excuser.

« Nous venons d’avoir des nouvelles très étranges et très bouleversantes de Lys, déclara-t-il.

— Alvin est-il revenu sur terre ? demanda le Président.

— Non, pas Alvin. Autre chose. »

Tandis qu’il amenait son fidèle vaisseau dans la clairière d’Airlee, Alvin se demandait si jamais dans l’histoire humaine, un vaisseau avait amené pareil chargement sur terre — si toutefois Vanamonde se trouvait dans l’espace physique de la nef. Il ne s’était pas manifesté pendant le voyage. Hilvar croyait, et sa connaissance était plus directe, que seule la sphère d’attention de Vanamonde pouvait être considérée comme située dans l’espace. Vanamonde lui-même n’était nulle part — nul temps, peut-être même.

Seranis et cinq sénateurs attendaient les jeunes gens lorsqu’ils émergèrent du vaisseau. Alvin avait déjà rencontré l’un d’eux au cours de sa dernière visite ; les deux autres témoins de la précédente rencontre devaient être maintenant à Diaspar, pensa Alvin. Il se demanda dans quelle situation se trouvait la délégation, et de quelle façon la cité avait réagi à la présence des premiers intrus du dehors depuis des millions d’années.

« Il semble, Alvin, dit sèchement Seranis après avoir accueilli son fils, que vous ayez le génie de découvrir des êtres extraordinaires. Je pense, cependant, qu’il s’écoulera quelque temps avant que vous ne puissiez surpasser votre réussite actuelle. »

Pour une fois, ce fut au tour d’Alvin de se montrer surpris.

« Vanamonde est donc arrivé ?

— Oui, il y a quelques heures. Il a plus ou moins réussi à retrouver le sillage que laissa votre vaisseau en partant pour son voyage spatial, exploit renversant en soi et qui soulève d’intéressants problèmes philosophiques. La preuve existe qu’il a atteint Lys au moment même où vous l’avez découvert, et qu’il est donc capable de vitesses infinies. Et ce n’est pas tout. Au cours de ces quelques dernières heures, il nous a enseigné plus d’histoire que nous ne pensions qu’il en existât. »

Alvin, au comble de la stupéfaction, la regarda. Il comprit alors ; il n’était pas difficile d’imaginer l’impact de Vanamonde sur ces gens aux perceptions ultra-sensibles et aux esprits prodigieusement un. Ils avaient réagi avec une rapidité surprenante, et Alvin se figura soudain le tableau incongru de Vanamonde, un peu effrayé peut-être, entouré de l’élite des intellectuels de Lys.

« Avez-vous découvert ce qu’il est ? interrogea Alvin.

— Oui. C’était simple, bien que nous ne connaissions toujours pas son origine. C’est un pur esprit et son savoir semble illimité. Mais il est puéril, et je dis cela au sens littéral du mot.

— Bien sûr ! s’écria Alvin. J’aurais dû le deviner ! »

Il paraissait confondu ; Seranis eut pitié de lui.

— Je veux dire que si Vanamonde a un savoir colossal, peut-être infini, il n’est ni mûr ni même développé. Son intelligence effective est inférieure à celle d’un être humain — elle eut un sourire un peu forcé — bien qu’il pense et qu’il apprenne beaucoup plus rapidement. Il possède également certaines qualités que nous ne comprenons pas encore. L’intégralité du passé semble ouverte à son esprit, d’une façon qui est difficile à décrire. Il a pu se servir d’un de ces dons pour suivre votre trace et venir sur terre. »

Alvin demeurait silencieux, pour une fois un peu dépassé. Il se rendait compte à quel point Hilvar avait eu raison de ramener Vanamonde en Lys. Et il comprenait quelle chance il avait eue de déjouer les plans de Seranis ; ce n’était pas là une chose qu’il ferait deux fois dans une vie.

« Voulez-vous dire, demanda-t-il, que Vanamonde vient tout juste de naître ?

— Selon ses normes, oui. Son âge réel est très grand, bien qu’apparemment moindre que celui de l’humanité. L’extraordinaire est qu’il insiste sur le fait que c’est nous qui l’avons créé, et il n’y a aucun doute que son origine soit liée à tous les grands mystères du passé.

— Que devient Vanamonde pour le moment ? demanda Hilvar d’une voix qui sentait un peu son propriétaire.

— Les historiens de Grevarn sont en train de l’interroger. Ils essaient de définir les grandes lignes du passé, mais ce travail nécessitera des années. Vanamonde peut décrire le passé dans le plus grand détail, mais il ne comprend pas ce qu’il voit ; il est très difficile de travailler avec lui. »

Alvin se demandait comment Seranis savait tout cela ; puis il comprit que probablement tous les êtres doués d’intelligence en Lys suivaient les progrès de cette grande enquête. Il eut un sentiment de fierté en se rendant compte qu’il avait marqué d’une empreinte aussi profonde Lys et Diaspar. Cependant, à cette fierté se mêlait un sentiment de frustration. Il y avait une chose qu’il ne pourrait jamais partager ni comprendre parfaitement : le contact direct entre esprits humains demeurait pour lui un mystère aussi grand que la musique pour un sourd, ou la couleur pour un aveugle. Mais le peuple de Lys échangeait présentement des pensées avec cet être étrange qui dépassait l’imagination, qu’il avait, lui Alvin, ramené sur terre, mais qu’il ne pourrait jamais détecter avec aucun de ses sens.